Où se situe la ligne de démarcation entre le droit de commenter une affaire de police et le délit d’entrave à la justice ? Deux légistes abordent la question.
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Cette semaine, trois personnes ont été arrêtées pour des déclarations dans la presse et des publications sur les réseaux sociaux concernant des enquêtes menées par la Special Striking Team. Parmi elles se trouvent Ramen Sabapati, le frère de Vimen Sabapati, arrêté pour possession de 10 kg de drogue, l’ancien journaliste Harish Chundunsing et Me Rama Valayden. Tous trois sont accusés provisoirement d’« entrave à l’action de la justice ». La question se pose dès lors : où se situe la limite entre la liberté d’expression et le droit de commenter une affaire de police ?
Cette ligne de démarcation est fine, soutient Me Ravi Rutnah. « Si la police détient suffisamment de preuves qu’une déclaration a été faite de mauvaise foi et visait à fausser le cours de la justice, la personne s’expose alors au délit de ‘perverting the course of justice’ ». Un délit « sérieux », passible d’une amende ne dépassant pas Rs 100 000 et une peine de prison maximale de 10 ans, en vertu de l’article 298 A du code pénal mauricien.
Et si la personne qui a tenu ces propos détient une preuve vidéo ? Il incombe à la police de vérifier sa validité en ouvrant une enquête, répond Me Ravi Rutnah. Une fois que la police est en possession de la vidéo et que son origine est établie, celle-ci devient une pièce à conviction connue dans le jargon juridique comme étant une real evidence.
Il souligne, dans la foulée, qu’il serait souhaitable que lorsqu’une unité de police est visée par une allégation de drug planting par exemple, une autre unité indépendante mène l’enquête, pour une question de « transparence et de perception ». Reste que, selon l’avocat, il est difficile pour un citoyen de venir prouver une allégation de drug planting. Seule une cour de justice peut statuer, avance-t-il.
De son côté, l’avocat Dev Ramano explique que l’article 12 de notre Constitution garantit la liberté d’expression, incluant le droit à la liberté d’opinion. Cependant, les autorités peuvent interpeller un citoyen dans l’éventualité notamment que cela mette en péril l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Les autorités doivent agir avec précaution dans le cadre d’interpellations sous une accusation de pervertir l’action de la justice ou encore lorsqu’il s’agit de délits relevant de déclarations publiques, ajoute Me Dev Ramano : « Notre Constitution est la loi suprême et tout ce qui y est contraire sera déclaré nul et non avenu. »
L’avocat constate une « dérive vers une autocratie » ces jours-ci. Qu’advient-il de la personne arrêtée et inculpée sous une accusation provisoire, lorsque celle-ci est abandonnée et l’affaire classée sans suite, fait-il remarquer. Ainsi, pour Me Dev Ramano, il est important d’avoir une ligne de démarcation claire entre les actes que les autorités doivent sanctionner ou non.
Ce que dit l’article 12 de la Constitution
1. Sauf avec son propre consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d’expression, c’est-à-dire la liberté d’opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret de la correspondance.
2. Rien de ce qui est contenu dans une loi ou de ce qui est fait en application d’une loi ne sera tenu comme non conforme ou contraire au présent article, dans la mesure où cette loi prévoit des dispositions :
a) dans l’intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l’ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique ;
b) dans le but de protéger la réputation, les droits et libertés d’autrui ou la vie privée de personnes appelées à un procès, empêchant la divulgation d’informations confidentielles, pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ou l’organisation de l’administration technique ou le bon fonctionnement des postes, télégraphes ou téléphones, de la radiodiffusion, de la télévision, des spectacles ou divertissements publics ;
c) pour l’imposition de restrictions à des fonctionnaires publics, sauf s’il est établi que cette disposition ou, selon le cas, son application, n’est pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.
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