La nomination d’Alain Gordon-Gentil à la tête de la MBC suscite espoir et optimisme. Cependant, l’institution fait face à des défis majeurs : crises structurelles persistantes, gestion financière alarmante, et pratiques de recrutement opaques. La réussite de ce redressement dépendra d’une volonté collective et de réformes profondes pour assurer un véritable renouveau.
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Une bouffée d’air frais ! C’est ainsi que la désignation d’Alain Gordon-Gentil au poste de directeur général de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) a été accueillie par les employés et de nombreux professionnels du secteur audiovisuel et de l’information. Toutefois, aussi louable soit-elle, cette nomination sera-t-elle suffisante pour surmonter les crises structurelles et les dysfonctionnements qui gangrènent cette institution depuis deux décennies ?
La Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) pourra-t-elle un jour se hisser au niveau de la BBC, comme promis par de nombreux dirigeants politiques par le passé ? Une telle ambition semble encore hors de portée, tant les problèmes qui gangrènent l’organisme sont profonds, structurels et touchent plusieurs niveaux de son fonctionnement.
Selon des employés, anciens salariés et ex-dirigeants de la MBC, les difficultés de l’organisation trouvent leurs origines dans des dysfonctionnements chroniques, en particulier dans des secteurs stratégiques. Parmi les causes les plus souvent évoquées figure le processus de recrutement, un pilier essentiel au bon fonctionnement de toute institution.
Un journaliste senior, fort de 20 ans d’expérience à la MBC, se souvient du dernier recrutement massif effectué dans les règles de l’art : c’était en 2003, sous la présidence de Shirin Aumeeruddy-Cziffra au conseil d’administration. « Il s’agissait d’un recrutement national avec plusieurs étapes rigoureuses, incluant des examens écrits et des entretiens. À l’époque, on m’avait même demandé de terminer mes études universitaires avant de rejoindre officiellement l’équipe », confie-t-il. Ce processus incluait également une formation de six mois, préalable indispensable avant toute prise de fonction à l’antenne.
Pratiques opaques
Cependant, ce modèle a commencé à se déliter à partir de 2009. Le mode de recrutement, auparavant transparent et structuré, a été remplacé par des pratiques opaques. Les annonces publiques ont disparu, laissant place à des recommandations informelles et à des listes de noms soumises directement au Conseil d’administration.
Cette dérive a entraîné une baisse qualitative du personnel, en particulier au sein de la rédaction. « En 2013, 30 journalistes ont été recrutés. Onze ans plus tard, 80 % d’entre eux peinent encore à rédiger correctement une dépêche », déplore une source interne. Ces lacunes ne sont pas sans impact sur la crédibilité de la MBC, déjà mise à mal par des critiques récurrentes sur son impartialité et sa gestion.
Pour d’autres employés expérimentés de la MBC, ce n’est pas un hasard si les événements impliquant les Premiers ministres en fonction ne sont couverts que par un cercle restreint de journalistes. « Pour être honnête, seuls les journalistes recrutés dans les années 2000 sont considérés comme fiables pour couvrir les événements du Premier ministre, d’autres ministres ou pour traiter des dossiers d’actualité politique et économique. Aucun directeur ou responsable de rédaction ne fera confiance à un journaliste recruté ces dernières années, car ils n’ont pas les compétences nécessaires », affirme une source interne.
Cependant, cette sélection fondée sur les compétences entraîne un paradoxe majeur. Les journalistes choisis pour ces missions sensibles sont souvent perçus comme proches du pouvoir. « Après chaque changement de régime, on nous écarte, persuadés que nous sommes alignés avec l’ancien gouvernement. Mais la vérité, c’est que nous payons le prix de notre propre compétence », déplore un journaliste senior.
Bouche-à-oreille
Le processus de recrutement adopté ces dernières années à la MBC où l’impression qui se dégage est celle de pratiques basées sur des recommandations de bouche-à-oreille ou des connexions politiques, a contribué à éroder davantage l’indépendance des journalistes au sein de la rédaction. « Lorsqu’un recrutement est directement référé par un ministre ou un proche du pouvoir, il devient évident que la personne recrutée se sentira redevable envers son ‘parrain’ ou le gouvernement en place », confie une source interne. « Ce type de recrutement repose sur le fait que le journaliste sait d’avance qu’il devra répondre aux attentes de son recommandataire, qu’il s’agisse d’un ministre, d’un député ou d’un autre acteur influent », avance-t-on.
Les exercices de promotion à la MBC n’ont également pas répondu aux attentes. Un fait qui semble bien illustrer cela : l’absence d’un directeur de rédaction durant les 15 dernières années. Bien que des efforts aient été faits pour remplir ce poste, les tentatives se sont souvent soldées par des démissions. Les anciens titulaires, confrontés à des pressions politiques intenses, ont préféré quitter leurs fonctions plutôt que de céder à ces influences.
L’absence d’un rédacteur en chef en bonne et due forme a aussi aggravé la situation. Cette vacance prolongée a laissé la rédaction livrée à elle-même, gérée au jour le jour par des responsables désignés temporairement. Ces derniers produisent les journaux selon leurs propres principes et valeurs, ce qui empêche toute cohésion et continuité éditoriale.
