Quelle place occupent les droits de l’homme dans un gouvernement théocratique ? Sont-ils compatibles avec le discours religieux ? Comment reconnaître un État qui ne respecte pas ces droits ? Ludovic Hennebel, professeur à la Faculté de droit de l’université d’Aix-Marseille, jette un regard lucide sur ces questions fondamentales et d’actualité.
Publicité
« Maurice n’a pas l’exclusivité des brutalités policières, qui sont présentes dans de nombreux pays. »
Les Droits de l’homme ont-ils une portée universelle ?
On a tendance à l’affirmer. Il faut se poser la question : est-ce que la conception philosophique des droits de l’homme trouve-t-elle des racines dans une forme de philosophie universelle ou universaliste ? Quand on analyse l’origine des droits de l’homme, on constate que c’est en réalité une construction d’éthique occidentale mais qui s’appuie sur un ensemble de cultures.
Dans la plupart des cultures et religions, on trouve des éléments qui rendent compte d’un principe majeur des droits de l’homme, qui est la dignité humaine, et qui permet de s’accommoder du projet de droits de l’homme tel qu’il est conçu aux Nations-unies et ailleurs dans les discours internationaux. Pour le surplus, j’affirme sans réserve que les droits de l’homme, en tant que droit dans le corpus juridique, est avant tout un projet universel et tend à le devenir, en tenant compte d’un ensemble de facteurs culturels, politiques et dans une discussion qui se veut cosmopolite et constructive.
Est-ce que le discours et la pratique religieux peuvent-ils s’accommoder aux droits de l’homme ?
Certains auteurs, dont des théoriciens, ont essayé de voir dans les religions les fondements des droits de l’homme. En allant puiser, notamment dans l’islam, le christianisme et l’hindouisme, ils vont dire : « Regardez, il y a des préceptes fondateurs des droits de l’homme dans des ouvrages religieux ».
Les régimes théocratiques peuvent-ils se porter garants des droits de l’homme ?
C’est une difficulté à laquelle on se heurte dans le cadre des accords régionaux en matière des droits de l’homme. En principe, la réponse risque d’être négative si l’on prend en compte certaines pratiques comme le châtiment corporel, qui seraient justifiées dans un cadre religieux. Ils ne peuvent en aucun cas trouver leur place dans le discours juridique de la protection des droits de l’homme, lequel consiste à dire que la protection de la dignité humaine doit l’emporter. Dans des États qui accorderaient une priorité à certains textes religieux qui seraient susceptibles d’être en échec ou en contradiction avec des principes portant sur la dignité humaine telle qu’elle est conçue en droit international, on se heurterait là à des difficultés.
Quelle est la place des droits de l’homme dans un pays qui met en priorité la sécurité d’État et le développement économique, reléguant au second plan les libertés des associations civiles, dont syndicales ?
Il faut bien comprendre que les droits de l’homme ne sont pas des objectifs qu’on atteint et qu’on peut ensuite oublier. De fait, ces droits s’inscrivent dans une progression constante, ils sont perpétuellement mis en danger et remis en cause. Cela implique aux juristes, journalistes et citoyens d’être constamment vigilants. Il y a toujours et systématiquement une marge de progression, notamment parce que les valeurs et les normes véhiculées par ces droits évoluent elles-mêmes en fonction de l’évolution sociale et économique d’un pays. Par exemple, lorsqu’une société transnationale va exploiter des mines ou des ressources pétrolières ou gazières au détriment d’une population locale qui sera contrainte de se déplacer ou qui ne profitera pas des ressources économiques générées par cette société. Face à ce type de conflit, il appartient aux États d’imposer sur leur territoire la protection des droits de l’homme.
Quels sont les signes visibles d’un État qui ne respecte pas les droits de l’homme ?
Il y aura très souvent des attaques à l’encontre des journalistes parce que ces derniers sont considérés comme les chiens de garde de la démocratie. Avec les Ong, ils ont un rôle déterminant pour pouvoir dénoncer les violations des droits de l’homme, les souligner et attirer l’attention des politiques ou des agents publics sur des problèmes qui seraient très réels dans leur pays. Lorsque la liberté d’expression et celle de la presse sont bafouées, on sait en général que c’est un signal majeur pour identifier un pays qui tend vers un certain type de dérive au plan sécuritaire et adopte une politique davantage liberticide.
Il existe d’autres signes comme la tentation d’abuser de la loi d’exception pour justifier les perquisitions domiciliaires ou tenter d’avoir accès à des sources journalistiques là où ce n’est pas justifié, ou interdire des manifestations démocratiques. Ces signaux permettent d’identifier des problèmes naissants ou bien ancrés dans certains pays. Ajoutez à cela des problèmes qui sont d’ordre structurel dans d’autres pays plus discrets parce qu’ils font aussi partie d’une certaine culture et d’un mode de vie et qui, en réalité, illustre aussi des problématiques de droits de l’homme.
Les exemples sont traditionnels à cet égard et ce mode de vie vise en particulier des groupes de personnes considérés, à tort ou à raison, plus ou moins vulnérables du point de vue de la protection des personnes. On peut citer les personnes qui ont une identité sexuelle particulière et qui vont faire l’objet de discrimination, voire de poursuites criminelles ou pénales, et qui aujourd’hui sont complètement inappropriées dans le contexte de droit international.
Comment traiter les brutalités policières, un sujet de brûlante actualité à Maurice ?
Il faut déjà savoir que Maurice n’a pas l’exclusivité des brutalités policières, qui sont présentes dans de nombreux pays. Il importe de savoir que ces brutalités sont strictement prohibées. En aucun cas et en aucune manière, on ne peut pas, dans un état démocratique, porter atteinte à l’intégrité corporelle et psychologique d’un individu. Il n’y a pas d’exception à cette règle.
Il faut que l’État prenne des mesures pour prévenir ces brutalités en offrant à sa police une formation adaptée pour que celle-ci, lorsqu’elle est confrontée à la brutalité de l’interrogatoire, n’abuse pas de son autorité. Les personnes responsables de ces brutalités doivent pouvoir être identifiées, entendues et éventuellement poursuivies et sanctionnées par rapport à l’infraction commise. En aucun cas, il ne faut chercher à sanctionner administrativement le policier, ce qui peut faire régner un sentiment d’impunité.
Les droits de l’homme ne seraient-ils pas incomplets s’ils ne tiennent pas aussi compte du droit à la vie, la nourriture et l’éducation, entre autres ?
Les droits civils et politiques, sociaux et culturels sont des droits sans lesquels les droits de l’homme seraient illusoires. Le droit à l’eau potable et à un environnement sain sont des droits fondamentaux. Ensemble, ils constituent un tout cohérent de même que le droit à la vie est un droit suprême.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !