Beaucoup a été dit, souvent avec raison, sur les causes de la récente augmentation des tarifs. À l’intention du commun des mortels, rappelons dans un langage aussi simple que possible pourquoi nous en sommes arrivés là. Surtout, essayons d’en tirer des enseignements pour l’avenir tant sur le plan individuel que pour notre pays.
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- Environ 80% de notre électricité provient de l’huile lourde et du charbon. Cela persiste et dure depuis des années maintenant, des décennies même. On n’arrive pas à introduire massivement les énergies renouvelables que nous avons localement. Pour preuve, nous sommes un des rares pays au monde où il n’y a eu aucune éolienne installée en presque une décennie. Entretemps, les prix de l’huile lourde et du charbon ont battu des records. Nous dépendons trop de ces ressources, importées en dollar qui s’apprécie rapidement face à la roupie. Sans compter l’impact sur l’environnement et le climat provoqué par ces énergies sales, donc avec une répercussion directe sur notre santé ou encore nos écosystèmes dont dépendent, par exemple, notre tourisme.
- Au fil du temps, la demande en électricité a aussi battu tous les records, surtout aux heures de pointe avec un usage de plus en plus conséquent de la climatisation. Nos bâtiments ne sont pas conçus afin de promouvoir la ventilation naturelle, et aussi ce que les experts appellent la ‘bioclimatique’ qui est une vraie opportunité dans notre contexte insulaire tropical. Les économies d’énergie et l’efficacité énergétique, si nous les mesurons par rapport à notre production nationale brute, semblent avoir atteint une limite. Toutefois, le potentiel d’une meilleure gestion de la demande est bien là et demeure inexploité. Nous pouvons avoir ‘more with less energy’, moto de l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) à sa fondation. Toutefois, cet organisme est méconnu et a du mal à s’imposer comme promoteur d’une vraie culture de ce qu’ailleurs on appelle ‘la sobriété énergétique’.
- Avec les deux raisons avancées plus haut, il y a une troisième cause. De 2013 à 2020, juste avant la COVID-19, les cours du pétrole, et même du charbon, ont été relativement faibles. Les centrales thermiques en opération avaient aussi pour la plupart déjà recouvert leurs investissements. Ainsi, le CEB comme les gros producteurs du privé (IPPs) étaient dans une position financière extrêmement favorable, engorgeant des profits et constituant des réserves énormes à cette époque. Certains parlent justement de dizaines de milliards. Imaginons recevoir plus d’un milliard de roupie chaque mois cash pendant des années, au temps où la roupie était aussi plus forte. Aujourd’hui, ce trésor s’est évaporé alors qu’il aurait pu assurer la transition énergétique du pays, les énergies renouvelables devenant également plus abordables. Si tel avait été le cas, nous ne serions pas maintenant face à une hausse des tarifs. Beaucoup de consommateurs auraient déjà adopté des énergies renouvelables avec une exigence de bonne gestion de la demande.
- Or, le pays se trouve avec un besoin, aujourd’hui, de financer un Roadmap au coût de pas moins de Rs 60 milliards d’ici 2030 afin d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables dans le mixte de génération d’électricité. D’où viendra cet argent ? L’épisode Terra encourage les décideurs à éviter davantage de dépendance sur les IPPs. Heureusement, il existe des ‘business models’ plus équitables qui peuvent offrir une alternative, mais dans tous les cas, le CEB devra apporter une contribution significative, ne serait-ce qu’en répondant à la nécessité de moderniser le réseau de transmission et de distribution. Il est évident qu’avec ses dettes actuelles, il ne pourra le faire sans une hausse des tarifs.
- Mais il y a plus grave. Si l’objectif est d’atteindre 60% de renouvelables d’ici 2030, qu’en sera-t-il du 40 % restant ? Avec l’élimination du charbon et la volonté de ne pas être l’otage du gros capital, pour ce 40%, depuis longtemps c’est l’option des turbines à gaz à cycle combiné qui est privilégiée. D’où l’insistance de certains pour le Gaz Naturel Liquéfié (GNL), même s’il n’y a pas de masse critique pour justifier ce choix de carburant. Si certains lobbies se pressent déjà depuis un bon bout de temps pour arracher ce marché juteux avec un capital initial requis de pas moins de Rs 20 milliards et un coût d’opération qui se mesurera en plusieurs milliards annuellement, il faut s’assurer que les consommateurs soient éventuellement habilité à payer la note. Une hausse de tarif va dans ce sens.
