Le pouvoir d’achat a pris un sale coup en 2022. Et 2023 ne s’annonce pas mieux pour le porte-monnaie des ménages. Entre les prix des produits et services qui grimpent et les intérêts plus élevés à rembourser, les Mauriciens resteront sous pression.
Les observateurs économiques sont catégoriques : le changement d’année ne va rien changer au sort des ménages. « Il n’y aura pas de grande différence entre 2022 et 2023. La nouvelle année sera tout autant difficile pour les ménages, surtout pour ceux qui sont endettés », prévient Azad Jeetun, économiste. Zayd Soobedar, Founder & Managing Director de Strategic Insight Group et économiste, abonde dans le même sens. « La hausse successive et significative du taux directeur, qui devrait augmenter de nouveau cette année, ne va pas arranger la situation. À titre d’exemple, une personne qui a contracté un prêt de Rs 3 millions devra rembourser environ Rs 3 000 de plus par mois », fait-il ressortir.
La principale crainte porte sur le fait que le taux d’inflation pourrait rester élevé. « Ce qui implique que le pouvoir d’achat sera faible », soutient Azad Jeetun. D’ailleurs, observe-t-il, ce début d’année est déjà marqué par des augmentations des prix, notamment les dépenses pour les enfants, sans compter que l’électricité coûtera plus cher dans quelques semaines. « Les ménages devront continuer à se serrer la ceinture. Les effets de la hausse du taux d’intérêt se feront également sentir cette année. Le coût de l’emprunt sera plus élevé pour les nouveaux emprunteurs », ajoute-t-il. Et Shaktee Ramtohul, expert-comptable et consultant en affaires, de renchérir : « En effet, 2023 sera compliqué avec l’inflation qui va perdurer et les ménages qui devront rembourser plus d’argent aux banques. Et le tarif de l’électricité qui va augmenter affectera les budgets déjà serrés des ménages. »
Le paiement de la compensation salariale permettra-t-il de soulager les ménages ? « La compensation est la bienvenue. Elle sera ajoutée aux revenus des particuliers. Cela dit, dans la conjoncture économique difficile, les entreprises, qui sont également confrontées à divers défis, passeront les coûts de l’augmentation salariale aux consommateurs en majorant les prix de leurs produits et services », fait ressortir Zayd Soobedar. Quant à Azad Jeetun, il souligne qu’on donne la compensation d’une main, mais qu’elle sera reprise par l’autre main. « D’ailleurs, avant même de toucher la compensation, certains prix ont déjà grimpé. Cela ne joue pas en faveur des travailleurs », dit-il. Pour sa part, Yuven Peechen, chargé de cours en finance, avance qu’il n’y a pas assez de marge de manœuvre pour payer une compensation salariale de plus de Rs 1 000 étant donné la conjoncture. « Les Rs 1 000 seront vite englouties par les intérêts et les frais plus élevés », souligne-t-il. Les ménages sont donc prévenus !
Forte remontée de l’inflation
Année | Inflation globale | Inflation en glissement annuel |
---|---|---|
2021 | 4% | 6,8 % |
2022 | 10,8 % | 12,2 % |
Source : Statistics Mauritius |
La crainte d’une stagflation
Yuven Peechen ne se montre pas rassurant. « Si la politique monétaire ne parvient pas à contrôler l’inflation, nous ne serons pas à l’abri d’une situation de stagflation. Ce qui sera dangereux car les ménages devront rembourser des prêts à des intérêts plus élevés tout en payant plus cher des produits et services », appréhende-t-il.
