Militante engagée en faveur du développement durable, Anusha Seechurn a récemment participé à la COP29, qui s’est tenue à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, en tant que membre du panel consultatif des jeunes du PDG du Global Center on Adaptation et Global Youth Climate Leader. Elle nous parle de son expérience.
Quelles sont les retombées principales de la COP29 ?
D’ici 2035, les nations développées s’engagent à fournir au moins 300 milliards de dollars par an, avec un objectif plus ambitieux de mobiliser 1,3 trillion de dollars par an à partir de sources publiques et privées. Cet objectif vise à renforcer considérablement la résilience climatique, à soutenir les efforts d’adaptation et à accélérer la transition vers des économies bas carbone dans les pays en développement.
Cependant, ce montant reste largement inférieur aux 1,3 trillion de dollars par an dont les pays en développement ont besoin pour faire face aux conséquences du changement climatique et poursuivre un développement durable.
Parallèlement, l’un des résultats les plus marquants de la COP29 a été la mise en place d’un marché mondial des émissions de carbone. Ce nouveau mécanisme, conçu pour respecter les principes de l’Accord de Paris, vise à réduire drastiquement les émissions de CO2, estimées à 50 milliards de tonnes par an, et à financer des projets verts à travers le monde.
La COP29 a également accordé une attention particulière à l’adaptation et à la résilience. Des initiatives spécifiques ont été lancées pour aider les pays les moins avancés à mettre en œuvre leurs plans d’adaptation nationaux, avec un financement de 10 milliards de dollars par an dédié à cet effet. De plus, un fonds supplémentaire de 5 milliards de dollars a été alloué à la conservation des écosystèmes vulnérables.
Enfin, le fonds pour les pertes et dommages, désormais entièrement opérationnel, fournira un soutien financier crucial aux pays les plus vulnérables, en particulier les petits États insulaires en développement (PEID), face aux impacts irréversibles du changement climatique. Ce fonds a déjà reçu des engagements financiers de plus de 730 millions de dollars, et les premiers projets devraient être financés dès 2025.
En tant que jeune Mauricienne, avez-vous trouvé difficile de faire entendre votre voix lors des différents événements auxquels vous avez participé ?
Pas du tout. Au contraire, en tant que jeune Mauricienne ayant accès à des organisations comme l’Alliance of Small Island States (AOSIS) et le Global Centre for Adaptation, je parviens aujourd’hui à faire retentir la voix des jeunes provenant des petits États insulaires de l’océan Indien. Je constate un intérêt croissant pour comprendre notre vulnérabilité et l’impact du changement climatique sur nos territoires.
J’ai eu l’opportunité d’aborder ce sujet lors des tables rondes du GCA Youth High-Level Dinner, et d’autres événements comme le Food Tank et Future Food Forum Dinner Series, ainsi que dans le cadre du Goal House pendant la COP29. J’ai pu mettre en lumière l’impact du changement climatique sur Maurice et la région : les inondations à Maurice, les sécheresses sévères à Rodrigues, l’élévation du niveau de la mer aux Seychelles, les dommages liés aux cyclones à Madagascar et à Maurice, l’augmentation des températures, l’érosion côtière commune aux îles, ainsi que les répercussions sur nos économies, la santé, la sécurité alimentaire, les ressources, le système éducatif et les moyens de subsistance.
J’ai relaté ma mésaventure lors du cyclone Belal, lorsque je me suis retrouvée coincée pendant cinq heures à Port-Louis pendant les inondations, pour mettre l’accent sur notre vulnérabilité et les pertes humaines, matérielles et économiques encourues. Le « personal storytelling » est très important, car les gens y sont sensibles. Cela a suscité un réel intérêt pour les îles de l’océan Indien parmi les personnalités participant à ces forums.
Parmi toutes les idées échangées, laquelle vous a particulièrement fait réfléchir sur de nouvelles façons d’agir pour Maurice ?
Parmi les nombreuses idées échangées, plusieurs ont particulièrement résonné avec les défis auxquels Maurice fait face. L’une des plus marquantes a été l’importance de construire un avenir durable en harmonie avec la nature.
Nous devons aller au-delà de la simple conservation et adopter des pratiques qui intègrent pleinement le développement durable et la nature dans tous les aspects de notre vie. Qu’il s’agisse de l’agriculture, de la gestion de l’eau et des terres, de l’urbanisme ou de nos modes de consommation, nous devons privilégier des solutions fondées sur la nature. Par exemple, en intégrant des forêts urbaines dans nos villes, en adoptant les principes de l’économie circulaire et en valorisant la protection de nos ressources naturelles.
La nature est à la fois un puissant allié dans la lutte contre le changement climatique et une source inépuisable de services écosystémiques. En investissant dans des solutions fondées sur la nature, nous pouvons non seulement atténuer les effets du changement climatique, mais aussi améliorer notre résilience face à ses impacts.
