Ce papier vient clore la série consacrée à la reconstruction nationale post-Covid-19. Auparavant, nous avions écrit deux lettres ouvertes - une au Premier ministre et l’autre aux Mauriciens. Vendredi, le monde a célébré la Fête du travail. Mardi aura lieu la reprise du Parlement et, bien que le Covid-19 Bill ne serait pas à l’agenda, nous aurons une indication sur la stratégie politique, tant du gouvernement que des partis politiques de l’opposition. Selon des bruits de couloir, l’échiquier politique risque aussi de connaître des changements ; changements qui ne modifieront pas cependant la polarisation actuelle. La gestion de l’affaire SBM accentue cette polarisation et la tension est contraire à l’apaisement souhaitable et souhaitée.
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Durant ces trois derniers mois, nous avons pris connaissance du virus, de ses effets et des crises qu’il génère au niveau mondial et chez nous. Les analyses divergent sur ce que va être le monde d’après. Certains pensent que cela va accentuer les inégalités et les dérives antidémocratiques. D’autres pensent que c’est une opportunité pour une complète mise à plat, afin de repenser le modèle de développement où la quête du sens primera. L’enjeu est l’avenir et le devenir de la société pour une humanité retrouvée.
Où en est-on à Maurice ?
Sur le volet sanitaire, le virus semble avoir été contenu, même s’il y a beaucoup de scepticisme, d’interrogations - voire de contestations - compréhensibles. Le déconfinement partiel annoncé avec le Covid-19 Bill est un véritable défi. Le flou artistique entretenu par le gouvernement n’a pas rassuré les acteurs du développement et la population. Visiblement, l’État a été à la traîne, avec une communication goutte-à-goutte qui n’est pas approprié pour aider la population à conjurer la peur et les angoisses légitimes. Le message du Premier ministre à la nation, le 1er mai, a heureusement permis plus de clarté. Reste encore à connaître le contenu du Covid-19 Bill. La situation actuelle est inédite, c’est-à-dire du jamais vu et jamais vécu. Et toutefois, il faut prendre des décisions. Décider c’est choisir et choisir c’est renoncer. C’est complexe et compliqué. La communication axée sur la transparence va être un élément précieux pendant les semaines et les mois à venir pour traverser cette période pénible.
Nous commençons à prendre la mesure de l’impact économique de la pandémie du Covid-19. Perte de Rs 40 milliards rien que pour le tourisme et prévision, par le ministre des Finances, de 100 000 chômeurs d’ici la fin de l’année. Toute la population sera plus ou moins affectée. La crise sera intense, pénible, pleine d’incertitudes et longue. La surmonter exigera beaucoup d’efforts, de sacrifices.
La crise économique est inédite. à force de le dire, on commence à en oublier le sens. Pour avancer, il faut qu’on prenne la pleine mesure de ce que cela veut dire. La crise économique joue sur l’offre et sur la demande, sur notre économie ouverte, qui dépend des exportations qui, elles, sont à l’arrêt, ainsi que des importations. La nouveauté de la situation exige non pas un plan de relance, comme annoncé et qui se fait attendre, mais un plan de sauvetage englobant le budget 2020-2021.
Ouvrons ici une parenthèse concernant ceux qui se gargarisent du mot « résilience » à tout bout de champ comme d’une recette magique. Oui, il existe une résilience, mais sachons l’apprécier face à la hauteur et la nature inédite de l’enjeu. Que certains experts et spécialistes comprennent que le temps est à l’humilité ! Sur le tourisme, certains « experts » qui, hier encore s’élevaient contre la fermeture des frontières, nous balancent aujourd’hui des banalités sous forme de belles thèses. Des fois il vaut mieux se taire ! C’est le cas aussi pour d’autres secteurs, à l’exemple du comité qui réfléchit sur le secteur manufacturier. L’innovation concrète, qui est une exigence de l’heure pour reconstruire, ne se décrète pas.
Le pays entre dans une phase délicate, avec fondamentalement deux grandes orientations possibles. La première est celle de business as usual. C’est de la pure folie ! Souhaitons vivement que ceux qui sont aux commandes du pays ont compris qu’avec la pandémie, le discours programme est périmé. La seconde option est une occasion en or pour amorcer une transition vers une nouvelle stratégie et un nouveau modèle de développement. Toutefois, ne perdons pas de vue que la priorité des priorités est d’assurer la survie des entreprises existantes, source de gagne-pain de la population active. Il faut aussi en créer de nouvelles.
