Interview

Lindsay Rivière : «Cette élection partielle déterminera les contours politiques de 2019»

Lindsay Rivière 

L’observateur Lindsay Rivière analyse, pour nos lecteurs, les enjeux pour chaque grand parti politique engagé dans l’élection partielle au no 18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes).

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« Xavier-Luc Duval ne veut plus être la 5e roue de la charrue »

Quel sera l’enjeu politique de cette partielle ?
Cette élection partielle est intéressante, car elle intervient à mi-mandat et déterminera largement les contours politiques de 2019. C’est un tremplin pour les prochaines législatives.

Malgré l’absence du MSM ?
Ne pas participer à cette partielle équivaut à un aveu de faiblesse du MSM, ce que chacun a compris. Le gouvernement ne se reposera plus que sur sa majorité parlementaire, alors que sa légitimité populaire est remise en question depuis le départ de SAJ et du PMSD.

Certains observateurs politiques avancent que « the writings are on the wall » pour ce gouvernement. Et vous ?
C’est un gouvernement aux abois, qui est considérablement fragilisé par la cascade d’affaires et de controverses de ces derniers mois. Sont-ce des writings on the wall ? à chacun son interprétation.

Quid de l’opposition fragmentée ?
Pour l’opposition, cette partielle a un but précis : chacun veut montrer ses muscles. Comme le dirait l’anglais, c’est du flexing muscles en prévision des législatives de 2019. Il faut donc que l’opposition capitalise sur l’impopularité actuelle du régime, mais en même temps, que chacun se positionne pour apparaître comme une force dominante pour des négociations en vue de l’échéance 2019.

Est-ce à dire que chacun veut montrer ses muscles en préambule d’affronter seul les prochaines joutes électorales de 2019 ?
Ne nous faisons pas d’illusion. Belle-Rose/Quatre-Bornes sera la seule élection où chaque parti ira séparément. Je le répète : il n’y a aucune chance que ce scénario se répète en 2019. Chacun va vouloir se rendre indispensable dans le jeu politique à venir.

Comment se présente l’équation d’une victoire d’Arvin Boolell pour le Parti Travailliste (PTr) de Navin Ramgoolam ?
Il est clair que la priorité pour Navin Ramgoolam, après sa lourde déconvenue de 2014, était de rester politiquement vivant et de se refaire une virginité politique. Il est entré actuellement dans un mood, une phase, celle de 2005, où après une autre lourde défaite, il est parti à la reconquête du pouvoir. Il croit pouvoir revenir après un dénouement qu’il espère  favorable dans ses derniers procès en cour.

« Si Boolell perd, Ramgoolam aura éliminé le dauphin du PTr »

Arvin Boolell ne serait-il alors qu’un pion que son leader bouge selon son humeur ?
Navin Ramgoolam a présenté Arvin Boolell, qui est un excellent candidat, en espérant gagner sur tous les tableaux. Si Boolell gagne, Navin Ramgoolam s’arrangera pour tirer à lui seul le tapis, en disant qu’il a joué un rôle essentiel dans cette victoire en raison de son charisme.

Serait-ce un référendum pour le PTr ?
Le PTr espère bien faire de cette partielle un mini-référendum national, parce que le no 18, tout comme le no 4, est une excellente représentation de l’île Maurice dans toute sa complexité.

Et si son poulain mord la poussière ?
Si Boolell perd, Ramgoolam aura éliminé le dauphin du PTr. Pile, je gagne, face, tu perds. Arvin Boolell en est bien conscient. Il sait qu’il doit absolument gagner pour redevenir au Parlement une figure incontournable. Ce poste de leader parlementaire du PTr lui donnera une exposition nationale considérable.

Se positionnera-t-il alors en tant que leader des rouges ?
Si Arvin Boolell est élu, il y aura à l’intérieur du PTr une subtile lutte d’influence qui sera déterminante pour la suite des événements.

Et le Mouvement militant mauricien (MMM) dans ce débat ?
Le MMM, après plusieurs défaites depuis 2010, doit absolument rebondir pour conserver son statut de grand parti national. Une défaite de sa candidate aura des effets catastrophiques et pourrait tuer dans l’œuf ses prétentions à diriger le prochain gouvernement, seul ou en alliance.

Le MMM doit-il donc aussi montrer ses muscles ?
Cette partielle est cruciale pour le MMM dans sa stratégie d’ensemble. Il ne saurait être affaibli dans la perspective de 2019 et fera tout pour être à l’arrivée, et surtout pour damer le pion à Xavier-Luc Duval, qui lui dispute son rôle historique de premier parti de l’opposition depuis cinq ans. Pour le MMM, cette partielle au no 18 est une situation de « do or die ».

« Pour le MMM, cette partielle est une situation de ‘do or die’ »

Vous ne cessez de répéter que vous ne croyez pas dans la possibilité que les partis affrontent seuls l’électorat. Pourquoi ce pessimisme ?
Je n’ai jamais cru qu’un seul parti puisse remporter seul des législatives avec une majorité de 36 élus, au vu des différentes composantes du pays. Qui peut s’enorgueillir d’un tel score ? Aucun parti. Il ne faut pas être naïf, un tel scénario est impossible.

