Notre invité œuvre au sein de la Fondation Hirondelle qui gère des radios dans des zones de conflits. Il évoque le quotidien des journalistes dans des pays en crise et fait part de ses observations sur l’évolution de la situation sociale à Maurice.
[blockquote]« Notre métier est avant tout de rapporter des faits, vérifiés de manière rigoureuse. »[/blockquote]
Racontez-nous ce parcours qui vous a mené de Radio One à des radios de la Fondation Hirondelle en Afrique ?
En quittant Maurice en 2003, j’ai intégré l’équipe de la Fondation Hirondelle. Cette organisation soutient des médias en zones de conflit et dans des pays fragiles. Dans ces pays, la radio est reine. J’ai occupé des postes de formateur et de chef d’antenne à Radio Okapi en République démocratique du Congo avant de devenir Chargé de Programme, un poste de gestion et de développement stratégique pour Radio Miraya au Soudan du Sud et maintenant en République centrafricaine pour Radio Ndeke Luka. Okapi et Miraya m’ont aussi permis de travailler en partenariat avec des missions de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies. Mon expérience de journaliste radio et de presse écrite est un formidable atout pour le poste de gestionnaire et de développeur de médias que j’occupe depuis dix ans.
Faire du journalisme dans des zones de conflit est sans doute une expérience éprouvante. Pouvez-vous nous en parler ?
Le journalisme est l’un des métiers les plus dangereux pratiqués sur ces terrains. Nous sommes extrêmement exposés. Il faut énormément de courage pour aller au front, braver les tensions, garder la tête froide et ramener une information factuelle, rigoureuse, sans parti-pris. C’est une école dure et il faut aussi être capable de continuer quand des collègues tombent. Deux de nos journalistes ont été tués. Notre réponse à la barbarie qui les a frappés était de poursuivre notre travail.
Quelles leçons tirer de cette expérience ?
Les médias de la Fondation Hirondelle ont une ligne éditoriale stricte : nous ne diffusons que des faits et aucun commentaire de nos journalistes. Les points de vue sont ceux des intervenants extérieurs. Notre métier est avant tout de rapporter des faits, vérifiés de manière rigoureuse. Il est de veiller à l’équilibre, éviter toute perception de parti pris. Sur ces terrains, comme ailleurs je pense, l’auditeur ou le lecteur a, avant tout, besoin d’une information complète et fiable et de divertissements qui les font grandir. C’est cette formule, complexe à appliquer et coûteuse, qui a fait l’immense succès de nos médias là où nous sommes. Cette rigueur est également ce qui nous protège.
À l’ère de la mondialisation et du numérique, les médias doivent-ils avoir le même rôle partout ?
Je parlerais ici de médias publics ou privés qui ont une mission de service public. Je pense que quel que soit le contexte technologique ou politique, quels que soient les terrains, ces médias conservent leur rôle de gardien de la démocratie, d’observateur du respect des Droits de l’Homme. Ils permettent aux citoyens de se construire une opinion sur la base de faits. Ils poussent à l’accountability des gouvernants. Les évolutions technologiques nous obligent aussi à davantage de rigueur. Plus que jamais, dans un monde où tout est commenté, où chaque individu est un potentiel diffuseur de contenus, le métier de journaliste est nécessaire pour faire le tri, hiérarchiser, apporter un éclairage. Il en va de même pour chaque animateur, présentateur, qui est appelé à faire le tri dans le flot de contenus qui lui parvient.
L’Internet est une menace pour la presse écrite surtout dans les économies avancées. En est-il de même pour les radios en Afrique ?
I beg to differ. Je trouve, pour ma part, que l’internet est une formidable opportunité pour la presse écrite et les radios. Il ouvre des champs de possibilités qui restent à explorer. Les habitudes de consommation de médias changent. Nous sommes aujourd’hui à un carrefour où se rencontrent ceux qui tiennent un journal papier et d’autres des smart phones, des tablettes. La difficulté aujourd’hui pour un entrepreneur de presse est de maintenir les deux et trouver les moyens de rentabiliser une offre on-line perçue comme gratuite, d’adapter des équipes existantes aux nouveaux modes de production tout en gardant ses lecteurs et sa qualité. C’est un immense challenge qu’il faut relever pour accompagner les nouveaux modes de consommation des médias. Une question de survie. Le succès de Mediapart, en France, est un modèle, un laboratoire à observer, à analyser. Dans les pays où j’ai travaillé, cette révolution est en marche. Elle génère de l’enthousiasme. En ces jours où notre environnement est menacé, utiliser moins de papier serait un bel engagement pour nos enfants.
Quelle différence y-a-t-il entre travailler pour une entreprise commerciale et œuvrer au sein d’une fondation ?
Le choix des verbes « travailler » et « œuvrer » dans votre question apporte une partie de la réponse. La Fondation Hirondelle place la dignité humaine au centre de son action. Elle apporte une réponse éditoriale à des souffrances. Cette approche est assumée et elle correspond à mes valeurs. Elle est accompagnée d’une indépendance totale qui est, je le mesure chaque jour, un luxe. Dans les médias mauriciens où j’ai travaillé j’ai aussi bénéficié d’une liberté totale. Il y a, à Maurice, des hommes et femmes de médias qui ont à cœur la dignité humaine et le respect des autres. Mais je vois la pression économique très forte. Jusqu’à quel point cela influe sur l’éditorial ? C’est un autre débat.
Parlant de liberté de la presse, vous avez déclaré « la liberté se mesure face à une autorité.» S’agit-il de la seule autorité politique ?
Je répondais à une question d’un confrère sur les pressions d’autorités militaires dans les pays en crise. Plus largement, je parlerais de toutes les autorités et les Pouvoirs : militaires, politiques, économiques, religieux. Cette liberté est accompagnée de devoirs et de responsabilités. Cette liberté ne doit pas être abusive.
Vous restez à l’écoute du pays. Le journaliste pourrait-il nous faire part des opinions d’un observateur éloigné, qui a donc du recul, sur l’évolution du pays ?
Sur le plan politique j’ai le sentiment qu’il y a des espoirs déçus. C’est peut-être aussi parce que les Mauriciens sont pressés et veulent voir leur vie vraiment changer et vite. La corruption, les affaires n’aident pas. Mais le plus urgent pour moi, c’est notre jeunesse exposée aux ravages des drogues de synthèse et le sentiment d’impuissance devant cette progression. S’il y a bien une cause pour laquelle nous devons tous nous tenir la main, c’est celle-ci : trouver les moyens de combattre ces lâches qui détruisent notre jeunesse, notre présent et notre avenir.
Vous observez aussi la profession…
Il y a de tout comme partout. Au Media Trust, jeudi dernier, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur le récent appel au boycott des travaux parlementaires par le groupe de presse La Sentinelle. Je dois dire que cela m’a surpris. C’est évidemment le droit de ce groupe de réagir ainsi. Mais avec quel résultat ? Sans aucun doute, il fallait une réponse forte à ce qui est vécu comme injuste. Il y a des recours légaux. Mais je pense que le boycott était une erreur. Au final, c’est le lecteur qui est pénalisé et se retrouve spectateur de ces tensions.
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