La Mauritius Tax Payers Association, à travers son président Sandragassen Rungasawmi, a demandé au gouvernement d’introduire la taxe rurale, lors des consultations pré-budgétaires. La taxe rurale a longtemps été un sujet tabou à Maurice et la dernière fois qu’une taxe similaire fut introduite, cela a eu l’effet d’une bombe, forçant les autorités à revoir les modalités. Sommes-nous prêts aujourd’hui ?
L’île Maurice est-elle prête pour introduire la taxe rurale ? Alors que les habitants des villes sont sujets à la taxe municipale, les régions rurales en sont exemptées. L’argument principal a toujours été que les villages n’offrent pas les mêmes facilités que les villes. Mais le pays a connu une urbanisation générale, éliminant les disparités régionales.
La semaine dernière, lors des consultations pré-budgétaires entre le Premier ministre et ministre des Finances Pravind Jugnauth et les différents acteurs socio-économiques, la Mauritius Tax Payers Association a suggéré l’introduction de la taxe rurale. Selon le président de l’association Sandragassen Rungasawmi, l’environnement rural change, surtout avec l’avènement des Smart Cities et il pense que ces maisons luxueuses doivent être taxées. Mais une taxe rurale sera-t-elle favorablement accueillie aujourd’hui ?
La taxe municipale ciblant que les citadins est «injuste».
La dernière fois que le gouvernement a essayé d’introduire une taxe semblable remonte, à 2006, quand l’ancien ministre des Finances sous le gouvernement Ramgoolam, Rama Sithanen, avait introduit la ‘National Residential Property Tax’ (NRPT). Cette taxe, applicable sur toutes les propriétés immobilières, que ce soit en milieu urbain ou rural, avait soulevé une vague de protestations, forçant le ministre à apporter certaines modifications. Cette taxe ayant sérieusement entamé la carrière politique de Rama Sithanen, aucun politicien n’a le courage de venir avec une taxe similaire. D’ailleurs, lorsque Pravind Jugnauth devint ministre des Finances, en 2010, l’une de ses premières actions était d’abolir la NRPT. Mais ce dernier avait aussi introduit la ‘Capital Gains Tax’ qui a été enlevée l’année suivante, face au tollé soulevé.
Abolition de la taxe municipale ?
Radhakrishna Sadien, président de la Government Services Employees Association, estime qu’il y a eu un développement remarquable partout à travers le pays et c’est injuste que des gens de la classe moyenne résidant en ville doivent payer la taxe municipale, alors que des grands palais sur le littoral sont exemptés. « Si jamais une taxe rurale est introduite, il faut commencer par taxer ceux qui ont les moyens. Pour moi, le sujet mérite une réflexion profonde. » De son côté, Rashid Imrith, président de la Government General Services Union, pense que le milieu rural n’est pas encore prêt pour la taxe immobilière. Il propose la révision de la taxation en général à Maurice, surtout la collecte et l’évaluation des services par un corps indépendant, « Je pense qu’il faut plutôt abolir la taxe municipale, car on n’obtient pas un niveau de service satisfaisant », dit-il. Selon lui, le contribuable subventionne déjà les municipalités à travers les ‘grants’ du gouvernement aux collectivités locales, provenant des recettes de la TVA. « Il faut ouvrir le débat sur la taxe municipale et rurale », propose le syndicaliste.
Pierre Dinan, économiste, déclare qu’il faut absolument introduire la taxe rurale, d’abord, par souci d’équité envers tout le monde, car la taxe municipale ne ciblant que les citadins est injuste. Ensuite, dit-il, les régions rurales bénéficient aussi des mêmes facilités municipales, à savoir le service de voirie, l’éclairage et l’asphaltage des routes, entre autres. Il cite, comme exemple, les villages de Tamarin ou Grand-Baie, où il y a eu un excellent développement et les belles demeures doivent être taxées. Mais l’économiste précise qu’il y a aussi des gens pauvres en milieu rural, tout comme, il y a des poches de pauvreté dans les villes et ceux qui possèdent une modeste maison en ville sont quand même sujets à la taxe municipal. « En termes d’infrastructures et de facilités, il y a probablement des régions mieux loties en zone rurale qu’urbaine et l’environnement est parfois beaucoup plus beau à voir que dans certaines villes. » Il conclut que l’île Maurice est aujourd’hui un territoire développé et il est temps de relancer le débat sur la taxe rurale et voir comment l’appliquer équitablement.
