Black-out pour Elizabeth le 4 décembre 2018 à son réveil… Elle perd la vue. Depuis, cette habitante de Plaisance âgée de 38 ans avance à tâtons dans la pénombre. Son compagnon Kerley est là pour elle. Le couple espère une lueur d’espoir.
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Installée dans le confort relatif d’un sofa malodorant, Elizabeth déplie à tâtons le papier qui renferme un farata, repas improvisé par son compagnon Kersley. Ce dernier est à son chevet depuis qu’elle a perdu la vue, il y a deux mois, soit le 4 décembre 2018. Les deux marchent sur la corde raide. Le 29 janvier, Elizabeth devait se rendre à son rendez-vous à l’hôpital pour connaître la raison de cette subite perte de la vision. Sans un sou en poche, Kersley fait le va-et-vient dans la rue ce jour-là, histoire de trouver un bon samaritain. Il tombe sur son ancien employeur qui lui refile Rs 30.
Ces quelques sous couvrent le trajet d’une personne à Moka, mais Elizabeth ne peut s’y rendre seule. Kersley peine à trouver de quoi payer, à son tour, son ticket. Il rentre bredouille et sa compagne manque son rendez-vous avec le spécialiste. Le dilemme : décrocher un autre rendez-vous après un mois d’attente ou encore trouver suffisamment d’argent. « Monn ezite pou demann dimounn kas. Ou gagn enn ta koze. Sitiasyon pa permet mwa travay. Akoz samem mo dan lapenn. »
Confinés dans une maison rongée par le temps à Plaisance, Elizabeth et son compagnon vivent dans la misère noire. Sans électricité ni nourriture, ils survivent grâce à la générosité occasionnelle de quelques voisins, conscients de la santé fragile d’Elizabeth. Kersley désespère de nourrir sa compagne. Comme un malheur ne vient jamais seul, cette dernière est porteuse du VIH. « Li bizin byen manze pou pran so medsinn », dit-il, en confiant qu’il peine à se mettre à son compte. Car il ne peut pas laisser sa compagne seule, d’autant qu’elle a voulu mettre fin à ses jours après sa subite perte de vue.
L’inquiétude s’affiche sur le visage crispé de Kersley. La maison qu’il occupe n’est pas la sienne et les propriétaires lui ont demandé de vider les lieux. L’étau se resserre autour de lui. D’une part sa compagne est devenue aveugle et d’autre part, il est incapable de la laisser seule pour aller travailler. Dans ses yeux, on décèle tout l’amour qu’il lui porte.
Comme Elizabeth, la vie de Kersley n’a pas été un long fleuve tranquille. Il regrette ses actions passées. Il s’accroche pour avancer vers demain, même s’il vit au jour le jour. Il poursuit son traitement de maintien à la méthadone. Son passé le pourchasse et la spirale pour trouver du travail devient de plus en plus infernale. Car il est allé en prison pour trafic de drogue et pour des cas de vol. Il ne sait plus à quel saint se vouer pour sortir de l’impasse.
À cœur ouvert
Après avoir rempli un verre d’eau, Elizabeth parle à cœur ouvert de ses déboires. Tout commence durant son enfance. Elle réussit aux examens du Certificate of Primary School et décroche une place dans un collège à Beau-Bassin. Son père refuse de payer ses frais scolaires. La petite Elizabeth quitte les bancs de l’école pour devenir helper dans une usine. Son salaire : Rs 500.
Chérissant le rêve de devenir coiffeuse, Elizabeth demande à ses parents de placer son argent à la banque. À chaque quinzaine du mois, elle remet son salaire à son père. Au fil des jours, il change de discours et puise dans le salaire de sa fille, tantôt pour acheter à manger pour toute la famille, tantôt pour ouvrir des comptes en banque pour ses fils.
Un beau jour, Elizabeth cherche à savoir le montant disponible sur son compte bancaire. Elle fouille dans les affaires de son père et découvre le pot aux roses : le compte est à sec. La jeune fille qui se tue à la tâche fulmine. Elle demande des explications à son père. Il lui dit qu’il a remis l’argent à sa congrégation pentecôtiste.
Elizabeth tombe des nues. Elle décide de se venger de son père autoritaire en le défiant. « So move ti dan li. Li ti pe bat mo mama ek kras dan lasiet. Toultan li ena bann remark. Pou mo amerd li monn koumans sorti, fime ek al kot kamarad. Monn koumans amenn move lavi. »
Elizabeth a 15 ou 16 ans lorsque sa mère décide de quitter son bourreau de mari. Cap sur une maison à Quatre-Bornes pour entamer une nouvelle vie. Elizabeth continue à travailler. En cours de route, elle rencontre un homme qui la met enceinte. À 17 ans, elle accouche de son premier enfant. Sa relation avec le père est éphémère.
Après trois ans, elle fait la connaissance d’un autre homme et tombe à nouveau enceinte. Mais son compagnon se révèle vite infidèle et elle retourne vivre avec sa mère. Cette dernière prend son enfant en charge. « Mo zanfan fer sanblan me li nepli estim mwa aster », dit Elizabeth en poursuivant son histoire.
Jamais deux sans trois
Elle décide de refaire sa vie encore une fois. De cette rencontre naît un troisième enfant. Mais la vie d’Elizabeth bascule lorsque son compagnon lui fait goûter au brown. Commence alors la descente aux enfers. Elle en fume pratiquement tous les jours jusqu’à dilapider la totalité de son salaire. Faute d’argent, elle partage les doses avec son compagnon qui lui injecte la drogue dans les veines. « Parfwa li fer marday. Li pik plis delo ar mwa. Mo ti pli kontan fime mwa. Mo pa konn pike. Mo pa gagn kont. »
Accro à la drogue et sans argent, Elizabeth prend son courage à deux mains pour faire le tapin à Rose-Hill. Elle a alors 28 ans. Ne sachant comment fonctionne ce métier, elle s’instruit auprès d’une amie, qui est travailleuse du sexe. Pour sa première passe, Elizabeth obtient Rs 4 000. Elle court s’acheter de la drogue pour fumer mais elle garde quand même des sous pour acheter de quoi manger à son enfant.
Après deux jours, elle reprend le trottoir. Son compagnon lui crache à la figure en apprenant ce qu’elle fait pour gagner sa vie. Mais il ne crache pas sur le pactole que touche Elizabeth en vendant son corps. Ce « métier », elle le pratique pendant un ou deux ans. « Monn arete akoz mo ti fatige ar sa lavi la. Li ti pe kokin mo kas. »
Elizabeth raconte que son compagnon l’a même entraînée dans une histoire de chantage et de vol avec un de ses clients. Lorsque la police débarque pour arrêter son homme, ce dernier la tire par les bras. Les portes de la prison se referment sur eux. Au cours de ses 18 mois de détention, elle apprend qu’elle est malade. Son monde s’écroule. Elle regrette ses choix. « Mo ti ena enn kopin. Nou finn batt enn larout pandan 5 mwa parla. Linn infekte mwa. »
À sa sortie, elle entame un traitement de maintien à la méthadone. C’est là qu’elle renoue avec Kersley. « Mo konn li depi mo zanfan. Nou abit pre. » Peu de temps après, ils se mettent en couple. Kersley accepte le vécu d’Elizabeth. La jeune femme en fait de même. Cela fait huit ans qu’ils sont ensemble.
Aujourd’hui, Kersley et Elizabeth ont besoin de vivres et d’un soutien financier. Mais ce qu’il leur faut surtout c’est l’aide d’une personne pour faire des démarches auprès du ministère de la Sécurité sociale et de celui de la Santé.
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