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[Blog] Le Grand Confinement : La Mi-temps ?

Rajah GS Ramdaursingh G.O.S.K

Il est clair que les autorités sont en train de considérer sérieusement la levée partielle du confinement dès la semaine prochaine sous-entendant que le pays a déjà passé le pic de la première vague. Déjà les lobbies dans ce sens s’étaient manifestés à l’échéance du deuxième confinement. Et ils espèrent que les chiffres officiels, la tendance mondiale et la lassitude du confinement vont faire pencher la balance.

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Si on se fie aux chiffres officiels, on pourrait conclure que la première vague a été tant bien que mal contenue jusqu’ici. Mais, quoique je comprenne l’impératif économique, je demeure cependant sceptique que nous ayons suffisamment de données pour présumer que nous avons déjà passé le pic.

L’empressement s’il est sans fondement nous mettra à la merci d’autres vagues dans l’attente d’un vaccin. Inspirons nous par ceux qui semblent avoir mieux maîtrisé le ‘comment’ et le « quand» de la levée.

Afin de mieux appréhender l’avenir, permettez-moi de survoler les deux saisons qui se sont joués jusqu’ici car la chronologie est importante.

Saison 2

Commençons, si vous le voulez bien, par la deuxième saisonen cours.

Episode 1 - semaine du 16 mars:

Quatre déclarations du Premier ministre: restriction et fermeture des frontières, les premiers cas, confinement, couvre-feu; Ruée vers les supermarchés; Rébellion à la prison; Dernière session parlementaire…

28 nouveaux cas, 2 décès.

Episode 2 – 23 mars:

Couvre feu; Indiscipline; Excès policiers; Supermarché en mode on-off; Échec du plan des supermarchés en ligne; Mesures d’aide financière du gouvernement; Pénurie des légumes ; Les prix prennent l’ascenseur…

79 nouveau cas, 1 décès.

Episode 3 – 30 Mars:

Extension du lockdown ; Les supermarchés pris d’assaut à leur réouverture; mesures pour le secteur informel; Taxe de Rs4 par litre d’essence;  Suspension temporaire d’une licence radio; Renvoi du parlement; Les journalistes ne sont plus invités au press briefing…

120 nouveau cas, 4 décès, 7 guérisons

Episode 4 – 6 et 13 Avril:

Tractations à propos de la levée du confinement; Débat sur la crise économique; Extension du confinement; Arrestation d’une internaute…

101 nouveau cas, 2 décès, 201 guérisons

Episode 5 – 20 Avril:

Air Mauritius mis sous administration; Le nombre de nouveaux cas en baisse; le PM annonce la levée imminente du confinement sans annoncer les détails…

4 nouveau cas, 0 décès, 91 guérisons.

L’épisode 6 se joue cette semaine.

Avec les nouvelles habitudes, la dissipation vécue au début a graduellement cédé la place à plus de discipline. L’entraide entre voisins, familles et amis a certes allégé la souffrance de bon nombre de nos compatriotes. Quoique décrié comme étant insuffisant et, l’État a annoncé des plans d’aide. Bel élan de solidarité nationale gâchée par la frilosité du monde des affaires.

Le nombre et échantillonnage du dépistage demeurent un mystère. En comparaison à la Nouvelle Zélande qui a effectué 25 tests par 1,000 personnes, notre ratio n’est qu’à 10.Prenons aussi en considération aussi que le nombre de 14,445 tests effectués à dimanche n’équivaut certainement pas au nombre de personnes dépistées. Chiffre qui n’a pas été publié jusqu’ici.

L’annonce d’un plan de dépistage des 35,000 frontliners qui n’a débuté que…samedi dernier est aussi inquiétante. Même si c’est clair qu’on ne pourra pas tester toute la population, il est de ce fait critique que l’échantillonnage inclut les cas suspects identifiés par le contact tracing, les front liners et les asymptomatiques. Quel nombre et pourcentage représentatif de la population visé avant de prendre une décision?

Le Dr Manraj, directeur du laboratoire central de Candos, nous disait récemment dans un quotidien que les cas officiels ne représentent que le sommet de l’iceberg. Ce qui va  dans la même direction que les docteurs Gujadhur et Gaud prévoyaient au début de la pandémie.

Quid des ressources qu’on a en termes de personnel qualifié et équipements ? Le Dr Manraj, qu’il y a au moins huit laborantins qualifiés pour le dépistage. Est-ce que c’est suffisant vu la complexité et le nombre de dépistage qu’on doit viser?