Taux repo
Cinq hausses en un an
Date - Évolution du taux Repo
- 9 mars : 2 % (vs 1,85 % depuis décembre 2021)
- 3 juin : 2,25 %
- 28 septembre : 3 %
- 4 novembre : 4 %
- 14 décembre : 4,5 %
Les solutions à apporter
Azad Jeetun, économiste : « Il faudra contrôler l’inflation. Mais cela reste difficile car on a une dépréciation de la roupie. L’inflation ne peut être résolue sur le court terme. Il faudra venir de l’avant avec une politique cohérente. La croissance – si elle s’avère meilleure cette année - devrait aider à combattre l’inflation. »
Zayd Soobedar, Founder & Managing Director de Strategic Insight Group : « Les ménages doivent dépenser moins et épargner plus. Ce qui n’est pas vraiment le cas actuellement. À titre d’exemple, le chiffre d’affaires des commerces au cours du dernier Black Friday a grimpé de 50 % comparativement à 2021. Autre exemple, le taux de l’épargne a dégringolé de plus de 20 % en 2008 à environ 10 % actuellement. Il y a donc le ‘mindset’ à changer pour que les Mauriciens fassent plus attention à leurs dépenses. Il faut que la population soit éduquée financièrement. Ces 15 à 20 dernières années, nous avons eu une économie orientée vers la consommation. Dans la conjoncture actuelle, nous ne pouvons plus continuer dans cette voie. »
Yuven Peechen, chargé de cours en finance : « Les ménages doivent cesser de s’appuyer sur le gouvernement, le patronat et la compensation comme sur une béquille. Ils doivent revoir leur niveau de vie. Nous sommes plus une nation de consommateurs que d’investisseurs et d’épargnants. Or, c’est dans cette direction qu’on doit se tourner. Il faut un changement de mentalité. À titre d’exemple, une personne ne doit pas attendre 10 ans pour rembourser son prêt. Elle peut le faire en moins de temps et emprunter de nouveau pour réaliser un autre projet. Parallèlement, les banques commerciales ont aussi un rôle à jouer. Elles doivent diminuer l’écart important entre le taux Repo et les taux à l’épargne et à l’emprunt. Si elles augmentent le taux à l’épargne, cela incitera davantage de Mauriciens à épargner. De même, si elles réduisent le taux à l’emprunt sur les prêts existants pendant une période définie, cela va soulager les ménages endettés. Elles doivent jouer leur rôle social. Elles ont la capacité de le faire ! »
Shaktee Ramtohul, expert-comptable et consultant en affaires : « Le gouvernement devra venir avec des mesures de soutien pour soulager les plus vulnérables, surtout avec la récession qui menace l’économie mondiale. Il faudra parallèlement revoir à la baisse les prix de l’essence et du diesel. D’autant plus qu’il y a une corrélation entre les prix du carburant et ceux de plusieurs produits et services. Si ces mesures sont appliquées, cela permettra de soulager les ménages. »
Les taux d’intérêt sources d’asphyxie
Si les Mauriciens ont vu leur pouvoir d’achat chuter ces deux dernières années, leur plus grand défi demeure toutefois le remboursement des dettes.
Shezad A, manager dans une compagnie d’assurances, se trouve dans l’obligation de se serrer davantage la ceinture. « D’ailleurs, c’est ma résolution pour cette nouvelle année. Je ne peux plus faire de dépenses inutiles et j’ai décidé de me priver de certaines activités », déplore-t-il. En effet, il dit n’avoir pas d’autre choix. « J’ai fait un emprunt de Rs 2 millions en 2021 pour lequel je payais une mensualité de Rs 12 300. Après que le Repo Rate a été revu à la hausse à plusieurs reprises en 2022, la mensualité est passée à Rs 14 600 », explique notre interlocuteur. Pour lui, un montant additionnel de plus de Rs 2 000 par mois est énorme. « Avec cette somme, je peux payer certaines factures », dit-il.