Situation financière
Un autre aspect majeur ayant gravement nui à la MBC au cours des 20 dernières années, et qui dépasse la seule gestion du Mouvement socialiste militant (MSM), est sans conteste sa situation financière et ses sources de revenus. Redorer le blason de la MBC passe également par la revitalisation de son département marketing, perçu par beaucoup comme une structure ayant perdu de sa pertinence. « La vérité, c’est que plusieurs membres du département marketing se contentent de s’appuyer sur les publicités gouvernementales sans chercher à diversifier les sources de revenus », confie une source interne.
Pour cette dernière, l’échec du marketing à s’adapter aux réalités modernes est criant : « Ce département fonctionne encore comme dans les années 70, alors que les attentes et les opportunités du marché ont radicalement changé. Il a clairement raté le tournant stratégique nécessaire pour assurer sa viabilité. »
Un autre point qui est également venu aggraver la situation de la MBC porte sur sa dépendance aux « licence fees » de Rs 150 imposées au public. Cependant, ces dernières années, cette source de revenus s’est avérée de moins en moins garantie. De nombreux Mauriciens contestent désormais l’obligation de s’acquitter de cette redevance, estimant qu’elle ne reflète pas une qualité de service adéquate ou une indépendance éditoriale. Cette désaffection croissante pour les « licence fees » fragilise davantage la viabilité financière de la MBC, accentuant la nécessité pour l’organisme de diversifier ses sources de revenus et de regagner la confiance du public.
Après plus de 20 ans, la nomination d’Alain Gordon-Gentil à la tête de la MBC semble enfin inspirer confiance et espoir. Un signal positif pour une institution longtemps marquée par l’instabilité et les dysfonctionnements. Toutefois, pour transformer la MBC en une organisation véritablement performante et respectée, il apparaît clairement que des réformes structurelles profondes seront incontournables. Cependant, la question demeure : tous les employés de la MBC seront-ils prêts à soutenir ces réformes ? L’institution a longtemps été marquée par une certaine inertie et un confort dans le statu quo. Sortir de cette zone de confort, pour beaucoup, pourrait s’avérer difficile. La question de la volonté de changement au sein des équipes sera cruciale.
Un problème structurel profond
Les audits successifs pointent également un manque de rigueur dans la gestion des droits sur les contenus audiovisuels, dont la valeur estimée de Rs 24,3 millions pour l’année 2019 reste invérifiable. Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux et mettent en évidence des failles systémiques.
Les promesses non tenues
Lors de sa prise de fonction en 2015, Pravind Jugnauth, alors ministre de la Technologie, avait promis de redresser la MBC. Les initiatives incluaient la réduction des coûts et la rationalisation des effectifs. Cependant, ces efforts n’ont pas suffi à enrayer la spirale déficitaire.
Situation financière désastreuse : chronologie de la crise
2013 : Premiers signaux d’alerte
Le dernier rapport annuel datant de cette année révèle des zones d’ombre autour d’une somme de près de Rs 659 millions, mettant en lumière des lacunes graves dans la gestion financière de l’ancienne direction. Ces anomalies marquent le début des préoccupations croissantes autour de la transparence et de la viabilité financière de la MBC.
2019 : Irrégularités massives révélées
Le bureau national de l’Audit identifie des anomalies de l’ordre de Rs 763 millions dans les comptes de la MBC pour l’année 2019. Une différence inexpliquée de Rs 26,3 millions est détectée dans le Control Account, remettant en question la fiabilité des données comptables. Ces découvertes jettent un doute sur la capacité de l’organisme à gérer ses finances de manière rigoureuse.
2020 : Une année encore sous le signe des irrégularités
Le bureau de l’audit met en lumière de nouvelles anomalies financières, cette fois-ci d’un montant de Rs 880 millions. Les incohérences dans le Control Account, notamment une différence inexpliquée de Rs 25,3 millions, persistent. Ces problèmes soulignent une incapacité chronique à instaurer des mécanismes de contrôle internes robustes.
2020-2021 : Une embellie temporaire
L’exercice financier 2020-2021 marque une rare amélioration avec un surplus de Rs 115,7 millions. Cette performance, présentée comme le fruit des réformes initiées par le gouvernement, semblait prometteuse pour redresser l’institution après les déficits massifs accumulés.
2021-2022 : Retour à la détérioration
Les revenus de la MBC baissent légèrement, passant de Rs 927,2 millions en 2021 à Rs 922,2 millions en 2022. En parallèle, les dépenses explosent, atteignant Rs 979,8 millions, soit une augmentation de Rs 87,6 millions. Parmi ces hausses, les contributions aux pensions augmentent de Rs 22,6 millions, reflétant une gestion peu contrôlée des coûts.
2022-2023 : L’effondrement financier
Le déficit net atteint un sommet alarmant de Rs 526,3 millions, en hausse de plus de Rs 300 millions par rapport à l’exercice précédent. Les liquidités disponibles chutent de Rs 155,3 millions, aggravant les difficultés de trésorerie. Aussi, l’absence d’un registre des actifs rend impossible la vérification des biens, soulignant les défis structurels persistants.
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