- Qu’en est-il de la réduction de la demande? Il y a trop d’argent en jeu et c’est une des raisons pourquoi ceux qui luttent pour faire réduire la demande semblent avoir perdu la bataille d’avance. Le recours au Gaz Naturel Liquéfié (GNL) nous obligera à consommer plus afin de recouvrir le financement phénoménal engagé, dans l’intérêt de seulement quelques promoteurs et leurs acolytes. C’est un peu ce qu’on appelle un ‘lock-in’, un danger que nous avons pu éviter avec le projet de centrale à charbon de CTPower. L’option de démocratiser, de décentraliser, de digitaliser et de décarbonner (4D) la fourniture en impliquant des milliers et des milliers de petits et de moyens producteurs d’énergies renouvelables aurait été, par contre, parfaitement en cohérence avec les efforts de la maîtrise de la demande. Et aurait permis de résoudre grandement le problème du financement, sans mettre un fardeau sur le CEB ou se tourner vers les IPPs et ceux que certains lobbies veulent installer comme nouveaux opérateurs.
- Une fausse raison avancée par quelques-uns, et archi-répétée par d’autres qui ne sont pas au courant de l’évolution du monde, est que les énergies renouvelables sont intermittentes. C’est la même histoire que nous entendons depuis plus de vingt ans, pour justifier tantôt CT-Power ou tantôt les projets de la centrale de St-Louis. Cette logique ne tient plus, car la demande est bien elle-même variable, et gérable. Bien sûr, si nous voulons le faire. Et depuis, il y a tant d’innovations qui permettent aujourd’hui d’atteindre une meilleure pénétration des renouvelables. Il y a un devoir de bon management et de bonne gouvernance énergétique, mais certains veulent à tout prix défendre des ‘vested interests’.
Que pouvons-nous faire? Tout n’est pas la faute des décideurs politiques, économiques et autres, car individuellement nous participons aussi à notre échec. À l’heure du consumérisme, une évidence en cette période festive, la résistance est une rude épreuve pour celles et ceux qui cherchent à arriver à une consommation plus rationnelle, voire modeste. Adopter les bonnes habitudes est difficile. Nous voulons toujours avoir plus, le plus vite. Ailleurs, le terme ‘sobriété énergétique’ est à la mode, même si ce qu’il faut finalement c’est aussi une certaine ‘frugalité’, c’est-à-dire se contenter de peu et mener une vie plus simple. Sommes-nous disposés à le faire ?
L’efficacité énergétique, en soi, ne mène pas toujours à consommer moins. Par exemple, les téléviseurs aujourd’hui sont bien moins énergivores qu’il y vingt ans, mais ils sont plus grands, sont en marche pendant plus longtemps et se multiplient dans chaque maison. Comment y résister ? Il doit y avoir environ 20% de consommateurs qui dévorent plus de 80% de la demande. Ce sont ceux-là qui sont concernés au premier chef par l’obligation morale de réduire la demande.
Ce qui explique aussi un peu pourquoi les autorités avancent que 85% des consommateurs ne seront pas concernés par la hausse prévue. La plupart de ceux-là consomment peu par rapport aux autres. À l’échelle planétaire, c’est le même constant : ce n’est ni la population des pays les moins avancés et pauvres, ni même 80% de celle des pays industrialisés qui sont responsables de la grosse consommation mondiale des énergies fossiles et des impacts qui en découlent comme sur le climat. Ceux qui sont derrière la surconsommation sont connus, et il ne sert à rien à réclamer à ceux qui consomment peu, ou qui n’ont rien, d’économiser.
Par contre, aussi longtemps que nous aspirons à un modèle de société et de développement où nous voulons toujours plus, plus d’argent, plus de consommation, plus de production, plus d’exploitation de nos ressources le plus vite pour satisfaire un petit groupe, cela provoquera davantage de destruction, d’accaparement et d’inégalité. Et nous continuerons à faire souffrir les plus vulnérables, et la planète avec, car elle a atteint ses limites. Finalement, ce sont nos générations futures que nous condamnons…
PROF. KHALIL ELAHEE
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