Il nous disait aussi que les extracteurs et consommables venaient d’être reçus ou étaient attendus incessamment pour pouvoir passer à 1,000 tests par jour. De ce fait on aura à attendre encore pour un nombre de test adéquat. Excepté si on décide de placer notre confiance dans les tests rapide low cost pas recommandé par l’OMS!

Beaucoup pensent aussi que certains pouvoirs octroyés au ministre de la Santé à travers les régulations promulguées, certains pouvoirs que le commissaire de la police s’est arrogé et le refus du droit d’entrée sur le territoire à nos citoyens vont à l’encontre de notre constitution. 

De même que le renvoi du parlement par le Speaker est hautement contestable. Contrairement aux McDonald et KFC, considérés comme des services essentiels, notre Parlement est toujours fermé. Entre-temps les autorités ont émis 137,000 permis de travail soit vingt pour-cent de la main d’œuvre.

Vu aussi les récentes atteintes à la liberté d’expression, il y a des appréhensions concernant le Covid 19 Bill qui devrait être présenté la semaine prochaine. Espérons que nous n’empruntons pas la même route que la Hongrie d’Orban. 

Saison 1 

Revenons maintenant en arrière à la première saison, jouée de janvier à mi-mars qui a été un non-eventdangereux.. Malgré les grosses nuages qui s’amoncelaient et les avertissements, ici on ne s’est pas préparer en conséquence. 

C’est vrai que c’est difficile de prévoir l’imprévisible mais notre îleaurait pu et dû mieux se protéger en fermant ses frontières aux étrangers plus tôt et mettre en place les effectifs nécessaires. Que sept tests (dont trois positifs) entre Janvier et Mars 18? Commande tardive des masques et des équipements de dépistage et de traitement démontrent le manque de préparation.

Au contraire, pour faire face à la pandémie, le Gouvernement accueillait les croisières et incitait aux voyages à travers la réduction des coûts des billets aériens et l’augmentation de l‘allocation des boissons hors-taxe pour les passagers.

Si on peut être d’accord que malgré le chaos et les couacs, la deuxième saison a été tant bien que mal bien jouée, la première saison a été lamentable. Car à l’opposé de nos voisins, il y a eu perte de vie humaine par manque de planification et de décisions.

Saison 3 à venir

C’est pourquoi nous nous devons d’insister sur planning et la visibilité pour la troisième saison car le défi du déconfinement est certainement plus grand que celui du confinement. Un relâchement prématuré entraînera à coup sûr des conséquences humaines graves et le contraire des résultats escomptés pour l’économie. On ne peut pas se permettre de «fly blind», et de foncer tête baissée à l’aveuglette. 

Permettez-moi de vous emmener à une belle île réputée pour son attrait touristique. Suivant l’instauration d’un couvre-feu, l’île parvient à endiguer la première vague de la pandémie lui valant les louanges à travers le monde. La BBC en fait état! Autant bien qu’une fois les nouveaux cas ramenés à pratiquement zéro, sous pression, les dirigeants lèvent le confinement. Familier ?

Malheureusement, quatre semaines après la levée, l’île a été obligée d’instaurer à nouveau le couvre-feu car entretemps une deuxième vague avait frappé. En effet, les dirigeants de l’île japonaise de Hokkaido regrettent amèrement de s’être fiés à des données incomplètes basées sur un nombre insuffisant de dépistage et d’avoir causé un relâchement grave parmi un peuple pourtant réputé pour sa discipline. Ils avouent que dans leur empressement l’économie a finalement plus souffert que s’ils avaient maintenu le couvre-feu. 

La deuxième vague qui est en train de frapper le Singapore, devrait aussi nous interpeller. Comme Hokkaido, Singapore semblait avoir bien maîtrisé la première vague mais malheureusement les dortoirs où habitent les ouvriers étrangers sont devenus des couveuses du virus engendrant une deuxième vague.

C’est vrai que le fait que nous soyons une petite île loin des hubs est un plus. Mais notre démographie(densité, population âgée, famille élargie) et nos problèmes sanitaires existants (manque d’infrastructure et une population prédisposée au diabète et aux maladies cardiovasculaires) ne nous sont pas favorables. Donc prenons des risques calculés dans notre planification afin d’éviter d’être pris dans un cycle de confinement/déconfinement qui endommagerait plus l’économe, et engendrerait des soulèvements sociaux et un plus grand nombre de pertes de vie.

Comment ?

