
- Reza Uteem : « Je crains fortement une dégradation de la note souveraine de Maurice par Moody’s »
L’arrestation de Renganaden Padayachy et d’Harvesh Seegolam dans l’affaire MIC soulève de vives inquiétudes quant à l’avenir économique du pays. Experts et anciens responsables dénoncent une opacité préoccupante et redoutent de lourdes conséquences sur la stabilité financière de Maurice.
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L’arrestation de l’ex-ministre des Finances, Renganaden Padayachy, et de l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, dans le cadre de l’enquête sur la Mauritius Investment Corporation (MIC), a été le sujet de l’émission Au Cœur de l’Info, vendredi 11 avril, présentée par Ashna Nuckcheddy-Rabot.
Reza Uteem, ministre du Travail et avocat spécialisé en finance, rappelle que la MIC a été créée pendant la pandémie de Covid pour soutenir les grandes entreprises en difficulté. Il précise que le principe adopté était similaire à celui du « Helicopter Money » dans d’autres pays. « À Maurice, environ Rs 80 milliards ont été injectées pour sauver des entreprises menacées dans leur stabilité financière. L’objectif était de soutenir les grandes entreprises en leur accordant des prêts convertibles en actions », explique-t-il. Cependant, il soutient qu’il y a eu une opacité totale quant à l’utilisation de ces fonds. Selon lui, cet argent aurait dû servir à améliorer le bien-être du pays.
Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque centrale, partage cet avis. Il concède que les entreprises doivent être aidées en période de crise, mais pas de cette manière. « Il n’aurait même pas fallu créer la MIC. Ces fonds auraient dû transiter par les banques commerciales pour être redistribués sous forme de prêts aux entreprises », soutient-il. Il qualifie les malversations alléguées autour de la MIC de véritable honte nationale. « C’est une tache sombre sur l’image du pays, qu’il faudra des années pour effacer », déplore-t-il. Selon lui, le précédent gouvernement a agi dans une opacité totale.
« La transparence est l’ennemie de la corruption », affirme-t-il.
Des répercussions économiques à prévoir
Les intervenants de l’émission estiment que les arrestations de l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice et de l’ex-ministre des Finances auront de lourdes conséquences sur l’économie nationale. Reza Uteem souligne que l’arrestation de politiciens n’est pas inhabituelle à l’échelle mondiale, que ce soit à Singapour ou aux États-Unis.
« Mais ici, il s’agit du gouverneur de la Banque centrale, une institution clé pour la stabilité économique du pays. C’est le leader du secteur bancaire », indique-t-il.
Il ajoute que des institutions internationales telles que Moody’s ou le Fonds Monétaire International surveillent de près la situation. « Je crains fortement une dégradation de la note souveraine de Maurice par Moody’s, ce qui serait désastreux pour le pays », avertit-il. En conséquence, il anticipe une chute des investissements étrangers. Il estime qu’il est désormais impératif d’entreprendre un rebranding de l’économie mauricienne. Dan Maraye rejoint cet avis. « Les politiciens ont créé une culture de détournement et cela aura inévitablement des conséquences économiques importantes », conclut-il.
Le rôle du gouverneur de la Banque de Maurice remis en question
Le rôle de la BoM est-il d’investir dans des entreprises ou d’agir en tant que régulateur du secteur bancaire ? C’est la question soulevée par les intervenants. Selon Reza Uteem, contrairement aux banques commerciales, la BoM ne dispose pas de départements spécialisés pour évaluer correctement les risques avant d’investir ou de prêter de l’argent.
« Le rôle du gouverneur est d’assurer la stabilité financière dans une économie », soutient-il. Reza Uteem insiste sur le fait que le gouverneur doit être une personne intègre et indépendante. « Or, on apprend que l’ex-gouverneur allègue avoir subi des pressions de la part du ministre des Finances. Dans ce cas, la première personne à blâmer est l’ancien gouverneur lui-même ».
