Le fondateur de la Revue internationale Hermès et directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) se prononce sur les relations entre la presse et le monde politique.
Vous avez animé mercredi à l’université de Maurice une conférence sur le thème : « Communication, démocratie et stabilité politique ». Quel est le lien entre les trois ?
Le lien est évident. Si vous avez une communication qui mange la politique, il n’y a pas de stabilité et si vous avez une politique qui mange la communication, là, non plus, point de stabilité. Il faut trouver un équilibre dans la communication politique.
Comment trouver cet équilibre ?
Il y a trois choses importantes : que les hommes politiques arrêtent de coucher avec les médias ; que les médias aient plus d’indépendance par rapport aux politiques et que l’opinion publique arrête d’être réduite aux sondages. La politique n’est valorisée que si chacun joue son rôle.
Et n’est-ce pas le cas pour le moment ?
On est plutôt dans l’effet de castration des hommes politiques, de la « surdimension » des journalistes et une tyrannie progressive de l’opinion avec un renversement de la politique. C’est une perversion de la démocratie.
[blockquote]« Le génie de Maurice ne réside pas dans sa réussite économique mais dans sa cohabitation politique, culturelle et religieuse. »[/blockquote]
Quel devrait être le rôle du journaliste par rapport aux politiciens ?
Il faut absolument séparer les deux, que les journalistes restent du côté de la presse et les politiques de leur côté. Il y a trois cas de figure. Dans les dictatures, les journalistes sont poursuivis. Dans les pays émergents, la presse joue un rôle essentiel pour garantir la démocratie et c’est difficile à cause de la corruption. Le troisième cas de figure est différent, car il se passe en Europe et aux États-Unis où le pouvoir des médias est énorme et disproportionné.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que les journalistes ont tellement la maîtrise des outils qu’ils contrôlent les hommes politiques et ces derniers sont en mode autodéfense. La presse n’est pas le quatrième pouvoir, elle est un contre-pouvoir. Et si jamais les journalistes pensent qu’ils sont aussi importants que les politiques, c’est une catastrophe pour la démocratie. Plus on voit les démocraties avancer, plus il faut éviter le cousinage entre journalistes et politiciens. Trop de relations affectives est malsain. La relation entre les journalistes et les politiques se fait au balcon du peuple. Si le peuple a l’impression que ce sont les journalistes qui ont pris le pouvoir, qu’il y a trop de collusion entre les journalistes et les politiques, ce n’est pas bon.
Selon vous, quels sont les défis auxquels les journalistes doivent s’attaquer de nos jours ?
Dans tous les pays du monde, le défi majeur des journalistes reste la maîtrise de l’Internet. Mais, on fait l’erreur de penser que l’Internet est formidable pour la démocratie.
N’est-ce pas le cas ?
Oui et non. Quand vous êtes dans une dictature, c’est indispensable. Quand vous êtes dans un pays émergent oui, parce que c’est à la fois une source d’expression et un contre-pouvoir. Mais quand vous êtes dans un pays où tout le monde est connecté, on ne voit plus la différence. Le journaliste devrait comprendre que l’Internet est très bien comme mode d’expression, mais l’information c’est lui qui la valide. Les journalistes ne se rendent pas assez compte qu’ils risquent d’être « démagnétisés » par tous ceux qui croient qu’ils peuvent devenir journalistes. N’est pas journaliste qui veut. Le journalisme est un métier, une culture, une éthique, un style. Le journaliste devrait à la fois être plus autonome par rapport aux hommes politiques et aussi par rapport à la technologie. Arrêtez de vous imaginer que c’est l’Internet qui va apporter la vérité.
Quid de l’évolution de la presse ?
Il y a un problème économique pour toute la presse. La presse écrite ne va pas bien. L’information papier, c’est l’information de la légitimité. Dans tous les cas, il y a de la place pour tout le monde, mais il ne faut pas que la presse soit gratuite. L’information gratuite sur Internet est dangereuse. Si on veut la liberté de l’information, il faut que quelqu’un paie. Ou c’est le citoyen qui achète ou c’est la publicité qui paie. On est prêt à payer pour la technologie, mais pas pour les journaux. L’information, ça coûte cher ! C’est le prix de la démocratie.
Est-ce à dire que la presse écrite est en danger ?
Non, elle ne va pas mourir. Il faut que les journalistes la réinventent un peu.
Comment ?
En s’attaquant au style, au contenu. Dans tout ce tohu-bohu de l’information quotidienne, c’est dans la presse écrite qu’on trouve le sérieux. Plus l’information va vite, plus la presse écrite a de l’importance, car c’est l’explication et la mise en perspective.
Dans une société qui privilégie autant l’information comment en assurer la qualité ?
En labélisant l’information. Les journalistes sont trop concurrents entre eux. Il faut sortir de la vitesse, de la concurrence et du scoop.
Mais c’est le scoop qui garantit la popularité du journaliste…
Le scoop, c’est l’accident de voiture sur l’autoroute. On est tous voyeurs. Il faut ralentir. Le paradoxe c’est que la facilité technique, au lieu d’améliorer la qualité du travail a en fait renforcé, je ne dirais pas la paresse, mais plutôt une concurrence rapide. La révolution de l’information à travers l’Internet, si elle n’est pas maîtrisée, risque de faire beaucoup de dégâts… jusqu’à ce que le public lui-même n’ait plus confiance dans l’Internet.
Cela risque-t-il d’arriver ?
C’est ce qui va arriver s’il n’y a pas de contrôle et pas de hiérarchie.
Qu’est-ce qui vous fait dire qu’informer n’est pas communiquer ?
L’idée, c’est qu’informer est important alors que communiquer ne l’est pas. Moi je pense exactement le contraire. Bien sûr, ce n’est pas facile d’informer, mais c’est plus compliqué de communiquer. La communication c’est la relation. L’information nourrit notre cadre social, elle ne le fabrique pas.
On vous prête des opinions assez tranchées sur la mondialisation, notamment sur ses aspects négatifs… Quid de l’exemple de Maurice ?
Le miracle de Maurice réside dans sa capacité à rebondir en économie pour ne pas disparaître, mais, surtout, c’est un pays de cohabitation culturelle. L’intelligence de Maurice n’est pas seulement économique, elle est avant tout politique. Maurice a certes réussi en encourageant la mondialisation, mais je dis que le génie de ce pays ne réside pas dans sa réussite économique, mais dans sa cohabitation politique, culturelle et religieuse. Il n’y a pas de mondialisation sans respect des identités.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !