Me Urmila Banymandhub-Boolell : «Je ne crois pas à l’égalité des genres»

Elle est l’une des deux femmes nommées Senior Counsel. Urmila Banymandhub-Boolell affirme que c’est la consécration d’une carrière. Elle refuse d’être définie simplement comme épouse du Directeur des poursuites publiques, car elle soutient exister à part entière.

Est-ce une reconnaissance tardive de la compétence des avocates ?
On dira tardive, certes, puisque la profession existe depuis plus de 225 ans à Maurice. Aujourd’hui, un tiers du corps légal est constitué de femmes. Quant à la compétence, je ne crois pas que ce sont les autres qui doivent en juger. En tant que femme, il faut faire ses preuves.

Faut-il plus de transparence concernant les critères de nomination dans le judiciaire ?
On suit les procédures que prévoit la loi. Celle-ci peut être révisée à n’importe quel moment. S’il y a lieu d’apporter des changements, on peut entamer des discussions dans ce sens. Entre-temps, la loi est là et on l’applique.

Comment votre vie professionnelle va-t-elle changer avec cette nomination ?
Je pense que mes journées seront plus chargées, mais surtout plus riches. J’ai plein de projets que j’aimerais réaliser, notamment concernant la littérature légale. Cette nomination vient à un moment de ma carrière où je n’ai pas d’autre responsabilité que mon travail. Mes trois enfants étant adultes, je peux dédier beaucoup plus de temps à ma profession.

Vous avez embrassé la profession d’avocat à un moment où il y avait très peu de femmes au barreau. Racontez-nous votre cheminement...
C’était très dur. Il y avait non seulement très peu de femmes, mais j’étais jeune. J’avais 22 ans quand j’ai prêté serment. Pour les enquêtes policières et les affaires criminelles, c’était tout un périple. Les gens ne me prenaient pas au sérieux. Il me fallait vraiment avoir un moral de battante. De nature spontanée et fonceuse, j’ai pu tracer ma voie. Avec le recul, je peux dire que le plus dur, c’était quand mes enfants étaient en bas âge. Or, je fais tout avec passion et je m’y mets à fond. Je crois également qu’il est primordial de saisir l’importance de la défaite pour décrocher la victoire. J’ai commencé à zéro, comme tout le monde, pour en arriver où je suis.

Beaucoup pensent toujours que le judiciaire est un cercle masculin, voire macho. à quel point est-ce vrai ?
Pas du tout. Avez-vous vu le nombre de femmes exerçant ce métier ? Que ce soit dans le judiciaire, à la magistrature ou au parquet, les femmes ont très bien réussi. Je pense qu’il y a une bonne représentation féminine. Et il y a tant de femmes juges qui font honneur à la profession...

Parlons des honoraires. Est-ce un fait rarissime qu’une étude d’avocats réclame des millions de roupies pour une affaire ?
Je n’ai aucune opinion à ce sujet. Puis, le Bar Council s’est déjà penché sur la question.

Pensez-vous qu’il faut établir un plafond par catégorie d’affaire ?
Je ne pense pas. Le code d’éthique demande à ce que les honoraires soient commensurate. Il faut que le montant payé soit relatif au travail exécuté. Toutefois, je ne crois pas qu’il faille un barème strict. Chacun doit juger et réclamer des honoraires dépendant de ses compétences et du temps consacré au cas. Je suis d’avis que cela relève de la relation client-avocat. Celui-ci n’est pas obligé de payer une somme déraisonnable. D’où le fait que les honoraires doivent être convenus au préalable. Si on pense que c’est trop cher, on peut aller voir ailleurs.  

Il y a un grand nombre d’avocats à Maurice. Pourtant, retenir leurs services coûte cher. N’est-ce pas un paradoxe ?
C’est vrai que Maurice compte beaucoup d’avocats. J’estime même qu’il y en a suffisamment pour avoir une échelle d’honoraires. Ainsi, celui qui va en Cour peut choisir l’avocat qui lui convient au prix qui lui convient. Il faut dire qu’il y a une rude compétition. Quant aux compagnies, corps parapublics et autres institutions, c’est une pratique courante de lancer des appels d’offres pour retenir les services d’un conseil légal.

Vous êtes plutôt une avocate d’affaires. Est-ce moins stressant que d’exercer comme avocat au criminel ?
Ce sont là deux types de travail tout aussi stressants. Ils sont certes différents, mais la profession d’avocat est elle-même complexe. Je crois que les gens ne mesurent pas cela. Au fait, cela vous déshumanise quelque part, car cela requiert un investissement personnel considérable. Quand vous avez un problème légal, vous allez voir un avocat. Il doit, lui, absorber ce problème pour que, quand vous quittez son bureau, vous vous sentiez léger. à partir de là, c’est lui qui se charge de traiter l’affaire. Cela devient sa responsabilité professionnelle. Cela ne peut être facile.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes avocates pour qu’elles puissent briller au barreau ?
Patience, patience et patience. La persévérance et le dur labeur sont de mise. Dans la vie, tout arrive à ceux qui savent attendre. Il faut aussi beaucoup d’humilité. être avocat, c’est proposer un service. Il faut pouvoir comprendre son client. On est le porte-parole de la personne que l’on représente. La confiance est primordiale.

Être l’épouse du Directeur des poursuites publiques (DPP), est-ce un avantage ou un désavantage ?
Je trouve cela choquant qu’en 2016, on réduise une femme à « l’épouse de ». C’est insultant de faire cet amalgame. J’existe à part entière. Je ne crois pas à l’égalité des genres, puisqu’à la base l’homme et la femme ne sont pas égaux. Cependant, je crois en l’égalité des opportunités. Quand j’ai connu mon époux, il n’était pas encore le DPP. à la maison, il n’est plus DPP et moi, je ne suis plus Senior Counsel. Nous sommes complémentaires, mais nous n’empiétons pas sur le terrain professionnel de l’autre. Nous nous soutenons, discutons beaucoup et échangeons nos idées, mais il n’y a pas d’ingérence. Je suis fière d’être femme et j’assume pleinement mon rôle d’épouse et de maman.