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Georges Chung, économiste : «Peu de chances que Donald Trump aille de l’avant avec la menace de réciprocité des tarifs»

Le sursis de 90 jours avant l’application des tarifs douaniers réciproques donne une vraie bouffée d’air frais aux entreprises mauriciennes exportant aux États-Unis. Compte tenu de la dégringolade des marchés financiers suivant l’annonce tonitruante de Donald Trump, il est peu probable que cette décision soit entérinée, estime Georges Chung. Dans cet entretien, l’économiste dit s’attendre à un Budget austère. Il commente également le dossier des Chagos, soutenant que le loyer qu’on percevra sur la base militaire de Diego Garcia devrait apporter « beaucoup de réconfort ».

Les entreprises exportant aux États-Unis sont sous le choc depuis l’annonce de Donald Trump à l’effet que les exportations mauriciennes seront sujettes à des droits de douane de 50 % (10 % d’imposition initiale + 40 % de droits de douane réciproques) à l’entrée sur le territoire américain. Nous avons eu un sursis avec la suspension de ces surtaxes douanières pour une période de trois mois. Peut-on se permettre de garder espoir ?
Je pense que la question ne se pose plus. Il y a peu de chances que Donald Trump récidive au bout de ces 90 jours de répit. Les Bourses de Wall Street, à savoir Nasdaq, Dow 30 et S&P, ainsi que les institutions financières américaines, lui ont fait savoir que les États-Unis allaient basculer dans la récession s’il ne reculait pas dans sa décision de la réciprocité des tarifs. En deux jours, les bourses de Wall Street avaient perdu plus de 10 % et menaçaient de perdre encore plus en début de semaine, ce qui a fait infléchir Donald Trump mercredi dernier. Cela a provoqué une reprise encore plus spectaculaire de ces bourses, la minute même suivant l’annonce du répit des 90 jours. S’il récidive dans 90 jours, Wall Street ne lui pardonnera pas, avec en jeu les trillions de dollars de pertes pour les fonds d’investissement et de pensions investis par les millions d’Américains, qui à leur tour ne lui pardonneraient pas. Je pense que la réciprocité des tarifs est un mort-né.

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Les États-Unis sont le quatrième acheteur de produits mauriciens et 41 entreprises d’exportation, employant 16 750 personnes, dépendent du marché américain. Faut-il craindre un lourd impact économique ?
Certainement oui, si Donald Trump n’avait pas changé d’avis. Les dégâts allaient être énormes, de manière à la fois directe et indirecte. Je ne vois pas comment, avec une hausse de prix de 50 % de nos vêtements et de nos poissons, les consommateurs américains resteraient insensibles concernant leurs achats de produits « Made in Maurice ». Une baisse de consommation me semblait inéluctable, avec pour résultat une baisse significative de nos exportations vers les États-Unis, mettant en péril la production et l’emploi de nos entreprises exportatrices. Sauf si on dévalue la roupie, ce qui est hors de question pour notre pays face à l’inflation menaçante. De manière indirecte, la récession qui en résulterait, surtout si l’Europe et l’Afrique du Sud étaient frappées de plein fouet, allait sans doute mettre notre secteur touristique en mode vulnérable, sans compter nos exportations de produits vers ces pays. Le scénario allait être celui du pessimisme.

Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, écrira au Président Trump pour engager des discussions sur les surtaxes douanières. Pourra-t-on convaincre le gouvernement de Trump de faire machine arrière ?
Je pense que notre Premier ministre a de quoi faire comprendre raison en faveur de Maurice, compte tenu des discussions autour de la base de Diego Garcia. Il semble que Donald Trump, tout comme Keir Starmer, le Premier ministre de la Grande-Bretagne, sont soucieux des lois internationales par rapport à la souveraineté de Maurice sur les îles Chagos. Ainsi, Navin Ramgoolam a probablement une certaine marge de manœuvre pour faire baisser, voire enlever pour de bon, la réciprocité des tarifs si d’aventure elle se manifestait de nouveau.

Près de 85 % des exportations du secteur du textile bénéficient d’un accès en franchise de douane sur le marché américain grâce à l’AGOA. Des observateurs estiment que les droits de douane réciproques rendront inévitablement l’AGOA caduque. Le risque est-il réel ?
Il me semble que toute décision de Donald Trump a préséance sur toute autre décision du Congrès ou du Sénat. C’est là que les lobbyistes en faveur des pays de l’AGOA entrent en jeu. Comme cela a toujours été le cas dans toutes ces négociations de l’AGOA dans le passé. Mais Donald Trump doit, avant toute autre chose, abandonner pour de bon ses menaces de tarifs réciproques.

