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Gérald Lincoln : «Ce serait dangereux d’imposer le paiement du 14e mois pour tous les travailleurs» 

Le Budget 2024-25 ne devrait pas comporter des mesures d’austérité compte tenu du contexte électoral, affirme Gérald Lincoln. Dans cet entretien, le Country Managing Partner d’EY évoque les opportunités que représenterait une « vraie ouverture » du pays aux talents étrangers tout en tirant la sonnette d’alarme sur le fait qu’il y a plus de gens qui quittent le pays que d’étrangers qui en arrivent. 

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D’ici quelques heures, Renganaden Padayachy fera son Grand oral. Bon nombre d’observateurs s’attendent à un Budget populaire pour ne pas dire populiste étant donné que nous sommes dans un contexte électoral. Se dirige-t-on vers ce scénario ?

C’est à peu près certain qu’il n’y aura pas de mesures d’austérité. En une année électorale, il y aura pas mal de mesures populaires qui seront annoncées. Ce n’est pas plus mal car cela fait partie de la démocratie. Un gouvernement pense aux élections et aux votes. Il est naturel d’avoir des mesures populaires dans un Budget de fin de mandat.  

Ce Budget aura un volet social très fort. Il faudra notamment s’attendre à une série de mesures en faveur du pouvoir d’achat qui marquent vraiment les esprits. L’économie sera-t-elle reléguée au second plan au profit du social ?

Ce n’est pas contradictoire. Ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de social que l’économie sera reléguée au second plan. Le ministre des Finances va prendre des mesures populaires comme la baisse des prix du gaz ménager ou du carburant pour toucher directement la poche des Mauriciens. C’est normal en cette période électorale. L’économie ne sera pas pour autant oubliée à mon avis. N’oublions pas que le but d’un gouvernement est de stimuler l’économie et de faciliter la croissance. 

L’éventualité d’une baisse des prix des carburants n’est pas à écarter. Ne faudrait-il pas plutôt revoir la structure des prix des carburants qui comportent une série de prélèvements non reliés aux carburants ?

Oui ! Il est temps. Il y a des contributions qui n’ont pas leur place dans le prix de l’essence. Je pense que le gouvernement va réduire le prix de l’essence en enlevant les superflus. 

Le gouvernement est aussi attendu sur la question des salaires. Le bruit court selon lequel le paiement d’un 14e mois sera inscrit dans la loi. Les entreprises, en particulier les PME, pourront-elles résister à un tel choc financier ?

Ce serait dangereux de venir imposer de façon unilatérale un 14e mois pour tous les travailleurs. Certaines entreprises pourront se le permettre. D’autres le font déjà, voire elles paient des bonus qui dépassent le 14e mois notamment dans le secteur financier. Mais, pour beaucoup d’entreprises, cela deviendra un coût imposé par l’État. Un coût qui augmentera la charge salariale et beaucoup de compagnies ne pourront pas payer. 

C’est le cumul des années de croissance qui fait qu’on va arriver à une « trillion economy ». Cela dit, ce chiffre ne veut rien dire. Ce qu’il faut en réalité, c’est qu’on doit travailler plus et produire plus. Il faut que la productivité augmente dans le pays"

Après chaque Budget, la sempiternelle question est l’exécution des mesures budgétaires. Y a-t-il des améliorations à apporter à ce niveau ?

Oui, il y a plus d’accountability aujourd’hui. Le gouvernement est dans l’obligation de mettre en place ce qu’il annonce car il y a plus de transparence et la presse joue son rôle. Dans le passé, il y a eu beaucoup d’annonces, mais à peine la moitié a été mise en place. Dans le contexte actuel, la plupart des mesures, surtout les « policy decisions », sont implémentées. Cependant, les gros projets d’infrastructures prennent plus de temps et sont compliqués à faire décoller. À titre d’exemple, cela fait plusieurs années qu’on parle du Rivière-des-Anguilles Dam, mais sa construction se fait toujours attendre. 

Dans le sillage du Budget ne faut-il pas craindre une surenchère en termes de mesures populaires, notamment de la part de l’opposition ?

L’opposition a déjà annoncé le 1er-Mai qu’elle allait introduire un an de congé de maternité en cas de victoire. Avec le Budget, le risque de surenchère est là. En même temps, ce n’est pas exagéré. Le gouvernement décide de son Budget. L’opposition va critiquer en disant qu’elle fera plus et mieux. Cela fait partie du jeu de la démocratie. Cela dit, je ne pense pas que le ministre des Finances va se laisser influencer par les mesures annoncées par l’opposition. Je ne crois pas qu’il viendra avec la mesure sur le congé de maternité.

Le Budget, c’est aussi l’occasion pour le gouvernement de livrer ses prévisions sur ses revenus et ses dépenses, et de faire un état de lieux sur les principaux indicateurs économiques du pays. Quel effet un bon Budget peut-il avoir sur des indicateurs clés comme la croissance, l’inflation, l’emploi et la balance courante ?

Les décisions annoncées dans le Budget ont un effet direct sur ce qui se passe dans le pays. Je vais vous citer deux exemples : les mesures fiscales et les mesures monétaires. Ce sont deux leviers à la disposition du gouvernement. Si le gouvernement, par exemple, baisse la taxe, cela va stimuler l’économie. Si la TVA, qui est à 15 %, est ramenée à 10 %, la consommation devrait augmenter. Qui dit moins de taxe, dit plus de consommation et c’est ce qui stimulera l’économie. Ce qu’on appelle, dans le jargon, la croissance par la consommation. Si des mesures monétaires sont prises – soit une baisse du taux d’intérêt-, cela stimulera l’investissement car le coût de l’argent va baisser. 

