Le gouvernement demeure intransigeant.
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Pas question d’une quelconque majoration des prix des tickets d’autobus, encore moins de ceux du pain. La résistance s’organise, principalement de la part des boulangers et des compagnies d’autobus individuels. L’un réclame en moyenne Rs 2-3 de surplus, l’autre entre 20 et 50 sous le pain. Qui aura le dernier mot ?
La messe est semble-t-il dite pour le gouvernement. Il campe solidement sur sa position. Vis-à-vis, il y a deux mastodontes, en l’occurrence deux syndicats regroupant des centaines d’affiliés qui estiment que leurs revendications sont justifiées, preuves à l’appui. Depuis ces derniers jours, c’est à coups de déclarations publiques que les deux camps s’envoient des messages plus que décodés et sans ambiguïtés.
D’un côté, il y a les propriétaires des autobus individuels qui maintiennent que leurs revendications sont plus que justifiables et, dans le même secteur, un autre syndicat estime que c’est inadmissible.
Ce qui nous intéresse aussi, est la position des boulangers. Le ministre Ashit Gungah leur a rappelé les subsides sur la farine et la baisse récente lors du dernier Budget de ce même produit de base. Mais, les boulangers n’en ont cure et persistent et signent, documents à l’appui. Augmentation ou la clé sous le paillasson.
Selon Naser Mahoby, les temps sont durs depuis ces dernières années. Les boulangers broient du noir, selon lui. Le président de l’association des boulangers explique que, si le temps du « pain noir » est presque révolu, c’est que l’effort vient de ce métier vieux comme le monde : « On reproche aux boulangers de réclamer une augmentation. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous le faisons, car nous sommes conscients que les petites gens comptent sur les pains quotidiens que nous fabriquons et les payer quelques sous en plus pourrait leur être difficile, mais nos frais n’ont cessé de gonfler ces dernières années et la dernière augmentation relève à plusieurs années ».
La baguette à Rs 40 ?
Pour lui, le mémoire que l’association compte déposer au ministère du Commerce comprend dans les moindres détails les coûts et les revenus des boulangers : « Un sachet de farine de 50 kilos produit 600 pains maison et la plupart en produit une moyenne de 30 000 par jour, ce n’est rien comparativement aux dépenses encourues ».
Il égrène alors les dépenses : main-d’œuvre étrangère au coût de Rs 476 pour 8 heures de travail, leur logis, l’électricité, l’eau, le gaz ménager, ils coûtent plus cher que les travailleurs mauriciens qui refusent de faire ce métier astreignant. Sans compter l’assurance, l’électricité, le fioul, le transport pour la distribution, le permis, les intrants, entre autres.
« Le ministre dit que la farine obtient des subsides, ce qu’il ne sait pas c’est que si elle ne l’était pas, la baguette se vendrait à Rs 40 la pièce et actuellement on obtient quelque 5 sous par pain maison, c’est de la folie », dit le syndicaliste.
Enter les grandes surfaces
S’il y a un phénomène qui a gagné la population, c’est celui de tout acheter dans les grandes surfaces. Le ministre Ashit Gungah l’a reconnu et Vimal Gopalsing, Sales Manager du groupe Winner’s côté de la boulange, ne dira pas le contraire. Les pains spéciaux ont la cote auprès des consommateurs, quitte à casquer pour en grignoter.
« Du côté des supermarchés Winner’s, l’idée d’une augmentation des prix du pain ‘scheduled’ ne nous a même pas effleurés et si c’est le cas, nous aviserons. Pour ce qui est des pains spéciaux (fency breads) qui conservent une fraîcheur de longue durée, on ne contourne pas le contrôle des prix, on ne fait que satisfaire une demande grandissante, tout en faisant aussi des ‘scheduled breads’ », nous dit-il.
Vimal Gopalsing ajoute qu’il est conscient que les grandes surfaces, avec leurs propres boulangeries et leurs pâtisseries grignotent sur la production des boulangeries traditionnelles, « mais on travaille tous sur la demande du marché avec l’avantage que nous sommes des ‘one stop shop’ où tout est disponible sur les étagères et qu’il suffit de se servir ».