Donc, les sempiternelles alliances sont un mal nécessaire ?
Les alliances préélectorales peuvent être frustrantes et exaspérantes, mais sont un mal nécessaire pour un pays aussi complexe que le nôtre. Cela afin d’éviter des risques de sous-représentation. En revanche, les alliances postélectorales conduisent vers une pagaille généralisées, comme ce fut le cas en 1976 entre le PTr et le Parti mauricien social démocrate (PMSD).

Le PMSD donne l’impres-sion de pouvoir bien faire, voire de mâter ses adversaires lors de cette partielle. Le peut-il vraiment ?
Le PMSD prend un pari considérable. Le no 18 est une circonscription où Xavier-Luc Duval a lui-même été élu député avec 63 % des votes en 2014. La popularité du leader du PMSD y est assez remarquable, car il récolte 70 % de bonnes opinions. Toutefois, cela ne se traduira pas nécessairement par un large soutien à son parti.

Est-ce à dire qu’à travers sa seule popularité, Xavier-Luc Duval peut porter son PMSD jusqu’à faire la nique au MMM ?
La partielle du no 18 est l’occasion pour Xavier-Luc Duval de montrer que le PMSD a une forte sympathie populaire et peut dépasser le MMM comme force d’opposition et donc devenir indispensable à la stratégie future du PTr.

En clair, ne plus être les cinq sous qui arrondissent la roupie, mais tenter d’être le calife à la place du calife ?
Xavier-Luc Duval ne veut plus être la 5e roue de la charrue ou une simple force d’appoint. Il conçoit l’avenir de ses relations avec le PTr comme un partnership du type MSM/MMM dans le passé, où il aurait un nombre conséquent d’investitures et possiblement un partage à l’israélienne.

Vous voyez Navin Ramgoolam accepter un partage des pouvoirs premierministériels ?
Il est probablement inimagi-nable d’avoir un scénario de partage de pouvoirs, mais cela est envisageable avec Arvin Boolell, si jamais le PTr conclut que Navin Ramgoolam est davantage une liability qu’un asset électoral.

On l’a entendu, la semaine dernière : Navin Ramgoolam a répété que le PTr irait seul aux législatives. XLD devra repasser…
C’est une façon de sa part de calmer l’appétit de pouvoir de Xavier-Luc Duval. Mais le leader du PMSD croit vraiment qu’il sera plus acceptable et accepté comme Premier ministre, au contraire de son papa SGD et de Paul Bérenger. Mais, au fur et à mesure qu’il apparaîtra comme un PM potentiel, les hostilités envers lui vont croître, tant au PTr qu’au Mouvement socialiste militant (MSM).

Et si, contre toute attente, le PMSD remportait seul la partielle, la donne pourrait-elle changer ?
Si le PMSD remporte la partielle au no 18, ce sera un tremblement de terre politique et un tournant décisif dans la psychologie électorale du pays.

Qu’en est-il de la présence de ces petits partis non-traditionnels, encore et toujours à la traîne ?
La chose intéressante est de voir le score des partis non-parlementaires et le taux d’abstention. Le pays semble être absolument déçu et dégoûté par la politique. Tous les espoirs de décembre 2014 ont volé en éclats et chacun constate amèrement que finalement, 2014 n’aura été qu’un cas de « Ote-toi de là, que je m’y mette ». Dans pareil climat, il sera intéressant de voir à qui profite cette désillusion. Si l’électorat boude ou s’il est plus porté vers un coup de balai des partis parlementaires traditionnels. Cette élection est une chance unique pour les formations non-parlementaires de capitaliser sur l’amertume populaire. Gardons donc un œil sur le score individuel des uns et des autres, pour vérifier si les Mauriciens veulent autre chose ou si ce n’est qu’une saute d’humeur passagère.

Une question est revenue sur la table, mardi dernier au Parlement : la réforme électorale. Vous y croyez, vous ?
Je crois en une réforme électorale, mais a-t-elle une infime chance de se réaliser ? Non !

Votre pessimisme ne vous lâche pas…
Je persiste à croire qu’il n’y aura jamais de réforme électorale, parce que le système actuel arrange les affaires du MSM et du PTr. Clairement, tout le monde n’a pas les mêmes intérêts dans une réforme.

Venons-en aux écarts de langage de nos politiciens, ce dont certains se sont excusés, d’autres pas. Pourquoi un tel comportement ?
Sans prendre au cas par cas, le langage ordurier des uns et des autres est un signe des temps. La politique se dévalorise, c’est un nivellement par le bas. Ce dérapage verbal est la preuve que le pays glisse de plus en plus vers une médiocrité qui se généralise. On s’achemine, si l’on n’y prend garde, vers la 3e division.

Et le match Xavier-Luc Duval/Speaker ?
J’estime que le comporte-ment parlementaire s’est beaucoup dégradé. Je trouve aberrant que des élus tiennent tête à la Speaker, quels qu’ils soient. Ils agissent d’une manière qui fait honte et qui ternit la réputation du pays.

 

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