L’ancien diplomate ne cache pas son optimisme suite à l’avis consultatif émis par la Cour Internationale de Justice. Vijay Makhan soutient que Maurice a des chances de récupérer les Chagos, mais à condition d’avoir une bonne stratégie.
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Quelle est la portée de cet avis consultatif de la Cour Internationale de Justice ?
Cet avis consultatif a une portée qui dépasse le cadre bilatéral. Il y a eu 94 pays qui ont soutenu Maurice qui a été sponsorisé par l’Union Africaine. Il y a certains pays qui se sont abstenus, la Chine par exemple. Mais maintenant que la Cour Internationale de Justice a fait comprendre pourquoi elle a la juridiction de se prononcer sur un tel cas, cela vient ainsi déterminer que le Royaume Uni a agi contre la résolution 15 (14) de 1960. C’est donc une victoire extraordinaire pour le peuple mauricien et tous les gouvernements qui ont travaillé sur ce dossier. Je profite aussi de cette occasion pour rendre hommage aux fonctionnaires et aux membres du Parquet qui ont abattu un gros travail dans l’ombre.
Pour revenir à la portée de cet avis consultatif, cela dépasse le cadre bilatéral car c’est l’organisation des Nations Unies qui a porté cette affaire devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) ce qui fait qu’elle a une portée internationale. Tout cela m’emmène à penser que cet avis a dans un sens une portée légale car il fera jurisprudence dans le droit international. Il nous faut également tenir en ligne de compte le langage qui a été utilisé par les juges de la CIJ. C’est loin d’être un langage léger. C’est en revanche un ton ferme. Dorénavant, tous les États membres des Nations Unies sont plus ou moins liés par cet avis consultatif, car si l’on observe l’article 94 de la Charte des Nations Unies, tous les États membres doivent tout mettre en œuvre pour appliquer cet avis consultatif.
L’avis consultatif est donc loin d’être symbolique à votre sens ?
C’est bien plus que symbolique. Il est vrai que cet avis n’est pas contraignant pour l’Angleterre mais sa force morale ainsi que son envergure internationale vont obliger les Anglais à réfléchir sur la manière dont ils vont devoir mener les négociations. La pression internationale sur l’Angleterre est inévitable. De son côté, Maurice devra se servir de toutes les ressources qui sont à sa disposition pour accentuer la pression. C’est maintenant que commence le travail.
Quelle observation faites-vous de la réaction des Anglais sur cet avis consultatif ?
Ils ont déjà commencé à se démener. Si on refait la genèse de cette lutte territoriale sur les Chagos, on se rend compte que cette démarche de solliciter la CIJ remonte à 2004, sous le Primeministership de Paul Bérenger et les Anglais avaient alors fait opposition. Cette démarche avait alors été critiquée par le Secrétaire général d’alors du Commonwealth. Les Anglais ont depuis toujours résisté à cette volonté de Maurice de porter cette affaire devant la CIJ car ils savent pertinemment bien qu’ils sont fautifs. Mais plus ils se démèneront et plus ils vont s’enfoncer. Il y a, d’autre part, le fait que l’Angleterre, a, à plusieurs occasions, signifié son intention de trouver sa place en Afrique. Cela ne peut se faire si on est en opposition avec l’Union africaine. La meilleure option donc pour les Anglais, c’est d’ouvrir les négociations. Mais de son côté, Maurice doit savoir quels sont ses objectifs et doit se résoudre à tenir ferme.
Lorsqu’il s’agit de notre souveraineté et notre intégrité territoriale, cela dépasse le cadre de la politique partisane
Maintenant qu’il a été statué que la CIJ a la juridiction pour se prononcer sur une telle affaire, y a-t-il un travail de lobbying à faire auprès des pays qui avaient voté contre la résolution ou qui s’étaient abstenus en septembre 2018 ?
C’est en effet possible. Mais tout dépendra de la stratégie que compte adopter Maurice. Certains pays se sont abstenus pour plusieurs raisons parmi les pressions qui ont été exercées par le Royaume Uni et par les Américains. Le travail à faire, selon moi, est d’approcher ceux qui s’étaient abstenus et ceux qui avaient voté contre, et leur faire comprendre que cette affaire dépasse le cadre bilatéral. Il faut leur faire comprendre que si on est un État-membre des Nations Unies, c’est que cela implique que nous sommes d’accord avec sa Charte et ses règlements et que tous les membres ont intérêt à s’y adhérer. J’ai également pris note de la réaction de la Chine sur cet avis consultatif. Cette même Chine, qui s’était abstenue l’année dernière, pour des raisons géopolitiques selon moi, s’est dit contente de l’avis exprimé. La Chine est donc revenue à de meilleurs sentiments. Saisissons-nous de cette occasion. Il y a aussi d’autres pays, par exemple, l’Afghanistan, qui avaient voté contre à l’époque en raison de la présence des Américains sur leur sol, mais maintenant que les troupes militaires ont été retirées, il y a aussi un coup à jouer.
Quelle stratégie aurez-vous suggeré au gouvernement ?
Les négociations ne se font pas en public. Mais il faut, à mon sens, continuer à obtenir le soutien des alliés. Il nous faut avancer comme une armée avec le concours de l’Union africaine. Et il nous faut aussi être réaliste. C’est-à-dire savoir ce qu’on peut obtenir sur les court, moyen et long termes. Je tiens aussi à lancer un appel au gouvernement, pour qu’il s’engage davantage dans la cause africaine. On ne peut se contenter d’être là pour l’Afrique, uniquement lorsque nous avons besoin de son aide. Vous vous rendez compte que Maurice joue régulièrement aux abonnés absents lors des sommets de l’Union africaine. Je ne vous dis pas que le Premier ministre doit être présent à tous les sommets, mais qu’on délègue au moins le vice-Premier ministre, ou le ministre des Affaires étrangères. On ne peut se rendre à des sommets uniquement lorsqu’il est question de sucre mais lorsqu’on parle de coton, on se désintéresse.
Que peut-on justement espérer sur le court terme ?
Inciter le Royaume-Uni à montrer sa bonne foi en ouvrant les négociations. De toutes les manières, s’il refuse de le faire, il va certainement s’attirer les foudres de la communauté internationale, surtout en prenant en compte le Brexit, qui a fortement antagonisé l’Angleterre.
Et par court terme, pensez-vous que cela puisse se faire cette année-ci ?
J’espère qu’on pourra de mon vivant, récupérer les Chagos. Si je suis en train de dire cela, c’est que je pense que nous pouvons récupérer les Chagos dans quelques années. Je ne suis pas en train de dire que nous allons très bientôt être en mesure de développer les Chagos, mais nous pouvons en tout cas récupérer notre intégrité territoriale. Mais cela sera possible uniquement si on commence les négociations le plus vite possible.
Nous sommes à la veille des élections générales. Ce qui fait, qu’on pourrait dans pas longtemps, avoir un autre gouvernement. Un changement ne risque-t-il pas de perturber ce combat ?
Lorsqu’il s’agit de notre souveraineté et notre intégrité territoriale, cela dépasse le cadre de la politique partisane. Donc s’il y a un changement de gouvernement, il faut continuer cette lutte. Nous avons déjà franchi une étape importante et il nous faut construire dessus. Il peut évidemment avoir des divergences de vue concernant certaines nuances dans l’approche mais cela c’est autre chose. Il faut également, je pense, remettre sur pied le comité parlementaire sur les Chagos, et ouvrir les auditions aux membres du public car ce combat, ne concerne pas que le gouvernement mauricien et les élus.
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