« Mo enn zanfan Cité Batterie-Cassée », dit-il avec fierté. À 32 ans, Juan Prosper vient de prêter serment et il est désormais avocat au Barreau de Paris. Malgré de nombreuses difficultés, ce jeune Mauricien, fervent défenseur des droits de l’homme, a pu réaliser son rêve. Dans le cadre du 51e anniversaire de l’Indépendance de la République de Maurice, il nous parle des ingrédients nécessaires, selon lui, pour consolider le vivre-ensemble mauricien…
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Le 28 février 2019 est une date qu’il n’est pas près d’oublier. Le jeune Mauricien, qui vit désormais dans le 5e Arrondissement de Paris, a prêté serment comme avocat du Barreau de Paris. Cela après presque sept longues années d’études, soit après un Master 2 en Droit de l’homme et droit humanitaire et une formation de 18 mois à l’école de Formation du Barreau de Paris.
Si tout semble lui sourire à présent, ce n’est certainement pas à coups de baguette magique. « Les difficultés sont nombreuses quand tu quittes ton île, dans un premier temps, pour entamer une scolarité en langue française. Après, ce sont surtout les difficultés propres aux étudiants, notamment sur la question financière où tu dois trouver des petits boulots pour arrondir les fins de mois. Heureusement, j’ai obtenu une bourse de Campus France, ce qui a permis de stabiliser la situation. Enfin, il y a le doute sur le parcours professionnel, j’ai commencé à travailler comme juriste à l’association Primo Levi qui est un centre de soins pour des personnes victimes de torture et violences politiques. Maintenant, je vais surtout faire du droit pénal et un peu du droit des étrangers et de la nationalité. Après, il y a les difficultés administratives avec l’Ambassade et la Cour suprême avec qui j’ai galéré pour avoir une attestation. Au final, j’ai pu faire sans, mais ça a retardé ma prestation de serment de trois mois ».
Son message aux jeunes qui viennent de quartiers défavorisés comme lui « Même si on vient d’un quartier difficile. Mo enn zenfan Cité Batterie-Cassée. Le parcours est sinueux et difficile, mais on ne doit pas sombrer dans le fatalisme. On doit se battre et saisir toutes les opportunités, mais surtout, il faut rester fidèles à nos propres convictions. À travers mes engagements, j’ai toujours eu pour passion de défendre ceux et celles qui ont vu leurs droits être bafoués par les États, les multinationales, leurs proches et familles et aujourd’hui, je donne un nouveau sens à ce combat en revêtant la robe noire ».
Juan Prosper n’oublie cependant pas toutes les personnes qui ont contribué à sa réussite. « Elles sont nombreuses. Ma mère c’est sûr, la « petite ouvrière » de l’usine Oxenham qui est la plus grande femme de ma vie. Elle s’est saignée aux quatre veines pour assurer ma scolarité et assurer l’encadrement personnel. Mais il y a aussi tous ceux que j’ai côtoyés à Maurice ou ailleurs qui m’ont inspiré, comme Henri Favory, car être avocat, c’est aussi maîtriser l’art de la scène et la dramaturgie, et Lindley Couronne. Mais plus que tout, c’est cette famille que j’ai reconstituée à Maurice et à La Réunion avec mes amis qui ont toujours cru en moi même dans les moments difficiles et ma sœur de cœur qui se reconnaîtra ».
Sous le couvert du mauricianisme…
Cela fait désormais presque neuf ans, qu’il n’est pas venu à Maurice, mais il s’intéresse beaucoup à ce qui se passe ici et se demande parfois s’il y aurait encore en 2019 des préjugés à son égard, basés sur son apparence. « J’observe que les choses avancent dans notre île sur les droits des femmes sur l’avortement ou sur les droits des LGBT avec les divers prises de position des politiques, mais la tentation du recul est pressante avec les différents lobbys conservateurs et religieux. Les préjudices sont présents à Maurice, mais aussi en France. Pour les cheveux, les juges se sont habitués et, maintenant, c’est devenu presque anecdotique. Mais bon il y a encore des gens qui sont surpris par mon look que j’assume et revendique comme partie intégrante de mon identité ».
Juan Prosper ajoute : « À Maurice, je vais peut-être mettre le pied dans le plat, mais parfois sous couvert de mauricianisme (enn sel lepep, enn sel nation) on arrive discrètement à ne pas évoquer la question de la discrimination raciale au sens de l’Onu. Le rapport du comité CERD des Nations unies est très ‘éclairant’ sur ce point et les observations du gouvernement mauricien montrent l’hypocrisie, la honte ou le refus de voir ce problème où une partie importante de la population se sent exclue des postes de direction ou des administrations publiques en raison de son origine ethnique. »
Vraie réforme électorale
Selon lui, « il faut revoir l’organisation des pouvoirs afin de permettre une meilleure participation des citoyens à l’exercice démocratique. Nos dirigeants, toutes œillères vêtues, ont préféré sacrifier sur l’autel des ambitions personnelles, la nécessaire transformation démocratique de nos institutions. Il faut mettre en œuvre une vraie réforme électorale permettant d’assurer une meilleure représentativité de la population tant au niveau démographique que sociologique. Le redécoupage des circonscriptions reste une hantise pour nos dirigeants car il risque de se heurter aux divers lobbies et associations socio-culturelles qui gangrènent notre société ».
Juan Prosper a une vision particulière de Maurice dans quelques années : « En démocratie, il ne peut pas avoir d'autorité sans responsabilité. Un vrai rééquilibrage des pouvoirs passe, bien au contraire, par un renforcement du rôle du Parlement et, en premier lieu, celui des députés. Devenus de simples godillots ou de vils réactionnaires, dépendant de leur emplacement dans l’hémicycle, il convient de redonner au Parlement un rôle majeur dans notre démocratie afin de mieux contrôler l’action gouvernementale. Ce renforcement du pouvoir législatif doit aussi s’accompagner de moyens de contrôles accrus pour l’opposition parlementaire en leur donnant la possibilité d’enclencher des procédures d’enquête dans un cadre précis, de faire inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale des propositions de loi tout en bénéficiant du soutien logistique du State Law Office. Enfin, l’encadrement du pouvoir exécutif passe aussi par la nécessaire approbation de l’Assemblée nationale dans le cadre des nominations de personnalités à des postes clés. Loin de priver le Premier ministre de ses moyens, il s’agit avant tout de garantir que la démocratie puisse franchir un cap en s’affranchissant du mythe de l’homme providentiel permettant ainsi que ce lieu de l’expression populaire qu’est l’Assemblée nationale puisse effectivement assurer la représentation du peuple mauricien. »
Non, il n’a pas oublié d’où il vient et Juan Prosper compte faire entendre sa voix…
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