Live News

12 mars 1968 : ils y étaient

Le moment fatidique du lever du drapeau mauricien tandis que le drapeau britannique était abaissé.
Publicité

Revivez l’émotion de l’indépendance de Maurice à travers les témoignages vibrants de ceux qui ont vécu ce moment historique. Découvrez leurs souvenirs, entre fierté et espoir, dans cette page de mémoire.

ally
Ally Lazer faisait partie 
de la foule vibrante au Champ-de-Mars.

Les gardiens de notre mémoire nationale se tiennent devant nous. Octogénaires aujourd’hui, leurs yeux brillent encore quand ils évoquent ce moment historique : le premier lever du drapeau mauricien au Champ-de-Mars marquant l’indépendance de l’île Maurice. Sous un soleil qui martelait impitoyablement la foule rassemblée, ils ont été témoins de la naissance d’une nation. Leurs souvenirs, intacts malgré les décennies écoulées, nous replongent dans cette journée gravée à jamais dans l’histoire mauricienne.

L’atmosphère était électrique, chargée d’espoir mais aussi d’appréhension. Comment ne l’aurait-il pas été ? Le pays sortait à peine des blessures béantes d’un violent conflit racial survenu en janvier de la même année. La peur, telle une ombre persistante, planait encore sur l’île alors que ce 
12 mars avait été désigné comme le jour crucial où les pouvoirs passeraient officiellement des mains britanniques aux mains mauriciennes.

Dans les ruelles animées du vieux quartier chinois de la capitale, Louise Tai Kie, 75 ans, se déplace avec une énergie qui défie son âge. Chaque pierre, chaque recoin de ce labyrinthe urbain lui est familier – c’est ici qu’elle a poussé son premier cri, ici qu’elle a grandi, ici qu’elle dirige maintenant une entreprise familiale de station-service rue Desforges. Son regard s’illumine lorsqu’elle remonte le fil du temps.

louise
Louise Tai Kie avait 17 ans en mai 1968.

« Ces années-là, j’étais encore plongée dans mes études et j’avais la chance de vivre à un jet de pierre du Champ-de-Mars », raconte-t-elle avec enthousiasme. « Ce lieu était mon terrain de jeu favori – football, parties de billes endiablées, jogging matinal. Mo ti enn garson manke mwa », confesse-t-elle avec un sourire espiègle. 

« Depuis la rue La Paix où se trouvait notre maison, nous avions notre passage secret : grimper vivement La Citadelle pour déboucher directement sur le Champ-de-Mars. Un raccourci parfaitement sûr que nous empruntions sans crainte. Et c’est ainsi que ce 12 mars 1968, malgré mes modestes 17 printemps, j’ai eu l’immense privilège d’assister au lever de notre drapeau, le cœur gonflé d’une fierté indescriptible », se remémore-t-elle.

Cette fierté résonne également dans la voix de Vivian Gungaram, 79 ans, dont le nom est inscrit dans les annales du sport mauricien comme le premier athlète à avoir brisé la barrière mythique des 4 minutes sur 1 500 mètres. Pourtant, ce jour-là, ce n’est pas en tant que champion qu’il foulait le sol du Champ-de-Mars, mais comme soldat participant à la parade officielle. « L’uniforme de la SMF que je portais représentait déjà une source immense de fierté », confie-t-il avec émotion, « mais défiler ainsi vêtu sous les regards admiratifs d’une foule vibrante d’enthousiasme... c’était tout simplement transcendant ! »

Les yeux dans le vague, comme s’il revivait la scène, cet ancien athlète d’élite, qui n’avait alors que 23 ans, se rappelle chaque détail. Marié à Monique et père de deux fillettes – Aurélie et Valérie –, ce spécialiste des 800 et 1500 mètres voit encore défiler les images de ce moment fondateur : « Une vague de fierté m’a submergé, ce sentiment puissant d’appartenir enfin à une nation souveraine, à un peuple qui respirait son premier souffle de liberté. Lorsque Roger Palmyre, secondé par Archimède de Lecker, a commencé à hisser notre drapeau mauricien vers le ciel, quelque chose s’est brisé en moi pour laisser place à une joie profonde, viscérale. Un frisson électrique m’a parcouru de la tête aux pieds tandis que des larmes incontrôlables roulaient sur mes joues. C’était nos larmes de joie collective. »

rama
C’est en direct à la télévision que Rama Poonoosamy a regardé la cérémonie du 12 mars 1968.

