Interview

François de Grivel : «La fin des quotas sucriers est un problème majeur pour Maurice»

Capitaine d’entreprises et observateur économique, François de Grivel dresse un inventaire de notre économie et de ses défis. Ni alarmiste, ni complaisant, il en appelle à la sérénité pour rétablir la confiance.

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Quelle réflexion faites-vous de notre taux de croissance, inférieur à 4 % et quels en sont les impacts ?
Si je tiens compte des prévisions avancées par Sir Anerood Jugnauth dans son  discours Vision 2030, qui concernait le secteur du tourisme, de l’industrie, de la construction et celui des services financiers, je pense que ces objectifs ont été en partie atteints. Les effets négatifs de la révision par le gouvernement indien de la DTAA ont été amortis par un nouveau projet de taxation qui fait qu’aujourd’hui les industries d’exportation ne paient que 3 % d’impôts sur les revenus.

Cette loi concerne aussi les sociétés manufacturières d’exportation et les secteurs d’activités internationales. Cette législation a été conçue de manière  que Maurice ne soit pas considéré comme un pays de fiscalité particulièrement avantageuse. De manière générale, si nous examinons le Mission Statement de SAJ, le budget de Vishnu Lutchmeenaraidoo et celui de Pravind Jugnauth, on s’aperçoit que leurs prévisions ont été un peu revues à une baisse raisonnable, à moins de 4 %. Il faut aussi ajouter que notre secteur manufacturier d’exportation, vers l’Angleterre, les États-Unis et l’Afrique a subi le choc des devises qui ont baissé, en particulier la livre sterling, puis l’euro. Ce qui fait que la valeur des exportations totales a été, bien entendu, affectée et s’est répercutée sur notre taux de croissance économique et, en même temps, les achats ont coûté un peu chers. Mais, on a eu un taux d’inflation qui n’a pas été fort durant ces 2-3 dernières années.

Sans ces facteurs, on aurait pu atteindre 4.3 % de croissance. Mais, je reste positif et il faut que l’industrie manufacturière passe par une période d’investissements en équipements, qui ne sont pas suffisants, en ce moment. Sans un investissement de bon niveau, nous allons souffrir d’un manque de croissance. Toutes les institutions économiques des secteurs public et privé doivent se concentrer sur ces investissements. Le secteur privé doit faire un effort, investir dans de nouveaux équipements. Pour y arriver, il faut une certaine stabilité dans l’emploi, mais en ce moment, l’emploi des Mauriciens devient difficile, beaucoup d’entreprises se tournent vers la main-d’œuvre étrangère. Nous renouvelons notre appel au gouvernement pour faciliter l’emploi des étrangers, ce qui permettrait d’accroître la croissance.

Le projet Metro Express permettra-t-il de créer des emplois et de dynamiser d’autres activités ?
Le Metro Express est le bienvenu lorsque l'on voit une circulation de plus en plus difficile un peu partout. Mais en même temps, il faut améliorer le transport public et les infrastructures routières. Il faudra aussi penser à rentabiliser les quelque Rs 20 milliards qui seront investies dans le Metro Express. Ce ne sera pas une opération rentable dans le court terme, mais dans le long terme et du point de vue socio-économique, il aura l’avantage de réduire le stress des personnes qui se déplacent entre leurs domiciles et leurs lieux de travail.

Quelles seraient les conséquences du Brexit sur nos exportations, mais aussi sur le tourisme ?
C’est un dossier très complexe qui, aujourd’hui, sur papier, coûte très cher à l’Angleterre, lequel n’était pas prêt à payer le montant théorique calculé par l’Europe. Cette décision du Royaume- Uni, à travers le Brexit, peut être mise en cause, si le gouvernement actuel veut revoir complètement sa décision, parce qu’il semble que de nombreux jeunes Britanniques de moins de 35 ans ne sont pas favorables au Brexit.

Le premier impact du Brexit sur Maurice est la livre sterling à la baisse. Le deuxième est le suivant : est-ce que les Anglais vont toujours acheter autant de Maurice, compte tenu du fait que le Royaume-Uni est un gros partenaire économique de notre pays ? Mais, c’est un peu prématuré de le dire. Je pense que les relations entre Maurice et le Royaume-Uni font que nous maintiendrons nos exportations et que le touriste anglais continuera à venir mais a une condition : les négociations actuelles sur Diego Garcia peuvent affecter nos relations économiques et diplomatiques, bien sûr, mais je ne pense pas qu’elles auront un impact majeur sur nos relations commerciales à terme.

