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Kevin Ramkaloan, CEO de Business Mauritius : « Il est primordial de mettre en première ligne la compétitivité de Maurice »

Dans cet entretien réalisé avant le discours-programme, le CEO de Business Mauritius a abordé plusieurs sujets d’actualité. Kevin Ramkaloan souligne que la Mauritius Investment Corporation devrait se transformer en un fonds souverain, tout en évoquant les cas d’Air Mauritius ou de la Cargo Handling Corporation Ltd.

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2025 a démarré comme l’année dernière s’est clôturée, soit avec une bataille sur l’état économique de Maurice entre l’ancien et le nouveau régime. Selon vous et avec du recul, quelle est la santé économique du pays à l’entame de cette nouvelle année ?

Le State of the Economy, publié en décembre dernier, fait état de certaines réalités qui interpellent, surtout lorsqu’on considère le niveau de la dette publique. On note tout de même une croissance de 5,1 % du PIB, avec plusieurs secteurs qui affichent une bonne mine, notamment le tourisme, les services financiers et la construction. Les Export-oriented enterprises ne font pas partie de ces secteurs. Là où les tendances sont positives, il sera plus facile de mettre en place des réformes afin d’améliorer l’ease of doing business et la compétitivité de nos exportations.

Ces dernières années, Maurice a été témoin d’un affaiblissement de ses organismes selon le rapport ‘State of the economy’ publié en décembre dernier. La Mauritius Investment Corporation (MIC) n’a, semble-t-il, pas inversé cette tendance. Êtes-vous de ceux qui pensent qu’il faut enlever la MIC du bilan de la Banque de Maurice en vendant l’organisme au gouvernement ? 

Nous avons toujours proposé que la MIC se transforme en un sovereign fund. Le timing de cette transition a toujours été une question d’appréciation, car il dépend de la capacité des finances publiques à effectuer cette transaction. Celle-ci consiste à rémunérer la banque centrale pour cette ponction sur sa balance sheet. 

L’objectif est d’arriver à un niveau auquel des entreprises puissent se lancer dans l’approvisionnement et la revente d’eau de manière localisée"

Maintenant, la complexité qui vient s’ajouter à l’équation concerne certains actifs de la MIC. Les actifs bona fide, surtout ceux découlant du secteur hôtelier, sont aujourd’hui dans une position bien plus solide. Il y a aussi une partie sur Air Mauritius, pour qui l’aide aurait de toute manière été inévitable durant la pandémie. Mais il faudra également savoir ce qu’il en sera de l’impact des actifs non performants, comme ceux qui font aujourd’hui un peu l’actualité. 

La dette brute du secteur public à la fin juin 2024 s’élevait à Rs 559,1 milliards. Cette situation s’explique principalement par l’augmentation de la dette des entreprises publiques (+Rs 3,3 milliards), en particulier pour Air Mauritius Ltd. Celle-ci est détenue à 100 % par Airport Holdings Ltd. Après toutes ces années de gestion par l’État qui ne semble pas avoir l’effet escompté, faut-il songer à une privatisation de cette compagnie ? 

Durant la pandémie, Business Mauritius avait dit qu’Air Mauritius représentait un atout stratégique pour Maurice. Aujourd’hui, il faudrait ajouter à cette appréciation que la compagnie nationale peut être un atout stratégique si elle est bien gérée. En ce sens, l’apport limité d’un partenaire stratégique pourrait permettre de respecter une certaine discipline de gouvernance. 

La connectivité aérienne limitée est préjudiciable au secteur touristique. Bien que Maurice soit bien relié à des marchés clés comme l’Europe, l’Inde et l’Afrique du Sud, la fréquence limitée des vols, les tarifs aériens élevés et la concurrence d’autres destinations peuvent dissuader les visiteurs potentiels. Quelles devraient être les priorités du nouveau conseil d’administration d’Air Mauritius ?