Ainsi, tenant tous ces aléas en compte, les boulangers veulent faire entendre leurs doléances, sinon des presque 400 fabricants de pains du pays - dont une bonne partie a fermé pour des raisons financières – il n’en restera que quelques-unes traditionnelles à fabriquer des pains traditionnels pour éviter l’épisode du « pain noir *» aux Mauriciens.
(*Le pain Noir est une suite romanesque de Georges-Emmanuel Clancier racontant la vie d’une famille pauvre et modeste à la fin de la 1ère Guerre mondiale, tournant autour de la difficulté de s’approvisionner en pains quotidiens. Le livre connaîtra un succès après la diffusion du feuilleton télévisé de Serge Moati. Le Pain Noir a été récompensé du Grand Prix du roman en 1957).
Cars scolaires : augmentation probable à la rentrée
Le fioul plus cher, soit. Mais, pas question de majorer le tarif en vigueur au beau milieu de l’année. Tel est l’avis du président de l’Association of School Bus Owners, Ismet Eydatoula. « On constate que le prix du diesel a pris l’ascenseur depuis quelques jours, mais nous devrions y faire avec », nous dit-il. La raison ? Tout simplement qu’au niveau de ses membres, des discussions ont eu lieu et il a été recommandé de passer cette augmentation aux parents, si besoin est : « On a discuté et il n’est pas dans nos habitudes d’augmenter le coût du transport scolaire. Normalement, si tel devrait être le cas, nous le ferions à la rentrée sans mettre le couteau sous la gorge des parents ».
Ismet Eydatoula ajoute que ses 300 membres sont tous unanimes à accepter ce principe : « Quand il y a baisse du diesel, nous en profitons, quoique ces revenus sont absorbés par nos différentes dépenses qui ne cessent d’augmenter et quand il y a hausse du diesel, nous ne la passons pas immédiatement aux parents et ce n’est qu’à la rentrée en janvier que ce sera fait, les augmentations dépendront des trajets ».
Il fustige ceux qui réclament une augmentation des coûts sur le champ : « Ceux-là ne sont pas des chauffeurs de cars scolaires à plein temps, ils ont leur travail mais viennent squatter sur nos terrains et en demandant une augmentation des frais de la part des parents immédiatement, ils pensaient nous forcer à en faire de même, ce qui ne sera pas le cas ».
Ismet Eydatoula indique que, c’est surtout desservir les trajets comme point de départ Pte-aux-Sables, pour rallier Coromandel, Belle-Étoile, Balfour, Beau-Bassin Centre et Rose-Hill, entre autres. Le coût du trajet dépend de la distance qui sépare la résidence de l’écolier et de son école.
Un membre de la même association, Ganpathna Pawan, qui fait lui des trajets dans le Nord, soit Triolet, Arsenal, Terre-Rouge, Baie-du-Tombeau, Le Hochet, Riche-Terre, Ste-Croix et Morcellement Raffray, est du même avis. « On ne peut appliquer une augmentation des trajets au beau milieu de l’année, on doit être juste et penser aux parents, s’il faut le faire, ce sera au début de janvier et il y a des parents qui ne pourront payer, on avisera en conséquence », dit-il.
Il explique que les propriétaires de cars scolaires ont beaucoup de frais, comme l’assurance tous risques, l’augmentation des salaires des chauffeurs et des helpers, qui représentent un manque à gagner, mais c’est le métier qui veut cela.
À combien s’élèvera cette augmentation ? « Cela dépend des trajets de l’écolier, mais elle sera dans la fourchette entre Rs 100 et Rs 150 mensuellement, pas plus ». Alors que d’autres cars scolaires songent à un barème de Rs 200, ni plus ni moins.
Ashit Gungah : « Augmenter le prix du pain est injustifiable »
Le ministre du Commerce est sans équivoque et n’y va pas de main morte. « Pourquoi quand il y a baisse des prix des carburants, ces opérateurs n’ont pas bougé leur petit doigt pour passer cela aux passagers ? Quand il y a une hausse des produits pétroliers, ils se démènent et prennent cela comme prétexte pour réclamer une révision à la hausse du coût du pain.
Nos officiers ont travaillé les chiffres des boulangeries et leurs diverses dépenses et je trouve que les syndicalistes font volontairement l’impasse sur des subsides qu’ils obtiennent du gouvernement sur le diesel, l’essence et le gaz. En prenant tous ces paramètres en considération, j’arrive à la conclusion qu’une demande d’augmentation des prix du pain est injustifiée », a dit le ministre Ashit Gungah.
Il dit rejoindre à cet effet la décision de son collègue Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques, concernant le refus d’augmenter le coût des tickets d’autobus, même avec une majoration des produits pétroliers.
Transport public : Avis totalement opposés
Drôle de situation parmi les syndicats du transport public. Les deux plus grosses entités de cette industrie ne convergent nullement sur cette demande de majoration du coût du ticket d’autobus. L’Union of Bus Industry Workers (UBIW) et la Mauritius Bus Owners Cooperative Federation (MBOCF) sont d’un avis tout à fait opposé et justifient à leur façon leur prise de position.
Pour Sunil Jeewoonarain, secrétaire général et porte-parole de la MBOCF, représentant 800 membres affiliés pour 850 autobus individuels, il y a mille et une raisons pour soutenir que les tarifs des tickets d’autobus doivent être majorés au plus vite, d’autant plus que le diesel a connu une hausse récente.
« Quand on insiste à dire qu’il faut que les coûts des tickets augmentent, cela étonne. Avec preuves à l’appui, à travers un memorandum qui est en préparation pour être présenté au ministre concerné la semaine prochaine, nous démontrerons les raisons de notre demande qui est justifiable et ‘long overdue’ », dit le syndicaliste.
Pour lui, le secteur du transport en commun a connu bien des aléas et que depuis des lustres cela perdure : « Nous avons tenu un comité avec nos membres mercredi et c’est à l’unanimité que nos membres ont voté pour une augmentation. La dernière majoration remonte à 2013 et depuis, pas un sou de plus, alors que les divers frais que nous, propriétaires d’autobus individuels, avons dû casquer, afin de garder la tête hors de l’eau, souvent à nos pertes ».
« Plito taxis marrons »
Il ajoute que tous les ans, ils doivent faire les frais des augmentations de salaires, sans compter les diverses compensations : « Auparavant, les propriétaires pouvaient espérer travailler avec une marge de profits de 20%, soit Rs 35 000 par mois, dorénavant, ce chiffre sera ramené à Rs 23 000, ce qui aura un impact direct sur les employés ».
Le syndicaliste d’ajouter que la récente augmentation du coût du diesel est venue compliquer la situation des autobus individuels : « Savez-vous que le diesel absorbe 60 % de nos revenus par jour ? Comment alors faire face à d’autres dépenses ? Plito fer taxis marrons ».
Les compagnies d’autobus ne reçoivent-elles pas des subsides sur le diesel quand il augmente ? À cette question, Sunil Jeewoonarain sourit et lâche : « Les cinq grosses compagnies d’autobus obtiennent des subsides si le diesel passe la rampe de Rs 35 le litre, alors que pour les compagnies d’autobus individuels, cette barre doit dépasser Rs 40 le litre. C’est injuste envers nous ».Il dit espérer que le ministre Ashit Gungah saura leur être indulgent quand il examinera leur mémorandum.
Autre son de cloche, cette fois de la part de l’UBIW. « Réclamer une augmentation du coût des tickets d’autobus est inadmissible et l’UBIW, réunie cette semaine, n’est pas d’accord »,lâche Alain Kistnen, secrétaire général et porte-parole de l’UBIW.
Pour être plus explicite, le syndicaliste dit ceci : « Les employés sont aussi des parents et toute augmentation les touche également. On dit que les étudiants voyagent gratuitement, mais quand ils vont prendre des leçons particulières hors de leur ‘catchment area’, ils doivent payer, il y a d’autres raisons encore ».
Alain Kistnen se demande pourquoi le patronat n’a jamais répondu à l’appel du ministre de tutelle quand il y a eu baisse du fioul : « Quand le diesel a connu une baisse conséquente, les prix du ticket d’autobus sont restés inchangés et de quel droit maintenant que les passagers devraient payer plus ? Pour le patronat qui dit qu’il n’a jamais de l’argent pour payer des ‘increments’ à leurs employés ? »
Il se demande pour qui roulent ceux qui réclament une majoration : « Il y a certains, dans tous les groupes, qui roulent pour le patronat en catimini et se battent pour lui, alors que les grands patrons ne prennent pas position, envoyant au casse-pipe leurs employés, empochant s’il y a augmentation des profits sur leur tête ». Et si l’augmentation est rendue possible ? Alors, dit-il, son organisation avisera, mais tout dépendra du patronat qui devra suivre, bon gré mal gré.