À ce jour, le Brexit n’a pas encore d’influence sur Maurice, comme en Europe. Nous verrons un peu plus clair vers fin 2018-début 2019, car les négociations sont en cours entre l’Angleterre et l’Europe, elles sont longues et difficiles.

L'industrie sucrière est à un croisement difficile, parce que les planteurs et les grosses unités agricoles n'ont pas de rentabilité directe avec l'exploitation de terres de cannes »

Est-ce que notre pays, en particulier notre industrie sucrière, est-il prêt à affronter la fin des quotas sucriers ?
La fin des quotas sucriers est un problème majeur pour Maurice. Depuis dimanche le 1er octobre, nous n’avons plus de quotas sur l’Europe. Celle-ci est en train de proposer du sucre européen en Afrique, ce qui se fait par la France. Pour que Maurice réussisse, les sucreries, qui sont 4 et qui ont produit quelque 380 000 tonnes de sucre en 2017, doivent s’organiser pour vendre des sucres spéciaux, ce qui donnerait plus de valeur ajoutée, que le sucre blanc et roux traditionnel fabriquée à Maurice.

C’est une approche difficile, parce que la compétition est rude et il peut se faire que le sucre ne se vendra pas aussi bien, ce qui affectera l’industrie sucrière. Mais, comme ces unités s’orientent vers l’industrie cannière, avec des produits tels que le rhum, l’énergie et des produits organiques qui sont issus de la transformation de sirop de la canne ou de la mélasse, cela donnera une valeur ajoutée à leurs produits exportés. Je pense que l’industrie sucrière est à un croisement difficile, parce que les planteurs et les grosses unités agricoles n’ont pas de rentabilité directe avec l’exploitation de terres sans canne.

C’est ce qui explique pourquoi certains planteurs utilisent leurs terres à d’autres fins, telles que la construction, mais également des cultures plus sophistiquées tel que le bio et pourquoi pas vers d’autres types de culture adaptée à notre climat tropical, c’est-à-dire résistant aux cyclones.

Est-ce que vous voyez le secteur des PME en train de prendre son envol pour devenir un pilier majeur de Maurice, comme le souhaite ce gouvernement ?
Les PME ont leur rôle à jouer à Maurice et le gouvernement, en particulier le ministre Sunil Bholah, a fait un effort en termes de facilités financières, mais il manque encore à ce secteur un niveau de compétence technique qui favoriserait véritablement sa croissance. C’est au MiTD que revient la responsabilité de former des techniciens supérieurs pour aider au développement des PME et même des industries.

À ce jour, le MiTD assure la formation d'environ 10 000 personnes par an, mais il faut améliorer leur niveau de formation et investir également dans les équipements utilisés dans ce centre. Nous allons bientôt voir apparaître 3 écoles polytechniques, dans le domaine de la santé, de l’Information Technologique et celui de la construction, qui vont permettre aux industries de se développer. Par comparaison au chiffre du MiTD, l’Institut de technologie de Singapour forme chaque année presque 90 000 jeunes qui trouvent un emploi à Singapour même, ce chiffre représente 65 % de l’emploi annuel dans ce pays.

Ce qui signifie que, grâce à cette formation technologique, Singapour se développe et continue à le faire avec un niveau de technicien de très bonne qualité et permet aussi de créer des industries à très grosse valeur ajoutée.

Faut-il repenser notre stratégie de développement ?
En faisant abstraction de ces crises politiques qui nous parviennent par la presse écrite et des radios et des problèmes de nature professionnelle dans certains cas, Maurice doit se concentrer sur son économie propre, c’est-à-dire ses institutions, sur une bonne gouvernance et la formation à tous les niveaux, un investissement régulier par les secteurs public et privé pour notre intérêt général et surtout pour pouvoir faire face aux salaires qui peuvent être élevés, car le gouvernement introduira le minimum wage le 1er janvier 2018. Le climat économique dépendra, d’une part, d’une relation forte entre le secteur public et les institutions du privé et, d’autre part, d’une volonté d’investir de la part des entrepreneurs privés. Un climat de confiance doit être établi et une sérénité nationale doit se manifester pour que cette confiance devienne une réalité.

 

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