On doit d’abord insister sur le fait que la connectivité aérienne reste une priorité qui mérite une collaboration étroite entre les secteurs public et privé. Plutôt que de tourner à plein régime sur toutes les destinations, il serait judicieux de prioriser certains marchés. Et il faut s’assurer qu’on ait des « business frequencies » sur ceux-là, notamment avec un minimum de trois vols par semaine. Pour ce qui est des marchés asiatiques, bien qu’il y ait une amélioration certaine avec l’Inde, il faudra aussi pouvoir exploiter le potentiel qui existe sur d’autres destinations, comme le Japon et la Chine. Cette stratégie devrait aussi se faire en diapason avec un modèle hub-and-spoke, comme le font déjà Emirates, Turkish Airlines et Saudi Airlines. Ce qui nous permettrait d’atteindre certains marchés attractifs qui ne seraient pas possibles en connexion directe.

En tant que Mauricien, j’ai été navré de voir Air Mauritius se retrouver en 2024 sur la liste des dix compagnies aériennes les moins performantes selon le AirHelp Score. 

Il y a des blocages dans la chaine d’expérience du voyageur qui sont entièrement rectifiables, par exemple au point de contrôle de la santé et encore au niveau du stationnement. Et puis, espérons qu’en s’appuyant sur ce cachet fort de l’hospitalité mauricienne, on puisse aussi aider la compagnie nationale à reprendre son envol. Il y aura des investissements à prévoir pour la flotte et pour l’amélioration du service, par exemple. Nous pensons ici qu’une collaboration des secteurs public et privé permettra d’accélérer ce processus. 

On note aussi le coût exceptionnellement élevé des billets d’avion en décembre et durant les premiers mois de l’année, ce qui jouera sur la performance du secteur hôtelier.

Air Mauritius peut être un atout stratégique si elle est bien gérée"

La situation est tendue au port entre le représentant syndical de la Port-Louis Maritime Employees Association et le nouveau directeur général de la Cargo Handling Corporation Ltd. En raison de la faible productivité du port, les compagnies maritimes risquent fort de délaisser Port-Louis au profit d’autres ports plus productifs de la région. Quelles sont les mesures nécessaires pour redresser la situation ?

La question est devenue pressante. Et nous savons qu’il existe des solutions réalisables. Un comité public-privé permettra de trouver des solutions efficaces, avec une mise en application rapide. 

Il faudra aussi mettre l’accent sur un autre élément clé : la productivité, ce qui passe par une bonne gestion des ressources humaines. Nous pensons que la nouvelle direction œuvre en ce sens. 

Le secteur manufacturier représente environ 12 % du PIB et 15 % du nombre d’emplois. La croissance du secteur s’est ralentie pour atteindre approximativement 0,7 % en moyenne annuelle durant les dix dernières années, contre 2,5 % les années précédentes. Comment améliorer la productivité et l’efficacité des PME afin de les rendre plus compétitives sur les marchés d’exportation ?

Notre comité PME se penche actuellement sur des recommandations, avec pour axes principaux les besoins de financement, l'ease of doing business, l’adoption de nouvelles technologies pour les PME et le renforcement des capacités. 

Il y a un potentiel fort pour Maurice comme pourvoyeur de services à l’exportation sur le marché africain. Ce qui présente des opportunités pour les PME professionnalisées, offrant des services avec des standards de qualité. 

L’Association of Mauritian Manufacturers, notre membre partenaire, avec son projet Made in Moris, offre aussi un autre axe de développement important, avec des normes reconnues et une visibilité sur la valeur ajoutée mauricienne.

Le conseil des ministres a annoncé la création d’un comité technique  qui examinera les demandes des travailleurs qui doivent prendre des congés en raison de la fermeture des écoles et des crèches en cas d’alerte de fortes pluies. Le secteur privé va-t-il adopter  les décisions qui seront prises en ce sens ?

Il est impératif que le monde des affaires soit consulté sur ce sujet. Nous avons proposé plusieurs recommandations sur le besoin de bouger vers une fermeture localisée lors des alertes de fortes pluies, visant ainsi les zones à risques, tout en permettant au reste du pays de fonctionner. 

Au niveau des entreprises, la sécurité des employés est  sine qua non. Et il est tout à fait possible de s’organiser à travers nos heavy rainfall committees pour que les besoins des employés de ces zones puissent être pris en compte. Il faut aussi comprendre qu’avec le changement climatique, ces épisodes deviendront de plus en plus fréquents. Et il est nécessaire de trouver des solutions et des moyens d’adaptation efficaces : par exemple la technologie. Certains cadres travaillent à distance. 

Pour les écoles, les cours en ligne, démarche soutenue par les autorités, sont préconisés. 

La stabilisation pérenne de la Roupie ne pourra venir qu’avec un ajustement du différentiel entre le taux d’intérêt de la Banque de Maurice, aujourd’hui à 4 %, et ceux des devises fortes"

La Central Water Authority a enregistré un déficit de Rs 300 millions pour l’exercice 2023-24. L’année 2024 a été caractérisée par des périodes de sécheresse record entraînant un épuisement progressif des ressources en eau. Le stockage actif des principaux réservoirs au 9 janvier 2025 était de 41,1 %. Comment mesurez-vous l’impact de la pénurie et le manque de fiabilité de l’approvisionnement en eau pour le développement économique du pays ? Et comment répondre à ces problématiques ? 

On a tiré la sonnette d’alarme par rapport à l’eau depuis un moment. Et nous avons depuis fait plusieurs représentations à différents niveaux en ce sens. Business Mauritius avait lancé en 2023 les Water Stewardship Guidelines pour guider les entreprises vers une meilleure gestion de l’eau. Aujourd’hui, notre Water Stewardship Forum continue ce travail en encourageant de plus en plus d’entreprises à s’équiper en ce sens, et afin de travailler en collaboration avec les autorités sur la gestion de l’eau. 

Le secteur privé contribue aux efforts nationaux à travers des projets sur le water efficiency, calés sur le modèle utilisé pour l’efficacité énergétique. L’objectif est d’arriver à un niveau auquel des entreprises puissent se lancer dans l’approvisionnement et la revente d’eau de manière localisée. L’eau de pluie déversée à la mer pendant les crues peut être captée. Le dessalement et le traitement de l’eau peuvent être envisagés. Il faudra revoir le cadre légal et respecter les droits d’eau. 

La dépréciation de la roupie de 6,3 % en 2024 a conduit à une augmentation artificielle de Rs 25 milliards des réserves internationales officielles brutes de Maurice. La Banque de Maurice vise à consolider les réserves tout en appréciant la monnaie locale. Est-ce un équilibre facile à trouver ? 

Des mesures ont été clairement annoncées par le gouverneur afin de stabiliser la roupie et de consolider les réserves. Les membres de Business Mauritius participent à cet effort commun. Cependant, la stabilisation pérenne ne pourra venir qu’avec un ajustement du différentiel entre le taux d’intérêt de la Banque de Maurice, aujourd’hui à 4 %, et ceux des devises fortes, comme la Réserve fédérale américaine ou encore celui de la Banque d’Angleterre, qui sont tous les deux supérieurs. 

À en croire le rapport ‘State of the economy’, durant ces dernières années, les contraintes du marché du travail se sont aggravées en raison de l’importante fuite des cerveaux. Un pourcentage élevé de diplômés mauriciens quittent le pays pour travailler à l’étranger. A-t-on attrapé les taureaux par les cornes pour inverser cette tendance ?

Le rapport de Business Mauritius sur la fuite des cerveaux avait été effectué en 2022, et les données avaient été alors partagées avec les ministères concernés. En 2023, nous avions ensuite développé le National Employee Engagement Survey, duquel sont ressorties des actions concrètes pour mieux engager les talents. 

Néanmoins, il faut reconnaitre qu’il y a un désir légitime pour les professionnels, à travers le monde, d’évoluer, pour un temps, sous d’autres cieux. Et les professionnels mauriciens ne font pas exception. C’est la raison pour laquelle la connexion avec la diaspora mauricienne devient de plus en plus importante. À notre niveau, nous sommes en pourparlers avec quelques organisations dans plusieurs parties du monde, afin de partager des idées et de formuler un plan pour engager cette diaspora. Nous avons aussi été consultés par l’État sur quelques initiatives prometteuses par rapport à la diaspora. Quant aux entreprises mauriciennes, accéder à ces talents présenterait des avantages certains.

La compensation salariale sera calculée après des négociations tripartites et tenant compte du taux d’inflation. L’année dernière, le secteur privé a attiré l’attention sur l’impact des différentes augmentations de salaire sur le coût de production. Quel doit être le montant de la compensation salariale 2025, selon Business Mauritius ?