Prithviraj Fowdar : «Soit on taxe tout le monde, soit personne»
Pour l’économiste et ancien haut fonctionnaire Prithviraj Fowdar, il y a, certes, une perception de discrimination au sujet de la taxe municipale, car presque la moitié de la population est sujette à la taxe, alors que l’autre moitié en est exemptée. « Dans l’île Maurice d’aujourd’hui, il n’y a plus cette disparité ville-village, car le pays en entier s’est considérablement urbanisé, avec les mêmes facilités disponibles partout. Cela coûte au gouvernement de fournir les services essentiels », dit l’économiste. Il explique que dans le passé, il y avait une migration continue de la campagne à la ville, parce que les villages n’offraient pas certaines facilités, mais aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe, car beaucoup de citadins s’installent maintenant en milieu rural. Il ajoute que l’ancienne Rural Development Unit n’existe plus, ayant été remplacée par la National Development Unit. « Cela démontre que les autorités ont elles-mêmes réalisé que la disparité n’existe plus », dit-il. Il pense que la taxe municipale ne rapporte pas gros aux municipalités.
« Dans un souci d’égalité, soit on taxe tout le monde, soit on abolit la taxe municipale », conclut l’économiste.
Ganessen Chinappen : «Un sujet politiquement sensible»
L’économiste Ganessen Chinappen argue que l’implémentation d’une taxe foncière rurale étant politiquement sensible, il est nécessaire de mettre en place des stratégies pour atténuer certains de ses effets. « Il faut une analyse pour mesurer l’impact sur les différents groupes ciblés. » Ensuite, ajoute l’économiste, on doit procéder par étape, par exemple, un échelonnement approprié de la taxe, en augmentant progressivement le fardeau fiscal, pour rendre la taxe plus acceptable pour ceux qui la paieront. « Comme les Mauriciens sont très sensibles à la taxe, pour avoir le soutien du public, il faut bien communiquer les modalités, mais surtout expliquer comment les revenus seront utilisés. » Mais Ganessen Chinappen déclare que, personnellement, il ne pense pas que le monde rural mauricien soit prêt à accepter la taxe rurale. « Cela aura les mêmes conséquences que la NRPT », prévient-il. Et que pense-t-il d’une abolition de la taxe municipale, comme préconisent certains observateurs ? À cette question, l’économiste répond qu’il faut élaborer un nouveau mécanisme pour assurer le même service et le même traitement à tous les habitants des zones rurales et urbaines. « Comme les collectivités locales sont très endettées, il faut un plan de restructuration. »
La NRPT : une épine politique
Introduite en juillet 2006, la NRPT avait rapporté environ Rs 100 millions, lors de sa première année. Rama Sithanen avait estimé que seulement 5 % des 330 000 foyers étaient concernés par la NRPT, soit 16 500 foyers. La moyenne de paiements était de Rs 6 700. Les foyers avaient contribué environ Rs 90 millions et les 10 millions restants provenaient d’une centaine de compagnies. Les revenus de 100 millions de la NRPT étaient destinés à la construction de marchés à Rose-Belle, Rivière-des-Anguilles, Flacq, Quatre-Bornes et Abercrombie.
Suttyhudeo Tengur : «Il est prématuré de parler de taxe rurale»
Le président de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs (APEC), Suttyhudeo Tengur est catégorique : l’île Maurice, dans son état actuel, n’est pas prête pour introduire la taxe rurale. Il cite deux exemples pour étayer ses dires : d’abord, le système de tout-à-l’égout est un grand absent dans la majeure partie des régions rurales. Ensuite, les habitants des villages font face à un moyen de transport limité, avec la carence du transport public. « Il est prématuré de parler de la taxe rurale. À la campagne, il faut bien distinguer entre ceux qui possèdent des palais et les laboureurs qui ont des maisons dépourvues des facilités essentielles comme la connexion au réseau de tout-à-l’égout, » dit Suttyhudeo Tengur. Il conclut qu’il faut toujours comparer avec rationalité.
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