De gros montants sont contribués dans la CSG, mais ils se retrouvent noyés dans toutes les dépenses publiques. Il faudrait revenir vers un système de fonds spécifique où les bénéficiaires sont uniquement ceux qui contribuent à la CSG"

Les prévisions du ministère des Finances en matière de croissance pour 2024 sont bien plus optimistes (6,5 %) que celles du Fonds monétaire international (4,9 %). Qu’est-ce qui explique un tel gap ?

Mettez deux économistes ensemble, ils ne feront jamais la même prévision. La vérité est sans doute entre ce que préconisent les deux. Le ministre des Finances veut montrer une image positive que cela ne l’est en réalité. Le FMI est très crédible et fait des prévisions qui tiennent la route. Mais, le plus important, c’est la tendance. Que l’on ait un taux de 4,9 % ou de 6,5 %, c’est qu’on ait une croissance qui reste le plus important. 

Dans le premier jet de son Article IV sur le pays, le FMI indique que le PIB de Maurice passera de Rs 722,7 milliards en 2024 à Rs 1 000 milliards ou Rs 1 billion en 2029, soit une hausse de 38 %. Comment le pays pourra-t-il atteindre cet objectif ?

Si on arrive à croître l’économie année après année, on arrivera à ces prévisions. C’est le cumul des années de croissance qui fait qu’on va arriver à une « trillion economy ». Cela dit, ce chiffre ne veut rien dire. Ce qu’il faut en réalité, c’est qu’on doit travailler plus et produire plus. Il faut que la productivité augmente à Maurice. Ce n’est pas en augmentant les salaires qu’on devient plus riche. Si rien ne change, on ne va pas s’enrichir. C’est la productivité et l’efficience qui comptent. Je suis inquiet par le « brain drain » très marqué qu’on a dans le pays. On n’en parle pas assez. On ne va pas arriver à cette « trillion economy » si nos jeunes talents partent. 
 
Le FMI préconise de réformer la Contribution Sociale Généralisée (CSG) et qu’elle ne soit versée qu’aux cotisants. Parallèlement, la question d’utiliser la CSG pour financer la politique de protection sociale reste problématique. Êtes-vous pour une refonte de la CSG et du système des pensions de manière plus générale ?

Oui, à deux niveaux. Le ciblage est nécessaire. La pension ne doit pas être universelle ; elle doit cibler ceux qui en ont vraiment besoin. Avec la population vieillissante, le nombre de bénéficiaires continuera d’augmenter. Cela deviendra un sacré poids sur les dépenses publiques. Pour la CSG, la situation est assez inquiétante. Ce n’est pas un fonds comme le National Pensions Fund (NPF). De gros montants sont contribués dans la CSG, mais ils se retrouvent noyés dans toutes les dépenses publiques. Il faudrait revenir vers un système de fonds spécifique où les bénéficiaires sont uniquement ceux qui contribuent à la CSG. Or, actuellement, la CSG est tout simplement une taxe. 

L’institution Bretton Woods fait un nouveau plaidoyer pour une grande indépendance de la Banque de Maurice. Pourquoi est-ce nécessaire ?

Il est très important que les institutions telles que la Banque de Maurice, mais aussi la force policière, le judiciaire, la Financial Crimes Commission, entre autres, soit gérées indépendamment des pouvoirs du jour. Parlons de la Mauritius Investment Corporation (MIC) qui a beaucoup été critiquée. Je trouve que c’est une bonne chose qu’on l’ait créée car elle a aidé l’économie mauricienne à faire face à la pandémie. Ce serait bien que la MIC soit gérée indépendamment. 

Le gouvernement est souvent critiqué à tort ou à raison de laisser filer l’inflation et de favoriser le glissement de la roupie. Quatre ans après le début de la pandémie, faut-il revoir cette politique ?

Ce sont les forces du marché qui sont supposées dicter la valeur de la roupie. Cela implique qu’il n’y ait pas d’intervention de la part de l’État ou de la Banque centrale. C’est le principe. Mais, en réalité, on sait tous que la BoM intervient régulièrement pour empêcher que la roupie ne glisse. Elle intervient pour empêcher l’inflation. En même temps, il y a une limite au nombre d’interventions qu’elle peut faire. Les réserves en dollars de la BoM ont baissé. Cela implique que la roupie est surévaluée. 

Le FMI plaide pour une transformation structurelle de l’économie mauricienne. Cela rejoint l’appel de nombre d’observateurs qui, depuis des années, plaident pour des réformes. De quelles réformes le pays a-t-il besoin ?

C’est la question à un million de dollars. Chacun a son point de vue. Une réforme qui est facile à faire, mais qu’on ne fait pas est une vraie ouverture vers les talents étrangers. Par étrangers, je ne dis pas forcément les riches, mais des gens qui ont du talent, qui ont envie de travailler et qui vont emmener de nouvelles idées dans le pays. Ce qui apportera un changement de cap. Je ne parle pas non plus de tabler sur 5 000 Occupation Permits. C’est un petit chiffre. Il faut voir grand. C’est une réforme structurelle qui changerait l’environnement mauricien. Souvent, on annonce des mesures en ce sens, mais la réalité est qu’il n’y a pas grand-monde qui vient. Il y a plus de gens qui quittent le pays que d’étrangers qui en arrivent. 

 

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