Vous avez parlé de « solutions collaboratives ». Parlez-nous d’une initiative qui vous a semblé concrète pour notre pays.
Une initiative collaborative particulièrement prometteuse pour notre pays serait d’adopter une approche fondée sur la nature pour s’adapter au changement climatique, notamment dans le secteur agricole. Cela consiste à tirer parti des écosystèmes naturels pour aider les communautés à faire face aux impacts du changement climatique, tout en améliorant leur qualité de vie.
En restaurant des écosystèmes clés comme les mangroves, les zones humides et les forêts, nous renforçons naturellement notre résilience face aux événements extrêmes tels que les inondations, les sécheresses et les cyclones. Ces écosystèmes agissent comme de véritables boucliers naturels, protégeant nos côtes et régulant le cycle de l’eau.
Dans le domaine agricole, l’adoption de pratiques agricoles intelligentes face au climat est essentielle. En cultivant des variétés résistantes à la sécheresse, en restaurant la fertilité des sols et en utilisant des méthodes d’irrigation économes en eau, nous pouvons accroître la productivité agricole, tout en réduisant notre vulnérabilité aux aléas climatiques.
Cette initiative nécessite une collaboration étroite entre tous les acteurs concernés : les communautés locales, les autorités gouvernementales, les chercheurs et les entreprises. En unissant nos forces, nous pouvons développer des solutions durables et adaptées à notre contexte local.
En échangeant avec des experts, avez-vous ressenti que les grandes institutions financières comprennent réellement les besoins des pays du Sud, comme Maurice ? Quels ajustements proposeriez-vous ?
À travers l’AOSIS, les PEID bénéficient d’une visibilité, et les grandes institutions financières mondiales montrent un réel intérêt pour ces initiatives. Cependant, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour Maurice. C’est pourquoi il est essentiel que nous continuions à faire entendre notre voix. Participer activement à la COP est crucial pour démontrer notre présence, notre engagement, et plaider pour des solutions adaptées à nos besoins spécifiques.
L’aide des grandes institutions financières est primordiale pour nous, car elle permettra de soutenir concrètement nos efforts d’adaptation. Toutefois, il est important que ces institutions prennent davantage en compte les spécificités des pays du Sud, comme Maurice, en ajustant les financements et les soutiens aux réalités locales, en offrant des solutions plus flexibles et adaptées à nos défis uniques.
Maurice a-t-il les atouts pour convaincre les grands acteurs mondiaux d’investir dans ses projets climatiques ?
Maurice présente de nombreux atouts pour attirer les investissements climatiques mondiaux. Sa position géographique stratégique en fait un centre régional idéal pour développer des projets écologiques. L’île possède une riche biodiversité et des ressources naturelles uniques, favorables aux initiatives de conservation. En outre, Maurice bénéficie d’une stabilité politique et économique, ainsi que d’un cadre juridique favorable aux investissements étrangers.
L’engagement du pays dans les énergies renouvelables et les infrastructures durables témoigne de sa volonté de mener la transition écologique. Enfin, Maurice offre un environnement propice à l’innovation et à la recherche, soutenu par des partenariats publics et privés solides.
Comment l’équité inter-générationnelle peut-elle contribuer à construire un avenir meilleur pour les Mauriciens, notamment à travers l’implication des jeunes ?
L’équité intergénérationnelle consiste à répondre aux besoins des générations présentes, sans compromettre ceux des générations futures. Elle repose sur une gestion responsable des ressources naturelles, économiques et sociales, tout en prenant en compte les droits des générations à venir. En investissant dans l’éducation, la formation et l’accès aux opportunités économiques, on renforce la résilience des Mauriciens face aux défis climatiques et sociaux.
Il est crucial d’impliquer les jeunes dans les décisions climatiques et le développement durable en leur offrant des espaces de participation, tels que des conseils consultatifs ou des forums sur le climat, et en les intégrant dans le processus de formulation des politiques et de prise de décision, afin que leur voix soit entendue et leurs idées prises en compte dans la planification stratégique.
En soutenant les initiatives des jeunes, nous renforcerons leur potentiel à devenir des leaders du changement, favorisant ainsi un développement durable et inclusif. Les jeunes doivent être valorisés comme des agents de transformation.
Les jeunes doivent être valorisés comme des agents de transformation"
Si vous pouviez lancer un projet concret à Maurice pour renforcer notre résilience climatique, que proposeriez-vous ?
Un projet innovant pour Maurice pourrait être la conception et la mise en œuvre d’un éco-village autonome basé sur les principes de la durabilité. Ce village inclurait des habitations construites avec des matériaux écologiques et locaux, intégrant des technologies passives pour la ventilation, l’isolation et l’éclairage naturel. Chaque bâtiment serait équipé de panneaux solaires, de systèmes de collecte d’eau de pluie et de recyclage des eaux usées pour minimiser la consommation de ressources.