Le couple Ramsurrun subit le même calvaire. « Mon époux et moi avons emprunté ensemble Rs 1 million pour la construction de notre maison. Depuis cinq ans, on peinait déjà à rembourser cette dette. Actuellement, avec un taux d’intérêt élevé, nous devons trouver Rs 11 600 chaque mois pour le remboursement », confie Sangeeta, enseignante au secondaire. Et avec deux enfants, le budget familial n’est pas simple à gérer. « On devait prendre un autre prêt pour compléter le projet. Mais désormais, ce n’est pas évident. »
Baisse du niveau de vie
Michel Hardy, président de l’Association pour la protection des emprunteurs abusés (APEA), indique que l’endettement est un problème qui touche de nombreuses familles mauriciennes. « Avant la pandémie, les banques commerciales ont incité des ménages à profiter de prêts à des taux d’intérêt intéressants. Mais depuis l’année dernière, les intérêts ont pris l’ascenseur. Maintenant, ces emprunteurs se retrouvent asphyxiés par les montants qu’ils doivent débourser chaque mois. » L’endettement des particuliers, précise-t-il, est principalement constitué des emprunts pour l’achat d’un terrain et la construction d’une maison. « Ce sont notamment les familles de la classe moyenne qui sont concernées. Elles doivent sacrifier les petits plaisirs afin d’honorer le remboursement. Du coup, leur niveau de vie est affecté. »
Établir un équilibre
Le président de l’APEA avance néanmoins que même si les intérêts sont élevés, il y aura toujours une nécessité d’emprunter. « Les Mauriciens ne pourront pas financer des projets de construction ou acheter un terrain sans un prêt bancaire. Mais maintenant, ils doivent se montrer plus prudents. Ils doivent établir un équilibre entre leurs revenus et leurs dépenses et faire une demande de prêt selon leur capacité de remboursement. »
Les banques commerciales font déjà un travail approfondi pour s’assurer que les critères soient respectés avant d’accorder un prêt. C’est ce qu’explique un banquier. « Nous continuons de recevoir des demandes de prêt, surtout pour le financement de projets immobiliers. Cependant, avec les taux d’intérêt qui augmentent, les demandeurs ne sont pas souvent éligibles pour le montant demandé. » Mais il affirme que cela n’empêche pas les Mauriciens d’emprunter.
La cherté de la vie accentue la paupérisation des seniors
En décembre 2019, les retraités avaient fait des envieux quand la pension de vieillesse est passée de Rs 6 000 à Rs 9 000 par mois. Le soulagement de tous ceux dont la survie ne dépendait que de cette source de revenu a cependant été de courte durée. Dans les mois suivants, survenaient la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques, suivies en 2022 d’une nouvelle flambée des prix causée par la guerre en Ukraine.
Les seniors font partie des plus affectés par la perte de pouvoir d’achat. « On est réduit à la plus grande privation pour pouvoir joindre les deux bouts », affirme Vinod Dookhit, President Federation du Club 3eme Age de Beau-Bassin/Rose-Hill et District Representative de la Senior Citizens Association of Lower Plaines Wilhems.
Selon lui, avec leur pension de base de Rs 9 000, les retraités arrivent difficilement à faire face aux hausses successives des prix des denrées alimentaires, des médicaments et d’autres produits de première nécessité. « La situation est telle que certains seniors n’ont plus les moyens de réunir les enfants et petits-enfants autour d’une table pour les fêtes, ni même de donner un peu d’argent pour l’achat du matériel scolaire avant la rentrée des classes. La hausse du tarif de l’électricité en février sera un nouveau coup de massue pour eux. »
Vinod Dookhit se plaint aussi que pour la troisième année consécutive, les retraités n’ont pas obtenu de compensation annuelle, contrairement aux salariés. Il propose donc que des représentants des seniors puissent participer aux consultations prébudgétaires. Pour lui, les retraités ont besoin d’au moins Rs 20 000 par mois pour vivre décemment.
Le président de la Senior Citizen Federation, Potaya Kuppan, déplorent lui aussi que de nombreux retraités vivent dans des conditions précaires. « Pour s’en sortir, certains sont contraints de faire des petits boulots. Ceux qui ne peuvent pas travailler dépendent de leurs enfants ou doivent mendier dans leur quartier. Beaucoup de seniors n’ont pas les moyens de manger deux repas par jour. » Il demande ainsi au gouvernement d’accorder une compensation aux seniors dans les plus brefs délais car, dit-il, ils ne peuvent pas attendre le prochain budget de l’État. Potaya Kuppan souhaite également que le montant de la pension de vieillesse passe graduellement à Rs 17 000 par mois d’ici 2024.
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