Les répercussions sociales, économiques et financières de la pandémie de Covid-19 se font ressentir dans le monde entier. Les compagnies aériennes sont particulièrement affectées et tout particulièrement Air Mauritius, actuellement sous administration volontaire. En attendant le « Watershed Meeting » prévu en juin, comment se déroule la vie du personnel navigant ? Ils confient à Le Dimanche/L’Hebdo se trouver dans une zone de « turbulences ».
La pandémie de Covid-19 a changé la planète. Presque tout le monde est affecté d’une manière ou d’une autre et plus encore le personnel navigant commercial d’Air Mauritius. Pilote ou encore hôtesse de l’air, ce métier de rêve qu’ont exercé plusieurs employés de la compagnie nationale d’aviation, vire désormais au cauchemar. Alors que le personnel affecté au sol fait de petits boulots pour s’en sortir, en revanche, la vie est plus difficile pour le personnel navigant. Soit ils travaillent à temps partiel, soit ils sont en congé sans solde en alternance ou en mode « stand-by ». Pour voler, ils dépendent entièrement d’un calendrier de travail établi par Air Mauritius.
Fini les voyages, les uniformes chics, place désormais à l’incertitude, la crainte et les difficultés financières. « Nous ne savons pas ce qui nous attend en juin prochain. Entre-temps, le stress s’amplifie, car en tant que membre d’équipage, nos revenus dépendaient en grande partie sur le nombre d’heures de vol effectuées », disent les employés d’emblée. Certains d’entre eux ont signé les contrats qui leur ont été proposés afin de préserver leur emploi, mais ils n’ont pas le droit de travailler ailleurs. Quant à ceux qui sont en congé sans solde imposé, ils ont quasiment épuisé leurs économies. Ainsi, pour sortir la tête de l’eau, ils tentent de se reconvertir dans la pâtisserie, la maçonnerie, la peinture, l’accompagnement des personnes malades ou encore dans la fabrication d’objets créatifs. Certains sont plus chanceux, car ils travaillent dans l’entreprise familiale. Cependant, tous ces employés ont un point commun : ils conservent l’espoir de sortir de cette zone de turbulences causée par des circonstances hors de leur contrôle.
Yogida Babboo-Rama : «Nous sommes en mode stand-by»
Yogita Babboo-Rama est la présidente de l’Association Cabin Crew d’Air Mauritius. Selon elle, « le peu d’heures de vol a impacté considérablement le salaire du personnel navigant, sans oublier les allocations qui sont quasi inexistantes vu la restriction des vols à l’étranger ». La syndicaliste ajoute : « Le public nous voit comme des personnes qui ont une vie glamour et qui passent leur temps à faire du shopping. Cependant, je tiens à faire ressortir que nous cumulons de longues heures de travail pour progresser dans la vie et offrir une belle vie à notre famille ».
Inquiète, elle se demande : « Combien de temps il nous faudra encore compter sur nos économies si on est en mode stand-by ou en congés sans solde imposés ? ». Avec la mise sous administration volontaire d’Air Mauritius, leurs contrats ont été modifiés et comportent un an de congé sans solde. « Ces congés sont alloués en alternance chaque mois ou deux et c’est une manière de réduire la facture salariale de la compagnie. Actuellement, les emplois à temps partiel semblent être la solution pour éviter les licenciements. Si on nous impose de longues vacances, ce sera difficile. Imaginez-vous, 12 mois sans salaire », souligne-t-elle.
Quant à ceux qui travaillent à temps partiel, il y a une cinquantaine d’employés qui ne peuvent pas faire d’auto-isolement pour plusieurs raisons. Certains ont des enfants en bas âge, des parents âgés ou malades, alors que pour d’autres, leur maison n’est pas adaptée aux protocoles sanitaires. « D’ailleurs, si nous ne faisons pas de l’auto-isolement dans les conditions sanitaires requises, l’État peut nous poursuivre sous la Quarantine Act. C’est une grande responsabilité », fait remarquer la syndicaliste. Parmi les 50 employés qui travaillent, 30 assurent les vols qui ne nécessitent pas d’auto-isolement, tandis que les 20 autres sont en leave without pay.