Mais cette euphorie n’effaçait pas complètement les cicatrices récentes. Vivian Gungaram l’admet sans détour : « Nous ne pouvions ignorer cette crainte sourde qui persistait, conséquence directe des événements raciaux traumatisants que nous venions de traverser. Heureusement, la présence rassurante des soldats britanniques nous offrait un sentiment de sécurité. Nous étions prêts à affronter n’importe quelle situation qui aurait pu surgir. »

Cette ambivalence entre joie et appréhension, Anil Laloo de Bon-Accueil l’a également ressentie au plus profond de son être. Cet homme qui se définit avant tout comme « Mauricien dans l’âme » avant toute autre appartenance, porte ses 81 ans avec dignité. Artiste-sculpteur de talent et conseiller technique à la Smido, il était aux premières loges pour assister à la naissance officielle de sa patrie. « Ma vocation a toujours été d’aider mon prochain, de tendre la main à ceux qui chancellent », affirme celui qui dirige aujourd’hui le centre Harry Krishna de Bon-Accueil. 

« Le souvenir de notre indépendance reste intact dans ma mémoire : malgré cette inquiétude latente qui nous habitait tous après les violences raciales, une ferveur extraordinaire électrisait la foule massée sous ce soleil impitoyable. Fondu dans cette marée humaine, j’ai retenu mon souffle en voyant Sir John Rennie remettre solennellement notre drapeau à SSR, les yeux embués de larmes. Puis est venu ce moment symbolique intense où le drapeau britannique s’est lentement abaissé tandis que le nôtre s’élevait majestueusement. Une émotion indescriptible m’a alors envahi – cette fierté intense d’être enfin Mauricien à part entière, libre de tracer notre propre destinée », confie-t-il.

vivian
Vivian Gungaram était présent au Champ-de-Mars en tant que soldat de la SMF.

À quelques pas de là ce même jour se tenait Hurrydeo Hurdoyal, aujourd’hui âgé de 78 ans. Père attentionné de trois enfants – Sharma, Kailash et Anusha –, il savoure désormais les joies d’être quatre fois grand-père. Cet ancien agent de transit habitait lui aussi dans le cœur battant de la capitale : « J’avais la chance inestimable de résider aux Salines », raconte-t-il avec un sourire nostalgique. « Pas besoin de prévoir un transport pour participer à l’événement ! À 22 ans, j’ai parcouru cette distance à pied, porté par l’excitation de ce qui allait se produire. Cette journée représentait bien plus qu’une simple cérémonie – c’était l’expression d’une joie collective immense, une célébration nationale qui marquait un formidable bond en avant pour notre peuple. »

Son visage s’assombrit légèrement lorsqu’il évoque sa situation présente de veuf, ayant perdu sa compagne Rajeshwaree l’année précédente. Mais la gratitude illumine rapidement ses traits : « La vie m’a béni en m’offrant une belle-fille exceptionnelle, Leela, qui veille sur moi avec une attention constante, préparant avec amour les repas tant pour moi que pour ses jumeaux qui viennent de fêter leurs 18 ans. »

Le nom d’Ally Lazer résonne comme un symbole de résistance dans la société mauricienne. Cet infatigable combattant contre les barons de la drogue incarne l’engagement sans faille. Étonnamment, cette fibre militante s’était déjà manifestée dès son plus jeune âge. À seulement 12 ans, il portait en lui cette conscience « mauricianiste », participant activement à un club de jeunes dans son quartier natal de St-François Xavier, au cœur de la capitale.

anil
Anil Laloo confie que ce 12 mars 1968 reste intact dans sa mémoire.