Table ronde et commissions
La nature inédite de la situation actuelle, nous ne cesserons d’insister dessus, et la complexité de ce qui est en jeu exigent une démarche tout aussi inédite. Il faut avoir tout le monde on board. En temps normal, le gouvernement et l’opposition ont leurs légitimités respectives, issues du suffrage populaire. Le gouvernement du jour a recueilli 37 % des suffrages exprimés lors des élections de novembre 2019 et une majorité parlementaire confortable grâce au système First past the post. Vivement que la démocratie parlementaire fonctionne pleinement. Mais même si c’est le cas, ce ne sera pas suffisant pour une mobilisation avec les efforts et sacrifices exigés de toute la population. Le chantier est trop vaste.
Il serait plus que souhaitable, voire même nécessaire, d’imaginer une instance supra-politique. Une table ronde d’écoute, d’échanges, de dialogue. Il faut réfléchir sur un certain nombre de paramètres concernant cette table ronde : cahiers des charges, structure et modus operandi, composition et critères de nomination. Cette instance doit réunir les représentants des acteurs du développement - partis politiques, associations patronales, fédérations syndicales, société civile et ONG, de même que des experts et spécialistes, et aussi des personnalités indépendantes. Cette table ronde devrait se doter de commissions sur les grands volets du plan de sauvetage et de reconstruction : Économie et finances ; Entreprises et travail ; Démocratie, libertés et droits ; Précarité et pauvreté ; Santé et environnement ; Production et consommation ; Éducation. Cette table ronde et ses commissions devraient fonctionner pendant deux ans.
Les divergences entre les principaux protagonistes existent et s’expriment déjà. Certaines sont réelles et profondes. Le défi, c’est d’activement trouver des convergences, car il faut impérativement arriver à s’entendre pour l’essentiel sur un certain nombre de volets : la santé de la population, la survie des entreprises, les garde-fous pour préserver la démocratie, la lutte contre la précarité et la pauvreté, les mesures et initiatives prioritaires en termes d’orientations pour la stratégie de développement de l’après-Covid-19.
Pour la reconstruction nationale, le business as usual serait une ineptie totale. Il nous faut jeter les bases d’une économie productive et créatrice d’emplois et de richesses, notamment dans le domaine agricole, pour assurer la souveraineté et la sécurité alimentaire.
La philosophie animant la reconstruction nationale doit s’appuyer sur notre patrimoine commun. Soit l’ADN mauricien, qui est le construire et le vivre ensemble. Pour réussir, il faut tabler sur le bon sens, la raison, l’intelligence et le cœur d’une majorité des Mauriciens. Il faut certes créer toutes les conditions pour relancer la machine économique avec le redémarrage des entreprises, mais la solidarité est de mise. Ce qui exclue toute cupidité ! Que les entreprises se gardent de chantage à l’égard de leurs salariés dans un rapport de forces qui va être en défaveur de ces derniers, avec le spectre d’un chômage massif. Les efforts et les sacrifices doivent être partagés de façon à rétrécir les inégalités et non en les maintenant ou, pire, en les creusant.
En sommes-nous capables ? Pour commencer, l’exemple venant d’en haut, nos élites dans toutes les sphères sont-elles capables de faire preuve d’exemplarité ? Sommes-nous capables de retrouver le sens du collectif, trop souvent sacrifié sur l’autel de l’individualisme et du tout-à-l’ego, élément structurant de l’écosystème idéologique global dominant. La responsabilité de tous est engagée pour réunir les conditions nécessaires pour sauver notre pays. Retrouvons le sens des mots « solidarité », « dignité » et « unité ». Soyons vigilants contre toutes les tentatives de profiter de cette crise inédite pour privilégier les agendas partisans, sectoriels, particuliers et personnels au détriment de l’intérêt général.
Nous sommes dans ce que A. Gramsci appelle l’entre-deux. La crise, dit-il, est : « [...] le moment où l’ancien ordre du monde s’estompe et où le nouveau doit s’imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments. » C’est le cas pour de nombreuses sociétés dans le monde, frappées par la pandémie du Covid-19. C’est grâce au « miracle sociétal » évoqué dans un précédent volet que le choix vital pourra être fait. Serons-nous à la hauteur de ce rendez-vous historique ?
Malenn Oodiah
2 mai 2020
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