« Il est donc difficile de trouver un autre emploi pour boucler les fins de mois. Non seulement le personnel navigant est en mode stand-by et peut être appelé à faire des vols à la demande de MK à tout moment, mais encore il faut s’auto-isoler durant sept jours au retour, plus un jour supplémentaire pour le test PCR. Le grand souci, c’est que notre emploi du temps n’est pas fixe. Dans ce cas, comment savoir quand on est libre pour travailler ailleurs. Quelle compagnie acceptera de nous employer ? », se demande-t-elle. « Changer de métier oui, mais dans quel secteur ? Celui qui semble le plus adapté à nos aptitudes est le tourisme, mais ce secteur est également frappé de plein fouet par la pandémie ». Bref, l’avenir s’annonce problématique. D’ailleurs, « durant les fêtes de fin d’année, de nombreux employés d’Air Mauritius se sont serré la ceinture », explique Yogita Babboo-Rama. Elle ajoute : « Certes, les parents aident, mais il ne faut pas abuser. Ce qui reste positif, c’est la solidarité dont font preuve mes collègues. Malgré le fait qu’ils font face à des difficultés, ils viennent en aide à ceux qui ne reçoivent pas de salaire durant trois mois. Jadis, financièrement indépendants, nous voilà tout à coup incapables de joindre les deux bouts à chaque fin de mois... », ajoute la syndicaliste qui avoue faire dorénavant très attention à ses dépenses.
Quid de la solution ?
Comme pour bon nombre de compagnies aériennes impacté par la pandémie, Air Mauritius doit aussi recevoir un soutien financier par le gouvernement. « L’aviation est une industrie qui est Human Ressource Intensive. D’ailleurs, le rapport annuel de MK indique que 18 % des dépenses sont dédiés aux employés et ce chiffre respecte les normes du secteur d’aviation. À savoir que ce sont surtout les montants mensuels astronomiques de leasing des avions qui tire la compagnie vers le fond. Pourtant, aujourd’hui, ce sont uniquement les employés qui sont en train de payer les pots cassés et faire d’énormes sacrifices. De plus, leurs familles sont aussi impactées », fait remarquer la syndicaliste. Selon elle, les employés de MK en difficulté méritent une assistance sociale. « C’est le devoir du gouvernement de nous venir en aide à travers un plan comme le Workfare Programme qui, pour l’instant, ne s’applique pas à nous. Un gouvernement socialiste doit venir en aide aux gens en détresse avant que la situation dégénère », conclut-elle.
Jane Ragoo, syndicaliste : «Sans la Workers’ Rights Act, il y aurait eu des milliers de pertes d’emploi»
La secrétaire de la Confédération des travailleurs du secteur privé et public (CTSP), Jane Ragoo, estime que sans la Workers’ Rights Act et les actions prises par le gouvernement pour protéger les emplois, le niveau du chômage aurait été catastrophique à Maurice. Elle est, toutefois, d’avis que les licenciements sont inévitables en temps de crise et souhaite que le gouvernement prenne des mesures pour créer des emplois.
La syndicaliste condamne des manœuvres patronales pour que des clauses de la législation du travail soient revues. « Nous serons en Cour suprême le 19 février prochain à une audience où Business Mauritius réclame la permission de contester le Redundancy Board et le Portable Retirement Gratuity Fund », dit-elle.
« Je ne dis pas que cette loi est parfaite, mais j’estime qu’elle est à plus de 80 % meilleure que les anciennes législations qui ont miné la vie des travailleurs pendant des années. Sans la Workers’ Rights Act, il y aurait eu des milliers de pertes d’emploi », poursuit-elle.
La secrétaire de la CTSP se réjouit que le gouvernement ait rétabli le Redundancy Board dans la nouvelle loi du travail. Jane Ragoo ne mâche pas ses mots envers ceux qui sont contre l’institution de cet organisme. « Je souhaite que le gouvernement ne cède pas aux caprices du patronat », dit-elle.
Avec l’introduction du Redundancy Board, toute entreprise employant au minimum une quinzaine de personnes et avec un chiffre d’affaires de Rs 25 millions, doit impérativement passer par cet organisme avant de procéder à un dégraissage du personnel ou de cesser ses opérations pour des raisons économiques.
Jane Ragoo est aussi satisfaite que sous la nouvelle législation, les entreprises qui se placent sous administration volontaire sont également sujettes à la Workers’ Rights Act. « Nous n’aurons de cesse de dénoncer les employeurs qui contournent les clauses de la loi pour licencier les travailleurs », affirme-t-elle.
Toutefois, la syndicaliste reconnaît que certaines fermetures d’entreprises sont inévitables dans une période de grave crise économique. « Heureusement que le gouvernement a étendu le Wage Assistance Scheme jusqu’en juin 2021 », ajoute-t-elle. Jane Ragoo lance un appel pour que le gouvernement exerce un contrôle sévère sur les compagnies qui profitent de ce soutien de l’État.
