Même si l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) est en faveur de Maurice, tout dépendra de la position qu’adoptera les Anglais et les Américains, selon le constitutionnaliste Milan Meetarbhan, ancien ambassadeur de Maurice aux Nations unies. Il nous livre ses observations sur le jugement attendu dans cette affaire.
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« Que ce soit la lutte des Mauriciens d’origine chagossienne ou celle de l’État mauricien, cette lutte continuera aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’accord négocié entre les parties concernées »
Vous avez été l’un des acteurs de cette lutte de longue date pour la souveraineté de Maurice sur les Chagos, en tant que juriste. Quelle est votre opinion sur les chances de Maurice ?
à ce stade, il est difficile de prédire une décision de la Cour internationale de Justice. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas un jugement. C’est un avis consultatif, qui n’est pas contraignant. Elle n’aura aucune force de loi.
En droit international, il faut obligatoirement avoir l’accord des deux parties pour soumettre un litige devant la CIJ, afin qu’un jugement soit délivré. Dans ce cas précis, la Grande-Bretagne, ayant refusé de donner son accord, la Cour internationale de justice ne peut rendre un jugement qui aurait été contraignant.
C’est pour cette raison que Maurice a dû passer par l’assemblée générale des Nations unies pour faire adopter une résolution pour un avis consultatif.
Quels scénarios peut-on attendre ?
La première possibilité est que la cour statue qu’elle n’a pas les compétences juridictionnelles pour émettre un avis consultatif, étant donné qu’il s’agit d’un problème bilatéral entre deux pays souverains. C’est d’ailleurs la défense des Anglais dans cette affaire.
Le deuxième scénario est que la cour examine sur le fond les arguments des deux parties et émette un avis défavorable à Maurice.
Le troisième scénario est que la Cour internationale de justice se prononce en faveur de Maurice.
« La souveraineté et l’intégrité territoriale d’un État est une affaire de dignité nationale, elle ne devrait pas être négociable »
Quelles seront les conséquences de ces trois possibilités ? Maurice a-t-il encore une carte à jouer en cas de revers ?
Si la cour estime qu’elle n’est pas compétente à se prononcer sur l’affaire ou rejette catégoriquement les arguments des avocats mauriciens, on ne pourra plus rien faire, juridiquement parlant. Il n’y a pas d’autres recours.
Dans le cas d’un avis consultatif en faveur de Maurice, n’étant pas contraignant, les Anglais et les Américains peuvent décider de l’ignorer carrément. Dans ce cas également, Maurice ne pourra plus rien faire.
Toutefois, un avis consultatif a une force morale et Maurice pourra ainsi engager des négociations diplomatiques dans un climat beaucoup plus favorable, étant donné que les juges se sont prononcés pour cette solution.
Mais pour engager des négociations, il faut que les deux parties soient d’accord. On peut espérer que les Anglais et les Américains seraient mieux disposés à trouver un accord à l’amiable au vu d’un avis consultatif en faveur de Maurice.
Est-ce qu’il y a d’autres avenues à explorer dans le cas où les Anglais refuseraient de négocier ?
Pas vraiment. Il faudra attendre qu’une occasion se présente, comme ce fut le cas en 2010 quand le gouvernement d’alors a décidé de contester le parc marin créé par la Grande-Bretagne devant un tribunal d’arbitrage institué sous la convention sur le droit de la mer. Ce tribunal avait donné raison à Maurice.
On peut saisir d’autres occasions similaires. Sous une autre convention, on pourrait porter l’affaire devant un tribunal, mais c’est hypothétique à ce stade.
L’état mauricien a dénoncé des menaces de représailles. Ces menaces sont-elles toujours d’actualité ?
La souveraineté et l’intégrité territoriale d’un état est une affaire de dignité nationale, elle ne devrait pas être négociable. Donc, Maurice ne peut céder devant des pressions, face aux menaces des Anglais.
Toutefois, je pense que les Britanniques, qui font face à une crise énorme avec le Brexit, ont d’autres préoccupations en ce moment.
Maurice a toujours entretenu de bonnes relations avec l’Angleterre, mais, dans la nouvelle configuration avec l’après-Brexit, on ne sait pas encore exactement quelle sera la nature de nos relations futures avec la Grande-Bretagne.
L’avis consultatif est-il le dernier espoir des Chagossiens de retourner un jour dans l’archipel et pour Maurice de retrouver sa souveraineté sur les Chagos ?
La bataille jusqu’ici a été portée sur deux niveaux. Il y a eu la bataille juridique des Mauriciens d’origine chagossienne devant les instances juridiques britanniques, qui porte sur le droit interne britannique. Ils ont malheureusement essuyé un nouveau revers devant la Divisional Court le 8 février 2019.
Ensuite, il y a la bataille de l’état mauricien devant les instances internationales, qui porte donc sur le droit international. Deux choses complètement différentes. Dans un cas comme dans l’autre, que ce soit la lutte des Mauriciens d’origine chagossienne ou celle de l’état mauricien, cette lutte continuera aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’accord négocié entre les parties concernées.
Une solution négociée demeure la priorité, mais si toutes les parties concernées ne sont pas prêtes à engager de bonne foi des négociations, le recours judiciaire demeure toujours valable.
Jugement imminent
La délégation mauricienne a quitté le pays le vendredi 22 février pour se rendre à La Haye pour officiellement prendre connaissance de la décision de la Cour internationale de justice. Cette délégation est présidée par l’Attorney General Maneesh Gobin, accompagné de Sattyaved Seebaluck, conseiller au Prime Minister’s Office, qui est attaché à ce dossier, le chef de Cabinet Nayen Kumar Ballah, ainsi que plusieurs Chagossiens. L’avis consultatif sera prononcé par le président de la Cour internationale de justice, Me Abdulqawi Ahmed Yusuf, le lundi 25 février à 18 heures, heure mauricienne.
L’optimisme est de mise et la confiance règne au sein du gouvernement et des Chagossiens. Au vu du soutien qu’a obtenu Maurice, à la fois lors du vote de la résolution à l’assemblée générale des Nations unies et lors des auditions devant les juges de la CIJ, la partie mauricienne estime que les Anglais seront plus enclins à négocier.
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