En annonçant que la grande ligne de la levée du confinement, le Premier Ministre a été prudent vendredi dernier. Mais le moment est venu pour annoncer les détails. Souhaitons que le plan soit aussi détaillé que ce que celui de la Nouvelle Zélande a présenté (4 niveaux d’alerte clairement expliqués :https://covid19.govt.nz/assets/resources/tables/COVID-19-alert-levels-detailed.pdf) ou comme le plan annoncé pour l’ouverture éventuelle des malls à Dubai(4 étapespré-établies : https://www.bayut.com/mybayut/dubai-reopening-guidelines/#malls)

Du fait que la population sera toujours à risque après la levée du confinement jusqu’à la validation d’un vaccin, il est clair que le succès de ces phases de déconfinement dépendra de l’adhésion soutenu de la population. Ainsi, le plan et la méthodologie doivent être clairement explicités.

Le bon-sens nous dit que le plan du gouvernement devrait inclure au moins les principes suivants :

  1. Déclinaison des paramètres pour justifier la levée du confinement (nouveaux cas en single digit basé sur un nombre prédéterminé de la population dépistée);
  2. Paramètres pour les différents niveaux du déconfinement (1. Lockdown total…4, retour à la vie normale) ;
  3. Indication claire des étapes d’ouverture par secteur prioritaire et le nombre de personnes impliquées pour chaque étape ainsi que les mesures de protection ;
  4. Programme de dépistage clair et transparent : nombre de citoyens, échantillonnage représentatif, équipements agrégés ;
  5. Stock suffisant des masques selon les normes pour toute la population ;
  6. Plan en place pour affronter une deuxième vague;
  7. Programme de désinfection de nos infrastructures; et
  8. Conscientisation de la population par exemple à travers les clips si bien réussis du Dr Gunness.

Évitons aussi à tout prix la réouverture prématurée de nos frontières car on mettrait en péril tous les sacrifices consentis durant ces dernières semaines.Ne soyons pas des Cocovid comme le disait si bien le docteur Gujadhur.

Quid de l’économie? Nous avons déjà eu notre première victime de marque en Air Mauritius. Même si le Covid 19 aura bon dos pendant longtemps pour justifier notre situation économique et les finances de certaines entreprises, il est clair que la crise économique est déjà là.

Malgré la baisse du prix du pétrole, les secteurs clés de l’économie, l’investissement, l’emploi et la consommation vont pâtir considérablement. Les finances publiques et notre balance de paiement étant déjà au rouge, notre marge de manœuvre est ainsi considérablement limitée.

C’est bien que nos têtes pensantes soient en train de proposer des solutions afin de relancer la machine économique. Ils reconnaissent aussi qu’aucune des solutions proposées en soi sera la panacée de l’économie car la situation est inédit.

Le Président Trump a déjà démarré son plan d’une allocation de $2tn à environ 150 millions Américains qui recevront jusqu’à $1,200 en espèces en son nom. Mais déjà la les critiques pleuvent sur l’impact économique réel de cette mesure donnant raison, à l’ancien Gouverneur du RBI, Raghuram Rajan,  qui a dans le passé pris position contre cette mesure.

J’espère que le débat dépassera le cadre des moyens de financement de la relance pour se focaliser sur l’utilisation des fonds d’une façon inclusive. L’inégalité qui était déjà omniprésente a été accentuée par le confinement et la crise qui va s’ensuivre va exacerber ces inégalités. Comment s’assurer que l’État qui aura à pourvoir la majeure partie du financement, fasse bénéficier toute la population d’une façon durable?

Ne nous cantonnons pas au trickle down economics. Venons avec des propositions innovatrices car c’est le moment ou jamais d’être innovateur et créatif. Une crise de cette ampleur permet de revoir en profondeur notre modèle que ce soit économique ou sociétal. Déjà beaucoup d’autres pays sont en train de réfléchir sur les mesures pour accentuer l’innovation, revoir l’interdépendance entre les nations et les mesures pour protéger l’environnement et promouvoir la durabilité.

Conclusion

Nous avons la bonne ou mauvaise fortune de vivre en ce moment une époque extraordinaire de l’histoire de notre civilisation. Ce sont les décisions qu’on prend aujourd’hui qui vont façonner nos lendemains. Nous ne sommes qu’à la deuxième saison d’un spectacle inédit où nous sommes non seulement les spectateurs mais aussi les acteurs. 

En ce qui nous concerne maintenant, je terminerais par la déclaration du maire de New York, Andrew Cuomo, au cours de son briefing dimanche dernier répondant aux pressions d’un relâchement : « Ne nous emballons pas. Ne devenons pas arrogant. Ce virus nous a devancé à chaque étape. Ce n’est que la mi-temps dans toute cette histoire. »

Rajah GS Ramdaursingh G.O.S.K

 

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