Par ailleurs, elle souhaite que les autorités prennent les mesures nécessaires pour assurer la création d’emplois. Elle estime qu’on gagnerait à développer d’autres créneaux, notamment dans le domaine de l’agro-industrie, de la pêche et de la construction. La syndicaliste prône un soutien aussi pour les petites et moyennes entreprises. Cela dit, elle avance que le gouvernement devra se lancer dans une vaste campagne de formation professionnelle afin que les Mauriciens puissent intégrer ces secteurs. Elle estime aussi qu’il faudrait aussi encourager l’industrie de l’alimentation et encourager davantage les Mauriciens à consommer mauricien.
Les démarches entreprises
« Nous avons fait des demandes auprès de plusieurs ministères, du PMO, du bureau de l’Attorney General pour leur demander un soutien financier à travers des plans. Nous pensons notamment à ceux proposés aux planteurs et pêcheurs, entre autres », indique Yogita Babboo-Rama. Selon elle, il serait peut-être judicieux de puiser de l’argent dans le Tourism Employees Welfare Fund, car le personnel navigant en fait partie des employés du tourisme ou encore que qu’ils intègrent le Workfare Programme. Par ailleurs, elle fait remarquer qu’au Parlement, le ministre de la Santé a indiqué que le personnel navigant de MK a fait partie des frontliners, mais nous ne sommes pas éligibles à l’allocation de Rs 15 000 qui a été allouée par le ministère des Finances. « À l’heure actuelle, pour nous, toute rentrée d’argent est la bienvenue », ajoute la syndicaliste.
Ryan (40 ans) : «Je gagne un peu d’argent en peignant les bâtiments»
Souhaitant garder l’anonymat, Ryan (prénom modifié) travaille pour la compagnie d’Air Mauritius depuis une vingtaine d’années. Père de deux enfants, il est actuellement en congé sans solde, imposé par la compagnie pour une période de trois mois. Il meuble son temps en faisant de la cuisine, de la lecture, du ménage, du bricolage, et du jardinage, entre autres. Pour faire vivre sa famille, il a été contraint de puiser dans ses économies. Certes, sa femme travaille, néanmoins sa situation financière est inquiétante. C’est pourquoi Ryan s’est reconverti en peintre en bâtiment. Il décroche du travail grâce à un ami. Il a troqué son uniforme de personnel navigant pour des shorts, un t-shirt et des savates. « En attendant le Watershed Meeting et la fin de mes congés sans solde, je gagne un peu d’argent en peignant les bâtiments, ce qui me permet de mettre du beurre dans les épinards. C’est stressant », confie Ryan.
Ce dernier est sidéré par la situation, surtout qu’il a toujours donné le meilleur de lui-même. Au sujet de l’auto-isolement, il explique qu’il avait indiqué sur un formulaire qu’il ne pourrait pas le faire. Mais il a dû revenir sur sa décision à cause de la pression financière. « Du coup, ma famille est partie vivre chez mon beau-père. Quand mon congé sans solde sera terminé, je vais voler à nouveau et durant mon auto-isolement, je serai loin de mes enfants et de ma femme encore une fois. Ce n’est pas simple », avoue-t-il. Dans le pire des cas, il pense à se lancer dans la préparation de repas à domicile, car il aime cuisiner, mais ce sera vraiment à contrecœur.
Entre-temps, il se plie aux exigences de son nouveau contrat, tout en gardant espoir de reprendre à nouveau son envol avec son métier de rêve qu’il fait depuis l’âge de 22 ans.
Nathalie se verra dans l’obligation d’acquérir de nouvelles compétences
Après ses études secondaires, Nathalie a commencé à travailler pour Air Mauritius. À bord des avions, elle accueillait, assistait et servait les passagers. Aujourd’hui, dans le pire des scénarios, elle se verra dans l’obligation d’acquérir de nouvelles compétences. En attendant d’être fixée sur son sort, elle travaille à temps partiel, selon les nouvelles conditions imposées par Air Mauritius. Mais ses économies fondent comme neige au soleil et cette mère de famille, qui élève seule ses enfants, ne sait plus à quel saint se vouer.
« Je me suis dévouée corps et âme pour la compagnie aérienne nationale et quand la pandémie a frappé de plein fouet Maurice, mes collègues et moi, nous n’avons pas hésité un instant à assurer des vols humanitaires. Aujourd’hui, ce qui nous arrive et les conditions qui nous sont imposées sont presque inhumains. Mais je n’ai pas d’autre choix que de rester positive », déclare-t-elle. Avec des dettes à honorer, la scolarité des enfants et les provisions, sa situation financière, tout comme celle de ses collègues, n’est pas au beau fixe. Nathalie, qui avait pensé acquérir un terrain, n’est pas allée au bout de son projet. Elle ajoute qu’elle serait attristée de voir Air Mauritius partir en vrille.
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