Valeur du jour, 95 % des produits importés par Maurice ne sont pas frappés par les droits de douane. D’ailleurs, cette taxe ne rapporte que Rs 2 milliards par an. Dire que Maurice taxe les produits américains à hauteur de 80 % est faux. Vos commentaires ?
Je pense que les spécialistes de la question ont déjà fait les calculs par rapport au volume de nos échanges avec les États-Unis et la taxe par rapport à ces échanges. Si on incluait les services ainsi que les investissements, la taxe à hauteur de 80 % relève de la grande exagération et mérite d’en faire état de manière forte.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Fonds monétaire international (FMI) craignent que la guerre commerciale enclenchée par Trump ralentisse le commerce et l’économie mondiale. Faut-il craindre un net ralentissement de l’économie mauricienne ?
Le monde a connu une croissance soutenue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sauf les crises d’ordre cyclique tous les 15 ou 20 ans, pour se reprendre de plus belle, grâce à la politique universelle du libre-échange adoptée par la plupart des pays du monde et avec l’impulsion de l’Organisation mondiale du commerce. Il est prouvé par les faits tout au long de l’histoire économique que le protectionnisme par les tarifs douaniers n’a jamais produit de croissance. Si d’aventure, Donald Trump imposait ses tarifs, le ralentissement me paraissait inéluctable pour notre pays, avec une certaine certitude de récession, à commencer par l’Europe, qui me semble la plus vulnérable en raison de son faible taux de croissance.

Le ministère des Finances enchaîne ces jours-ci les consultations prébudgétaires. Comment l’effet conjugué des découvertes sur l’état des Finances publiques et des surtaxes douanières pèsera-t-il sur la préparation du Budget 2025-2026 ?
Je pense que les tarifs de Donald Trump allaient rendre encore plus compliquée la préparation du Budget. Mais les négociations autour de la base de Diego Garcia, si elles aboutissent avant le Budget, donneraient beaucoup de réconfort, surtout si les paiements d’avance sont de l’ordre de plusieurs années. Chaque Rs 600 millions ou Rs 700 millions représenteraient 1 % de notre produit national brut, sans compter les effets induits sur le reste de l’économie.

Le Junior Minister des Finances, Dhaneshwar Damry, a déclaré cette semaine que la priorité sera de réparer, protéger et relancer l’économie. Comment s’y prendre ?
La priorité des priorités doit être sans aucun doute l’accélération de la croissance économique. Seule cette accélération, condition nécessaire, permettra de résoudre nos problèmes d’endettement, de la hausse des prix et de la restauration du pouvoir d’achat. Toutes les mesures budgétaires doivent se faire sous cet angle de la croissance économique.

Moody’s et le FMI ont terminé leur mission à Maurice. La question de la dette publique qui avoisine les Rs 644 milliards, soit plus de 90 % du PIB du pays, a été évoquée lors des discussions avec les autorités mauriciennes. Ce niveau d’endettement est-il soutenable ?
Dans le jargon anglais, le ‘Key Performance Index’ par rapport aux dettes d’un pays bien géré, l’indice doit se situer à pas plus de 70 %, voire 65 % de son PIB. Ce qui démontre l’ampleur de la tâche à entamer pour un retour à la normale. Tout comme dans le cas d’un ménage surendetté, il n’est pas difficile de formuler ce que ce ménage doit faire pour réduire ses dettes. Travailler davantage, réduire son train de vie, exécuter des projets destinés à faire rentrer des revenus, me semble être les choses logiques à faire.

Vous avez déclaré plusieurs fois qu’il faut accélérer la croissance économique et qu’il n’y a pas à sortir de là. Comment s’y prendre ?
Notre pays est entouré de deux millions de kilomètres carrés de mer, un vaste espace qui appelle à être nettoyé de ses déchets, notamment du plastique et d'autres polluants. Les coraux attendent qu'on leur redonne vie. Les fonds marins regorgent de minéraux inexploités. Cette mer peut être mieux peuplée en poissons, crustacés et thons. Chaque jour, elle peut aussi produire de l’énergie marine et solaire. L’intelligence artificielle, qui ouvre des perspectives inédites, doit être mobilisée sans délai, non seulement dans ce domaine, mais aussi dans tous les autres secteurs. Elle peut donner l’exemple au monde sur la façon de sauver nos océans. Mais pour y parvenir, il faudra faire preuve d’inventivité, attirer les meilleurs spécialistes internationaux et convaincre les grands investisseurs étrangers de s’engager dans ce nouveau pôle de croissance : la préservation et l’exploitation durable des ressources marines.

Faut-il s’attendre à un Budget austère ?
Austère dans l’utilisation de nos ressources à bon escient, mais certainement expansionniste.

L’ancien gouvernement a fait de la consommation son moteur de croissance. Le nouveau mise sur l’investissement. Quelle stratégie est la meilleure ?
La stratégie de consommation nous a produit l’inflation et la détérioration de notre balance commerciale, donc aussi la dépréciation de la roupie. Encore plus grave, elle a inculqué la notion de dépendance de la population vis-à-vis de l’État, à donner encore plus, sans penser que donner et consommer sans produire détruit l’économie.

L’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a été arrêté jeudi dans le cadre d’une enquête sur une malversation présumée de Rs 300 millions dans le cadre de l’affaire de la vente de 70 % d’actions d’East Coast Hotel Investment Ltd. Quel regard jetez-vous sur cette affaire ? Que nous apprend-il sur la gouvernance des institutions ?
Je pense que nous nous trouvons devant une nouvelle problématique, cette fois-ci, de risque de réputation sur le plan international. Voir défiler les personnages, même jadis, parmi les plus importants du monde financier et politique devant l’immeuble de la FCC, n’est certainement pas bon pour les indices de Mo Ibrahim et les autres.

 

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