Il s’interroge également sur les circonstances dans lesquelles certaines banques ont obtenu leur licence d’opération. « Comment la Silver Bank et la Banyan Tree Bank ont-elles été autorisées à exercer ? L’ancien gouverneur doit s’exprimer non seulement sur l’affaire MIC, mais aussi sur ces autres dossiers », martèle-t-il.
De son côté, Dan Maraye rappelle que l’intégrité est la première qualité requise pour occuper une fonction de haute responsabilité. « L’exemplarité doit venir d’en haut. Si celui qui est au sommet est corrompu, toute la chaîne en sera affectée. Chacun cherchera à tirer profit de la situation », souligne-t-il. Il ajoute que durant son propre mandat de trois ans à la tête de la Banque centrale, il n’a jamais subi de pressions, ni du ministre des Finances ni du Premier ministre.
Harish Chundunsing, ancien journaliste : « Ce n’est pas le bout de l’iceberg »
« En tant que Mauricien, je ressens une profonde honte face à ce qui se passe dans mon pays », a déclaré Harish Chundunsing, ancien journaliste, qui est intervenu au cours de l’émission. Selon lui, les arrestations de figures majeures de l’État ternissent gravement l’image de Maurice à l’international. « Et ce qui est encore plus inquiétant, c’est que ce n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg. D’autres scandales risquent d’éclater dans un avenir proche », a-t-il affirmé.
Harish Chundunsing fait notamment référence à la Silver Bank et aux controverses entourant certaines personnalités proches de l’ancien régime, comme Avinash Gopee et Bassodeo Seetaram. Il estime également qu’il est légitime de s’interroger sur la responsabilité morale de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, dans cette affaire. « C’est lui qui a nommé Renganaden Padayachy ministre des Finances et Harvesh Seegolam Gouverneur de la Banque de Maurice. Ces deux personnalités ont agi avec la bénédiction de leur Premier ministre », a-t-il soutenu.
L’ancien journaliste a aussi exprimé des réserves quant à l’indépendance des enquêtes sur les crimes financiers. « Certains officiers de la FCC sont compétents. Mais il existe encore des fonctionnaires qui, par crainte de représailles, ne peuvent exercer leur travail en toute liberté ». Il appelle ainsi à créer un environnement où les fonctionnaires peuvent agir avec intégrité et sans pression politique. « Il est essentiel de garantir leur indépendance pour restaurer la confiance dans nos institutions », a-t-il ajouté.
L’argent de la MIC peut-il être récupéré ?
Reza Uteem estime que la Mauritius Investment Corporation (MIC) n’a plus de raison d’être, alors qu’un montant colossal de Rs 80 milliards y est engagé. « Si l’État envisage de racheter les actions de la MIC, il devra les acquitter auprès de la Banque de Maurice (BoM). Cependant, dans le contexte économique actuel, l’État ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour le faire », a-t-il déclaré.
De nombreuses entreprises ayant bénéficié des fonds de la MIC se retrouvent encore dans une situation financière précaire. « Ces entreprises, déjà en difficulté, seront dans l’incapacité de rembourser les sommes reçues », a affirmé le ministre du Travail et des Relations industrielles, soulignant ses préoccupations quant à la possibilité que ces fonds ne soient jamais récupérés.
Reza Uteem a également appelé à une enquête approfondie sur toutes les entreprises ayant bénéficié du soutien de la MIC, en particulier celles ayant des liens avec le pouvoir. « Certaines ont reçu jusqu’à Rs 1 milliard, et malgré cela, elles ont procédé à des licenciements », a-t-il déploré. Il a ainsi remis en question la protection des lanceurs d’alerte dans ce contexte.
Dan Maraye, pour sa part, partage cette inquiétude : « Je trouve également peu probable que les sommes prêtées aux entreprises soient remboursées », a-t-il ajouté.

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