Toujours est-il que le ministre Nando Bodha a été catégorique : pas question d’une augmentation du coût des tickets d’autobus. Affaire à suivre !
Dhool puri et rotis à Rs 14
Lui est prévoyant. Ses pairs de dholl puri ont connu une hausse depuis trois mois et il ne touchera pas au prix encore, malgré l’augmentation du diesel. « J’avais demandé aux autres grands marchands de dholl puri et de rotis de majorer leurs prix en prévision d’une éventuelle augmentation du prix du diesel ou de l’essence. Mais, ils ont maintenu leur prix à Rs 12 l’unité, alors que chez Dewa & Sons, le prix est de Rs 14 depuis trois mois et on le maintiendra pour longtemps encore », nous dit Sudesh Unuth, l’un des enfants de Dewa, décédé depuis trois ans, qui a repris le flambeau.
« Nos clients sont des ‘repeaters’ et on sait qu’ils ne vont pas rechigner de mettre la main à la poche pour payer nos produits Rs 2 plus chers bientôt »
Est-ce à dire que son entreprise pourra amortir cette récente hausse du prix du fioul ? « Aucun problème, car dans nos calculs, on a inclus les frais du transport en camion des marchandises, tels les pommes de terre, les oignons, le gaz industriel, le tout à domicile. Tout ce beau monde va passer cette augmentation du diesel sur leurs livraisons futures et on a fait provision déjà », répond le jeune homme.
Pourquoi passer une augmentation du diesel, alors que les fabricants de dholl puri et de rotis bénéficient, en sus des subsides du gouvernement sur la farine, d’une baisse récente sur cette denrée ? « Il y a eu la baisse, les subsides, mais les frais augmentent chaque jour. La dernière augmentation de nos produits remonte à neuf ans, autant d’années que nous avions eu à subir les diverses variations sur le coût de la vie, les augmentations des salaires, le coût du ticket d’autobus et des taxis marrons pour nos employés, entre autres. Il était temps que nous revoyions nos prix de vente de nos produits, sans exagérer toutefois », répond Sudesh Unuth.
À souligner, qu’outre de vendre ses dholl puri à la maison-mère où ils sont fabriqués sur place « so so », les produits atterrissent aussi à une échoppe à l’Arab Town et au Bagatelle. L’échoppe du Champ-de-Mars ne fonctionnant plus depuis quelque temps.
Pour ce qui est de ce marchand au cœur de la capitale, où il y a toujours queue, la question d’augmenter le prix de ses dholl puri et de ses rotis, de même que ses « gato diluile », Dhiraj s’explique : « Il est vrai qu’on s’est fait un nom depuis quelque temps et nos clients sont des ‘repeaters’ et on sait qu’ils ne vont pas rechigner de mettre la main à la poche pour payer nos produits Rs 2 plus chers bientôt ».
Pourquoi cette hausse, avec en filigrane les subsides sur la farine et le gaz ? Il sourit et répond ceci : « On subit des frais qui augmentent sans cesse sans que nous n’ayons majoré nos prix depuis longtemps. Alors que certains avaient déjà fait grimper leurs prix par Rs 2 l’unité, nous avions décidé de maintenir les nôtres à Rs 12, c’était un choix volontaire. Mais, aujourd’hui, nous sommes obligés de les augmenter, cela après des années de stabilisation », nous dit Dhiraj, servant en même temps ses clients dans une longue file d’attente.
Un autre ‘petit’ marchand, lui, estime qu’il en profitera pour garder le prix de Rs 12 la paire de dholl puri. « Moi, je ne vends pas beaucoup, donc je n’ai pas de grands frais. De plus, je voyage à moto qui n’est pas une grosse consommatrice d’essence. Je m’en tire honorablement chaque jour et je ne vois pas pourquoi je dois augmenter. Je profiterais, au contraire, de la hausse des autres pour tenter d’en vendre plus dorénavant », nous dit tout sourire Raj, un vieil homme tout fripé portant fièrement tablier, chapeau et gants dans une rue fréquentée de Rose-Hill.
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