Face à la presse, après sa prestation de serment le 22 novembre dernier, la nouvelle ministre des Services financiers et de la Planification économique, Jyoti Jeetun, a souligné que le rôle de ce ministère sera de ‘préparer les fondations économiques et sociales de Maurice pour les prochaines générations’. Ce ministère a, en effet, un rôle crucial à jouer. Face aux faiblesses chroniques et structurelles qui le paralysent, notre pays ne peut plus s’appuyer sur la stratégie ayant permis de bâtir ses réussites passées pour façonner son avenir. Dans un monde Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu (VICA), Maurice doit repenser son modèle de développement.
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Qu’est qu’un modèle de développement ?
Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) définit un modèle de développement comme « un schéma à suivre afin de promouvoir le progrès d’un peuple. Il s’agit d’un cadre de référence pour ceux à qui il appartient d’élaborer les politiques publiques d’un pays. »
Un modèle de développement ne peut se limiter aux problématiques d’ordre économique ni être fondé sur une économie de prédation, où le profit à tout prix prévaut. La formulation d’un nouveau modèle de développement doit reposer sur une approche holistique, plaçant l’humain au cœur de ses préoccupations. L’amélioration de la qualité de vie de la population doit en rester le but ultime.
Ainsi, de nombreux experts et citoyens, à travers le monde, appellent à une transition vers de nouveaux modèles de développement plus inclusifs, respectueux de l’environnement, durables et mieux adaptés à notre époque. L’économie circulaire, l’économie de partage ou encore l’économie sociale figurent parmi les alternatives proposées.
Les citoyens mauriciens doivent ainsi évoluer vers une mentalité collective qui promeut des valeurs telles que l’esprit d’initiative, la créativité, l’agilité, le sens de la responsabilité, la méritocratie, l’inclusivité, la solidarité et l’éthique.»
Quel modèle pour Maurice ?
Face à ces réflexions, Maurice se doit de s’interroger sur le nouveau modèle de développement qui conviendrait à son peuple, tout en prenant en considération ses singularités. Le pays doit-il s’obstiner dans une vision quantitative du développement ou évoluer vers une approche plus humaniste et qualitative ? Le progrès de Maurice et de son peuple passe-t-il nécessairement par le bétonnage à outrance, la monétisation effrénée de ses terres et le sacrifice de sa biodiversité ? La démocratie et les droits de l’Homme doivent-ils être sacrifiés sur l’autel du progrès ? Le progrès se résume-t-il inévitablement aux milliards investis et au taux de croissance du PIB ?
Il est indubitable que notre pays ne pourra, du jour au lendemain, adopter le modèle du Bhoutan, un pays qui préfère le Bonheur National Brut au Produit National Brut. Cette vision humaniste du développement qui prévaut au Bhoutan remonte à plusieurs siècles. En effet, le code légal du Bhoutan adopté en 1729 stipulait déjà que : « si le gouvernement ne peut apporter le bonheur à son peuple, il n’a point de raison d’exister. »
Cependant, un modèle de développement qui réconcilierait la dimension économique avec les impératifs de démocratie, de justice sociale et de protection du capital naturel et qui placerait la qualité de vie des citoyens au cœur du processus de développement est tout à fait possible et souhaitable à Maurice. Au-delà des enjeux et réalités actuels, ce nouveau modèle doit être formulé en entrevoyant le futur souhaité, tout en incorporant les principes d’innovation, d’exponentialité, d’agilité et de prévoyance devenus essentiels pour prospérer dans un monde VICA.
La démarche visant à formuler ce nouveau modèle devra, entre autres, tenir compte des problématiques liées à la diversification économique, à la productivité, à l’innovation, à l’équité, à l’insertion des jeunes, à l’inclusivité, à l’accessibilité à la santé, à l’environnement, à l’autosuffisance énergétique et alimentaire, à la sécurité intérieure et nationale, ou encore à la gestion des risques. Toutefois, une telle démarche ne sera fructueuse que si le fonctionnement harmonieux de ces trois facteurs interdépendants est assuré : les mentalités, la bonne gouvernance et la méritocratie.
Les mentalités
Selon le Togolais Albert Zilevou, « il n’y a pas de développement sans changement des mentalités. » Jürgen Nagler, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), affirme pour sa part que « les mentalités sont le point de levier invisible à inclure dans un nouveau paradigme de développement humain du 21ᵉ siècle. Les mentalités sont constituées de nos croyances, attitudes et valeurs profondes ; elles encadrent notre pensée et déterminent donc notre comportement, nos expériences de vie et notre cheminement. Elles influencent la façon dont les gens mènent leur vie, leur façon de voter, les opportunités personnelles, éducatives et professionnelles qu’ils recherchent et ce qu’ils font des crises, des défis et des opportunités. »
Face aux faiblesses chroniques et structurelles qui le paralysent, notre pays ne peut plus s’appuyer sur la stratégie ayant permis de bâtir ses réussites passées pour façonner son avenir. Dans un monde Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu, Maurice doit repenser son modèle de développement.»
Les citoyens mauriciens doivent ainsi évoluer vers une mentalité collective qui promeut des valeurs telles que l’esprit d’initiative, la créativité, l’agilité, le sens de la responsabilité, la méritocratie, l’inclusivité, la solidarité et l’éthique. Cette transformation des mentalités exige une approche systémique et multidimensionnelle, passant notamment par un système éducatif remodelé, des politiques publiques qui encouragent des comportements alignés avec les nouvelles mentalités souhaitées, et des leaders politiques, économiques et sociaux pleinement engagés dans la réalisation de cette transformation.
La bonne gouvernance
L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) définit la bonne gouvernance comme « l’ensemble de règles, procédures, pratiques et interactions, formelles ou informelles, s’exerçant au sein de l’État et entre l’État, les institutions non étatiques et les citoyens, qui encadre l’exercice de l’autorité publique et la prise de décision au service de l’intérêt général. »
À Maurice, la gouvernance est devenue un sujet de préoccupation étant donné la déliquescence de l’État et des institutions publiques ces dernières années. Leur fonctionnement ne peut être soumis aux caprices et au bon vouloir des politiques et de leurs acolytes. Les objectifs et les actions de l’État ainsi que des institutions publiques doivent être recentrés sur l’intérêt général plutôt que sur des intérêts occultes. Il convient donc de mettre en place un système de gouvernance plus représentatif, transparent, agile, efficient et responsable, tout en renforçant l’écosystème de garde-fous et de contre-pouvoirs encadrant les dirigeants politiques, ceux de l’administration publique, du secteur privé, ainsi que les citoyens en général.
La méritocratie
La méritocratie doit être la pierre angulaire du nouveau système de bonne gouvernance. Les dirigeants politiques doivent renoncer à un système médiocratique qui les encense et facilite leur mainmise sur la chose publique. Les postes dans le secteur public ne peuvent plus être attribués en fonction de manœuvres politiques et de critères identitaires, partisans et opaques.
Les Mauriciens accepteront-ils que la méritocratie promise lors de la campagne électorale se transforme en une ‘hasbeencratie’ ?»
Nos dirigeants politiques et leurs acolytes n’ont pas le monopole des bonnes idées, comme le prouve la situation actuelle de notre pays. Ils gagneraient donc à s’inspirer de ce que Ray Dalio, homme d’affaires américain, appelle la « méritocratie des idées ». Face à la situation économique critique de notre pays, nos dirigeants doivent écouter les personnes les plus brillantes et permettre aux meilleures idées d’émerger et de triompher. Cette approche méritocratique doit également prévaloir dans les grandes entreprises de notre secteur privé.
Malheureusement, au vu des nominations effectuées depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau Premier ministre semble peu enclin à adopter une approche purement méritocratique. Pourra-t-il apporter le renouveau et le changement tant attendus par son peuple en s’appuyant uniquement sur les partisans de son alliance ainsi que sur ces mêmes personnes qui l’ont conduit à sa perte en 2014 ? Les Mauriciens accepteront-ils que la méritocratie promise lors de la campagne électorale se transforme en une ‘hasbeencratie’ ?
La République de Maurice de demain
Selon Kate Raworth, économiste et professeure à l’université d’Oxford, « en économie, l’outil le plus puissant n’est pas l’argent, ni même l’algèbre. C’est un crayon. Parce qu’avec un crayon vous pouvez redessiner le monde. »
Il appartient désormais au nouveau Premier ministre de savoir canaliser les ardeurs de ses partisans et proches qui aiguisent leurs crayons, et de faire appel à ses Mauriciennes et Mauriciens, d’ici et d’ailleurs, les plus aptes à dessiner et bâtir la République de Maurice de demain. Les intérêts et les ambitions de notre pays doivent prévaloir sur les intérêts et ambitions personnels et partisans.
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