La compensation salariale cette année a été déterminée unilatéralement par l’État, sans consultation. Il faut rappeler qu’en cumul, le secteur privé a vu durant l’année écoulée une augmentation d’environ 40 % de sa masse salariale. Cette hausse n’a aussi pas tenu compte des spécificités des entreprises. Par exemple, un employeur payant déjà ses employés au-dessus du minimum prescrit par la loi est pénalisé, car il a été tenu d’augmenter ses employés au même niveau que ceux qui payent le minimum. Cette distorsion a été néanmoins avalisée par l’Assemblée nationale en décembre. 

Avec autant de coûts, nous avions donc demandé à ce qu’une compensation additionnelle ne soit pas rajoutée, mais il a été décidé autrement. Pour nous, il est primordial de mettre en première ligne la compétitivité de Maurice. Celle-ci est déterminée d’un côté par les coûts de production dont la main-d’œuvre représente une grande partie. De l’autre côté, il y a la capacité de rajouter de la valeur qui découle, quant à elle, de la productivité, de l’innovation et de la complexification de nos produits et services.

La solution que certaines entreprises affectées par cette hausse conséquente obtiennent des soutiens de l’État n’est pas soutenable dans le temps. Bien qu’elle soit nécessaire dans le court-terme.

Depuis l’exercice 2023-2024, les paiements effectués au titre de la Contribution sociale généralisée (CSG) dépassent par Rs 3,2 milliards les cotisations perçues. Cet écart devrait atteindre Rs 9 milliards au cours de l’exercice 2024-25. Quelle est la position de Business Mauritius à ce sujet ? 

Notre action en justice découlait justement de notre demande pour que les fonds recueillis dans la CSG soient isolés, afin de ne pas laisser place à un gouffre. Ce qui avait même été relevé dans le jugement du tribunal. Aujourd'hui, il semble que tout cet argent ait été versé au Consolidated Fund, sans qu’il ait été ringfenced. La CSG allait augmenter les charges sociales d’une manière qui aurait été difficilement soutenable. 

Il est urgent de s’atteler à une réforme de notre système des pensions – et c’est une demande que nous faisons depuis un moment. Il existe des besoins d’harmonisation des pensions privées et du Portable Retirement Gratuity Fund (PRGF). La pension contributive et universelle devrait aussi se complémenter plutôt que l’une remplaçant l’autre. Le modèle contributif qui existait avec le National Pension Fund (NPF) avait sa raison d’être. Et avec quelques améliorations, il pourra répondre à nos besoins, comme la Banque mondiale et l’Association des actuaires l’ont indiqué.

Nous avons toujours proposé que la MIC se transforme en un sovereign fund"

La procédure de contrôle judiciaire de Business Mauritius qui était initialement prévue le 25 novembre 2024 avait été reportée pour le 13 janvier 2025 avant d’être de nouveau reportée au 27 janvier. Quelle est la raison de ces reports ? 

Comme nous le savons, les procédures de demande et d’échange d’informations par les deux parties concernées peuvent parfois nécessiter du temps. Et, pour  la décision du juge aussi. C’est là où nous en sommes concernant cette affaire.  

Business Mauritius est-elle optimiste d’avoir gain de cause alors que les paiements eu égard de la relativité salariale ont déjà été effectués et que le temps de l’affaire devant le tribunal est indéterminé ?

Le principe qui importe dans cette affaire consiste à dire que les sections de la loi qui ont été invoquées ne peuvent être prises comme garants de pouvoir tous azimuts.

Nous espérons que la législation imposée l’année dernière soit revue pour que ce ne soit qu’un one off, et que nous privilégions tous la bonne gouvernance et le respect des checks and balances.

Des mesures ont été mises en place à l’aéroport et au port par rapport au métapneumovirus. Comment est-ce que le secteur privé s’y prépare et appréhendez-vous l’impact que pourrait avoir ce virus sur l’économie de Maurice ?

Selon différentes sources médicales, nous savons que le virus HMPV est plus susceptible de toucher les très jeunes et les plus âgés. Et il ne mènerait pas à une situation comparable à celle de la covid-19. À ce stade, nous pensons qu’il n’y aura que peu d’incidence sur l’absentéisme dans les entreprises.

 

 

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