Lui aussi faisait partie de cette foule vibrante au Champ-de-Mars et chaque détail de cette journée reste gravé dans sa mémoire avec une précision photographique. « Je venais tout juste de franchir l’étape importante du Primary School Leaving Certificate », se souvient-il, les yeux brillants d’émotion. « Malgré mon jeune âge, j’avais déjà l’honneur de présider un club littéraire rassemblant des jeunes de mon quartier, tous passionnés par l’action sociale. Bien sûr, nous n’avions pas l’âge légal pour voter, mais nous percevions intuitivement l’importance capitale de cette indépendance pour notre avenir, même si nous étions davantage observateurs qu’acteurs de cette transformation historique. Nous avons formé spontanément un petit groupe pour nous rendre ensemble au Champ-de-Mars, qui n’était qu’à quelques encablures de notre quartier », explique celui qui, plusieurs décennies plus tard, poursuit toujours son engagement social avec la même ferveur.

Aujourd’hui installé à La Tour Koenig à Pointe-aux-Sables, il se remémore avec une émotion palpable, malgré le poids des années, comment les premières notes de l’hymne national retentissant ce 12 mars 1968 ont fait naître en lui un sentiment patriotique d’une intensité rare : « Cette flamme patriotique continue de brûler en moi avec la même ardeur aujourd’hui. Je ressens toujours cette fierté viscérale d’être Mauricien jusqu’au tréfonds de mon âme, car Maurice n’est pas simplement mon pays – c’est ma patrie, mon identité profonde. »

Rama Poonoosamy avait à peine l’âge de comprendre les enjeux historiques lorsque survint ce 12 mars 1968. Pourtant, alors qu’il observait les événements sur l’écran familial, une promesse solennelle s’est formée dans son esprit d’enfant : « Assis aux côtés de mon frère aîné, j’ai retenu mon souffle en voyant notre magnifique drapeau quadricolore s’élever lentement vers le ciel. À cet instant précis, j’ai formulé intérieurement un serment – que plus jamais notre terre ne connaîtrait l’horreur des conflits raciaux. C’était mon vœu le plus ardent, car le tribut avait été trop lourd : des dizaines de vies fauchées au nom du ‘communalisme’. Il nous fallait absolument éradiquer ce fléau à sa racine, concevoir un antidote puissant pour l’anéantir dès ses premiers balbutiements et l’expulser définitivement de notre tissu social. Ce n’était qu’à ce prix que nous pourrions véritablement bâtir une nation unie et forte », confie avec gravité celui qui deviendra, par un étonnant retour de l’histoire, le premier ministre des Arts et de la Culture issu du Mouvement militant mauricien (MMM) en 1982.

Avec le recul et l’érudition qui le caractérisent, il éclaire le choix hautement symbolique de cette date du 12 mars par SSR, en référence directe à la légendaire Marche du Sel initiée par le Mahatma Gandhi : « Peu de gens le savent, mais selon le plan initial, le drapeau devait être hissé à minuit précis le 11 mars. Cependant, les impératifs sécuritaires, malgré la présence rassurante des forces britanniques, ont imposé ce report stratégique au 12 mars à midi. »

Rama Poonoosamy se dit fier qu’il ait pu faire célébrer un 12 mars à minuit, dix ans après. Il raconte : « J’étais conseiller municipal de la capitale et responsable du comité bien-être, sports, social et culturel. J’avais organisé un show où l’on a vu défiler des esclaves, des coolies, des travaiilleurs, une soirée de folie et de joie avec des dragons chinois, des jeux d’eau aux couleurs de notre drapeau à la Place du Quai et le lever du drapeau à minuit. C’était populaire, il n’y avait plus rien ni à boire ni à manger dans les snacks du coin, tellement il y avait de monde. Ces moments-là sont inoubliables. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !