Une nouvelle ère s’annonce en 2023 pour le système judiciaire. Chamboulé par la pandémie de COVID-19 tout comme d’autres secteurs, il a dû s’adapter et innover. Mais il y a encore tant à faire pour que la justice soit « rapide et accessible » pour chacun de nous. Voici ce que proposent les légistes.
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Me Pazhany Rangasamy : « Il est temps de réduire le nombre de victimes de ‘sale by levy’ »
Me Pazhany Rangasamy, avoué, propose deux changements cruciaux. Il estime d’abord qu’il est urgent de réduire le nombre de victimes de « sale by levy ». Pour ce faire, il suggère que le législateur apporte un amendement à la Sale of Immovable Property Act. Selon l’avoué, ce que préconisent nos lois, dans leur forme actuelle, c’est qu’un créancier ait la possibilité de traîner en justice le débiteur afin de saisir ou de mettre en vente à la barre la propriété de ce dernier devant la Master’s Court pour ne pas avoir honoré ses engagements financiers.
Me Pazhany Rangasamy explique qu’en premier lieu, le créancier devra faire servir une « notice of commandment » au débiteur pour le sommer de payer la totalité de la dette, les commissions d’avoué et les frais de justice dans un délai de dix jours. Sinon, le créancier procédera à la vente du bien qui fait aussi l’objet d’une saisie devant la justice.
« Comment un créancier qui n’a pas les moyens de s’acquitter d’arrérages trouvera-t-il de l’argent pour payer la somme restante du prêt dans un délai de dix jours ? », s’interroge Me Pazhany Rangasamy. Pour lui, ceci est indispensable. Il estime que le débiteur a une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Il évoque qu’actuellement, les documents versés au dossier qui est remis au tribunal sont uniquement le « notice of commandment », les publications dans les journaux et la pétition. Me Pazhany Rangasamy est d’avis qu’il faut revoir le dossier qui est remis en cour. Pour lui, il doit aussi contenir les correspondances échangées entre le débiteur et le créancier, un relevé des comptes soutenant le montant réclamé dans la pétition et le calcul des intérêts.
Dans cette optique, soutient-il, le tribunal sera en présence de ces documents requis et il pourra en toute transparence trancher s’il y a lieu que le créancier procède à la vente du bien du débiteur. En dernier lieu, la chance doit être donnée au débiteur d’exiger que des relevés de son compte bancaire complets et détaillés soit remis à la cour afin de confirmer s’il est vraiment dans une situation précaire.
« Je présume que la Mauritius Revenue Authority doit exercer un contrôle strict de tous les acquéreurs, dont les biens saisis leur ont été adjugés par la cour afin de s’assurer qu’ils n’agissent pas comme des prête-noms pour certains », soutient l’avoué.
Division familiale
Me Pazhany Rangasamy propose aussi de revoir le fonctionnement de la division familiale de la Cour suprême, car, dit-il, cette instance est différente des autres vu qu’elle traite les affaires matrimoniales. Il suggère, pour 2023, qu’il y ait au moins quatre juges qui siègent en Cour familiale. « Il y a seulement deux juges pour présider la division familiale de la Cour suprême. C’est insuffisant en raison du nombre croissant d’affaires matrimoniales. Le nombre devrait être porté à au moins quatre », propose l’avoué.
Il pense également que le législateur devrait amender la Divorce and Judicial Separation Act. « Nous devons garder à l’esprit que la division familiale est complètement différente des autres instances liées à la Cour suprême. Il faudrait une approche différente pour traiter les cas matrimoniaux qui affectent notre société quotidiennement », évoque Me Pazhany Rangasamy.
Il est d’avis que les affaires familiales doivent fonctionner comme un tribunal de médiation où le juge peut entendre les époux à huis clos. Cela devrait se faire autour d’une table, en présence de leurs conseils juridiques respectifs ou d'un psychologue, d’une personne religieuse ou d’un représentant de la Child Development Unit.
Autre constat de l’avoué : la division familiale devrait explorer toutes les voies possibles pour trouver la réconciliation entre les parties dans l’intérêt des enfants et ceux des époux eux-mêmes. « De nombreuses affaires matrimoniales sont renvoyées pour des raisons peu solides, alors qu’elles peuvent être facilement réglées. Mais à cause d’un problème d’ego ou des indifférences entre les parties, il n’y a pas de résolution », estime Me Pazhany Rangasamy. Il fait aussi ressortir que le nombre de divorces augmente considérablement.
Me Yusrah Ayesha Aumeer : « Il faut la numérisation à tous les niveaux »
Selon Me Yusrah Ayesha Aumeer, le système judiciaire est jusqu’ici resté dans le domaine traditionnel. Elle propose que les audiences se fassent davantage par visioconférence, ce qui éviterait à de nombreuses personnes de se déplacer. Elle plaide aussi pour l’introduction d’un système d’enregistrement numérique et électronique. Pour elle, il est temps d’innover.
Si elle se dit consciente que certains projets impliquent un coût conséquent, elle estime néanmoins que le pays en sortira gagnant. Me Yusrah Ayesha Aumeer explique que les tribunaux de Maurice existent depuis plus de 100 ans. Elle souligne qu’avec la pandémie de COVID-19, tous les aspects de notre quotidien ont subi un coup rude et ils le sont toujours.
« L’humanité fait face à l’une des plus grandes crises de notre génération et notre système judiciaire n’a pas été épargné », soutient l’avocate. Elle ajoute que l’heure n’est pas à la critique, mais plutôt à la rechercher d’avenues pour refaçonner le système judiciaire. Elle souligne l’importance de travailler à l’amélioration des ressources existantes pour que les avocats puissent aider leurs clients.
Nos cours de justice, selon Me Yusrah Ayesha Aumeer, ont toujours opté pour une approche traditionnelle, exigeant la présence des parties concernées, de témoins, de membres du personnel judiciaire, d’avocats, de magistrats ou de juges, même au stade préliminaire des audiences.
Tribunal visuel
Me Yusrah Ayesha Aumeer précise que le Royaume-Uni, lui, a dépassé ce stade. Selon elle, un nombre croissant d’audiences préliminaires se déroulent par visioconférence, ce qui ne nécessite pas la présence des parties concernées dans une salle.
L’avocate pense que l’adoption de cette méthode à Maurice, à l’étape préliminaire des audiences, découragerait considérablement des renvois frivoles et allégerait l’amoncellement des cas dans nos cours de justice.
« Il est temps que le gouvernement prenne des initiatives audacieuses pour moderniser le système judiciaire en vue de tenir certaines audiences en ligne. Il est vrai que les installations technologiques existantes dans la plupart de nos cours de justice sont inadéquates. Il est primordial de former les membres du personnel du système judiciaire pour qu’ils s’adaptent à l’utilisation des nouvelles technologies », suggère Me Yusrah Ayesha Aumeer.
Cependant, poursuit-elle, la mise en œuvre de ces changements peut coûter une somme considérable surtout en cette période d’austérité. Mais si ces changements se concrétisent, nous économiserons une somme conséquente au fil des années en éliminant de nombreux coûts liés à un système juridique noué à l’usage du papier. « À Maurice, c’est uniquement la division commerciale de la Cour suprême qui a évolué avec la mise en place d’un système judiciaire électronique aussi connu comme l’e-Judiciary », indique-t-elle.
De plus, Me Yusrah Ayesha Aumeer, est d’avis que l’infrastructure de nos salles d’audience n’est pas entièrement conforme aux normes en vigueur pour les personnes porteuses d’un handicap physique. Selon elle, la mise en place de l’audition à distance sera assurément un tremplin pour offrir un meilleur traitement à ces personnes.
« L’introduction du système judiciaire électronique et son adoption visent à restructurer le processus judiciaire et à réduire les opérations sur papier. Il est indéniable que ce système a accéléré le rythme auquel des affaires en cour commerciale sont résolues », affirme l’avocate.
Autre avantage de ce système, selon elle, est que les avocats sont désormais en mesure de maximiser leurs heures de travail pour offrir un service de meilleure qualité et assister davantage leurs clients. Me Yusrah Ayesha Aumeer ajoute que le système judiciaire devrait étendre ce service à d’autres divisions de la Cour suprême et à d’autres juridictions.
L’avocate soutient que la qualité et l’exactitude des audiences sont d’une importance vitale pour les avocats, les juges et les magistrats dans la détermination des jugements. « La nécessité de mettre en œuvre le système d’enregistrement numérique des audiences dans certaines cours de justice est toujours attendue. Le concept de justice transparente est vital pour le bon fonctionnement de notre système judiciaire et pour maintenir la confiance dans la justice », précise-t-elle.
Me Ashvin Krishna Dwarka : « Vers les sociétés professionnelles de notaires en 2023 »
Me Ashvin Krishna Dwarka, notaire, estime que la profession de notaire doit évoluer. Il prône pour les sociétés professionnelles de notaires plutôt que d’exercer seul. Il indique les avantages d’une société professionnelle, en matière de lutte anti-blanchiment et les inconvénients de l’exercice en solitaire.
Me Ashvin Krishna Dwarka rappelle que la profession de notaire à Maurice remonte à presque 300 ans. « L’État délègue une parcelle de ses prérogatives au notaire, ce qui lui permet d’établir des actes authentiques », explique-t-il.
Il évoque qu’en France, sur 16 514 notaires, presque 10 000 exercent comme associés au sein de 4 420 sociétés professionnelles. Le nombre de notaires n’y est pas limité, mais la liberté d’installation l’est. À Maurice il y a environ 60 notaires, tous titulaires de charges individuelles, alors que le nombre de notaires est légalement plafonné à 100.
« Devons-nous émuler la France, et faire évoluer la profession notariale vers un exercice en société, avec un nombre de notaires libre et adapté à la demande du marché ? », demande-t-il.
Assurer la pérennité des études
Pour lui, les sociétés professionnelles de notaires constitueraient une évolution favorable dans le domaine juridique à Maurice en 2023. Et ce sera dans l’intérêt collectif des notaires existants, des futurs notaires et du public.
Aujourd’hui, un notaire en fin de carrière, n’a plus d’incitation à assurer la pérennité de son étude notariale. Ce qui décourage tout jeune notaire de reprendre une étude qui périclite.
Or, dans le cadre d’une société professionnelle, un notaire approchant la retraite peut céder graduellement à un ou plusieurs associés ses parts sociales, lesquelles sont valorisées, à hauteur de la clientèle qu’elles représentent.
Il explique qu’une société professionnelle permettrait au notaire en poste de sortir du dilemme que lui impose le système actuel. Selon lui, en proposant à de jeunes notaires de s’associer au sein d’une société professionnelle, un notaire senior pourra les motiver à faire grandir l’activité de l’étude notariale.
Surmonter les difficultés
Selon lui, la légendaire difficulté des examens d’aptitude à la profession n’est que le reflet de la pratique professionnelle. Pour un notaire, chaque jour est un examen, chaque dossier recèle moult pièges avec l’épée de Damoclès de la responsabilité personnelle. Pour lui, l’examen d’aptitude détermine qui est capable d’affronter de telles épreuves au quotidien dans sa profession.
« Après l’examen, le notaire diplômé effectue son stage obligatoire de deux ans chez un notaire senior. Puis, une fois titularisé, il se hâte de quitter le nid. Ce cheminement se fait au détriment du notaire senior, qui perd un collaborateur de qualité et parfois même des clients qui le suivent », souligne-t-il.
Ce scénario, dit-il, est aussi dommageable pour le jeune notaire nouvellement installé. Il travaille sans garde-fou et ne sait pas se prémunir des manœuvres de personnes mal intentionnées. Celles-ci foisonnent dans le monde des affaires et de l’immobilier.
Des escrocs munis de titres de propriété fictifs de plus en plus sophistiqués, ou de fausses procurations. Des criminels qui se livrent aux manigances les plus élaborées pour dissimuler l’origine illicite de leurs fonds, entre autres.
Il ajoute que ce jeu à somme nulle cesserait si l’on adoptait les sociétés professionnelles notariales. Le notaire en exercice n’aurait plus à craindre de s’entourer de jeunes compétents et motivés. Et, ces derniers ne rechigneraient plus à se donner à fond, car ils en récolteraient les bénéfices. En outre, en y intégrant la notion de notaire salarié, on permettrait une responsabilisation et une formation accélérée des diplômés-notaires.
« Dans le système français, le “ numerus clausus ” n’a plus vraiment de pertinence. Si le nombre de charges notariales est limité, le nombre de notaires n’a plus de plafond légal. L’accès à la profession se fait alors sur des bases plus égalitaires », évoque-t-il.
« Les sociétés de notaires sont une prime à la compétence plutôt qu’au réseautage. Lorsqu’on n’a pas déjà ses assises dans le notariat, devenir notaire associé est le point d’entrée le plus sécurisant dans la profession », conclut-il.
Autorégulation et lutte anti-blanchiment
Le principal bénéfice, dit-il, serait l’autorégulation interne de la profession. Les seules sources de risque dans le notariat sont l’erreur ou la malhonnêteté, évoque-t-il.
« Les sociétés de notaires encouragent le traitement collectif, de questions complexes. La qualité des prestations fournies aux clients s’en trouverait améliorée, et le risque d’erreur éliminé. »
De surcroît, chacun est responsable des actes de ses associés. Et il est évident qu’une assurance responsabilité sera souscrite par la société professionnelle.
Quant au manque d’intégrité, soutient-il, que l’on peut dissimuler en solitaire, il n’aura plus sa place au sein d’une société professionnelle. Car chaque associé devient le chien de garde déontologique des autres, notamment, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Et si l’on introduit à Maurice, le fonds d’études notariales qui existe au Québec depuis 40 ans ou bien l’organe centralisé de prévention en matière de blanchiment de capitaux, adopté par le notariat espagnol depuis 2005, le blanchiment d’argent, sera totalement éliminé du secteur immobilier.
Pour Me Ashvin Krishna Dwarka, la société professionnelle de notaires est une évolution essentielle du notariat en 2023.
Me Penny Hack : « Vers un retour à nos valeurs constitutionnelles »
Me Penny Hack est catégorique. Il faut un retour à nos libertés fondamentales pour face à des abus de l’État. Car, dit-il, notre système « démocratique » depuis quelques années a été transformé en autocratie.
Il préconise un retour à nos libertés fondamentales, face aux abus de l’État. C’est-à-dire le droit à la liberté, la protection contre les traitements inhumains, la protection de la vie privée, la liberté de conscience, la liberté d’expression, la liberté de réunion et d’association, la liberté de circulation, la protection contre la discrimination et sur toute la protection de la loi.
Selon l’homme de loi, le système « démocratique » local a été transformé en autocratie, depuis quelques années. « Nos autorités publiques, imbues de leurs impunités juridiques, abusent au quotidien des citoyens », soutient-il. Ce dernier est d’avis qu’elles font fi des lois, du système judiciaire et n’hésitent pas à « voler au grand jour, même de piéger, ou assassiner des gênants ».
« Nos tribunaux ont perdu leurs autorités face à l’exécutif. Nous avons perdu un contre-pouvoir et un gardien de la démocratie. », estime-t-il.
Un autre constat c’est que le citoyen lambda qui fait face à l’état dans un procès, au pénal, au civil, ou en droit public, fait face à une force presque insurmontable à plusieurs niveaux.
« Je comprends que la justice se doit d’être aveugle. Mais, elle ne doit pas être aveugle à la justice ou à la réalité. La balance a besoin d’un recalibrage et le handicap doit être pris en considération avec sympathie », dit-il.
D’un côté, il suffit d’avancer : l’intérêt public, la raison d’État, le bien national, ou les combats nationaux, afin de profiter d’une présomption en faveur des autorités publiques.
De l’autre côté, avance-t-il, la perception générale est que la corruption a engrainé nos instances publiques. Et qu’elles n’ont cessé de travailler en notre défaveur depuis belle lurette. Et que la présomption de bienfaisance n’existe plus. Pour lui, le couperet doit tomber.
« Nos libertés et l’état de droit ne valent pas grand-chose aujourd’hui, hélas. Je souhaite un retour à nos valeurs constitutionnelles », lance-t-il.
Me Reena Ramdin plaide pour une connaissance de la loi dans son ensemble
Me Reena Ramdin prône pour une meilleure « vulgarisation de la loi » dans son ensemble, c’est-à-dire, l’accès public à l’information juridique et à la connaissance des droits fondamentaux en des termes simples.
Vulgariser les lois, explique-t-elle, c’est prendre le temps de communiquer et d’expliquer dans un langage clair et adapté ses droits et les conséquences y afférentes à une personne qui n’a aucune formation et connaissance légale.
« Malgré tout l’arsenal juridique c’est-à-dire les lois écrites et les décisions de justice que nous avons dans notre pays, nous voyons qu’il reste beaucoup de travail à faire dans ce domaine », constate l’avocate.
Certes, dit-elle, nos lois et les jugements des tribunaux locaux sont accessibles par le biais d’Internet. Mais, est-ce suffisant pour s’assurer que « nul n’est censé ignorer la loi » ? demande Me Reena Ramdin.
Elle ajoute que la vulgarisation de la loi a pour but d’assurer la « connaissance du droit » pour qu’un individu sache imposer des limites pour se faire respecter et à son tour respecter l’autre. « Ceci est d’autant plus pertinent dans les cas des violences domestiques et les cas de non-respect des droits des enfants, mais pas seulement », indique-t-elle.
Un autre point soulevé par Me Reena Ramdin est que la connaissance du droit aide à reconnaitre à temps les manquements aux lois et à y remédier pendant les délais prescrits, par voie extrajudiciaire ou judiciaire. C’est valable pour tous les secteurs professionnels ou commerciaux, pour un employeur ou pour un employé.
Elle soutient également que la non-connaissance du droit et par conséquent le non-respect des droits à un coût. Il est non seulement humain, mais aussi social et économique.
« La non-connaissance du droit par une partie de la population peut aussi avoir un coût politique surtout avec l’avènement des réseaux sociaux de nos jours. La désinformation légale peut aussi devenir un moyen utilisé pour influencer l’opinion publique et fausser une élection générale, par exemple. D’où le besoin urgent de remédier à ce manquement dans toute société démocratique », fait observer Me Reena Ramdin.
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