Pour assurer l’autosuffisance alimentaire, le projet intégrerait des jardins communautaires basés sur l’agriculture urbaine et le compostage des déchets organiques. Des espaces partagés pour l’éducation, les activités sociales et les micro-entreprises de produits locaux seraient également prévus, afin de favoriser le lien communautaire et la résilience économique.
Le succès de ce projet serait grandement renforcé par des partenariats public-privé (PPP) solides et l’inclusion des organisations de la société civile. Ces collaborations assureraient un soutien financier, technique et logistique, tout en favorisant une approche participative qui prend en compte les besoins et les aspirations des communautés locales. Une telle synergie contribuerait à la durabilité et à la résilience à long terme du projet.
Ce projet pourrait servir de modèle pour des initiatives similaires, promouvant une approche globale de l’habitat durable et résilient face aux impacts du changement climatique.
Quels projets locaux pourraient bénéficier des 300 milliards promis pour le financement climatique ?
Une prise de décision éclairée est cruciale pour allouer efficacement les 300 milliards de dollars destinés au financement climatique des petits pays comme Maurice. Il est essentiel de mener des études approfondies. La recherche doit se concentrer sur l’identification des secteurs clés nécessitant une attention immédiate, tels que la protection côtière, la gestion des ressources en eau, l’agriculture et l’énergie, en mettant l’accent sur des projets d’adaptation au climat, accompagnés de mécanismes de suivi et d’évaluation.
L’engagement des com-munautés locales et des parties prenantes permet de garantir que les projets répondent aux besoins locaux, tandis que le renforcement des capacités institutionnelles est essentiel pour le succès à long terme des projets.
Maurice peut utiliser efficacement le financement climatique en se concentrant sur des projets d’adaptation essentiels et en assurant une prise de décision transparente, guidée par les données.
Le président de la COP29, Moukhtar Babaïev, a souligné le rôle encore limité du secteur privé. Comment Maurice pourrait-il attirer davantage d’investissements privés pour financer des projets écologiques ?
Plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Tout d’abord, Maurice pourrait mettre en place des incitations fiscales attractives pour les entreprises investissant dans des projets écologiques. Par exemple, des réductions d’impôts ou des crédits d’impôt pour les investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, ou la gestion durable des ressources naturelles encourageraient les entreprises à s’engager dans la transition verte. Le gouvernement pourrait également offrir des subventions pour les entreprises qui développent des technologies écologiques innovantes.
Les PPP jouent un rôle clé dans la mobilisation de capitaux privés. En garantissant des collaborations solides entre les secteurs public et privé, le gouvernement peut réduire les risques associés aux projets écologiques et stimuler les investissements. Une telle approche permet de créer un environnement propice à l’investissement privé, où les risques sont partagés et les rendements sont bien définis.
La transparence des politiques environnementales est également cruciale. Les investisseurs ont besoin de prévisibilité et de stabilité pour s’engager sur le long terme. Maurice pourrait instaurer des cadres réglementaires clairs et durables, tout en encourageant l’adoption de normes internationales telles que les critères ESG (environnement, social, gouvernance), qui sont de plus en plus prisés par les investisseurs privés.
Enfin, soutenir l’innovation verte, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables, de la gestion des déchets ou de l’agriculture durable, est essentiel pour attirer des capitaux privés. En créant des incitations pour les start-up écologiques, Maurice pourrait se positionner comme un hub régional pour les entreprises innovantes, attirant ainsi des investissements privés intéressés par un retour sur investissement durable et des projets à fort potentiel.
Avec un accord final jugé « imparfait », pensez-vous que Maurice et d’autres petites îles devraient changer de stratégie pour mieux se faire entendre lors de la COP30 ?
Maurice et d’autres PEID devraient s’appuyer sur une approche plus proactive et stratégique pour défendre leurs intérêts. Les PEID devraient former des coalitions plus solides et collaborer avec d’autres groupes vulnérables. Cette union amplifierait leur voix et leur poids dans les négociations internationales.
De plus, présenter un plaidoyer basé sur des données scientifiques fiables et actualisées des impacts climatiques spécifiques aux PEID, accompagnées de solutions concrètes pour renforcer leur résilience, renforcerait la légitimité de leurs demandes.
Une visibilité accrue des pertes et dommages subis par les PEID et leurs contributions à la durabilité (énergies renouvelables, solutions fondées sur la nature), ainsi qu’une stratégie de communication globale par le biais de médias internationaux et des réseaux sociaux pour sensibiliser le public mondial, permettraient également d’exercer une pression sur les grands émetteurs.
En combinant ces stratégies, Maurice et les PEID pourraient influencer davantage les discussions, garantir un financement climatique juste, et obtenir des engagements plus ambitieux lors de la COP30.
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