Interview

Thierry Fusalba: «Maurice ne doit pas se contenter d’appliquer des pratiques étrangères»

Thierry Fusalba, expert en gestion de crise et d’enjeux sensibles
Thierry Fusalba est à Maurice, à l’invitation du cabinet Advantedge Public Relations, pour animer un atelier de formation sur la communication de crise. Il livre ses réflexions sur les enjeux liés aux réseaux sociaux. Est-ce que tout est permis sur les réseaux sociaux ? Lorsqu’on les parcourt, on peut croire en effet que la liberté de tout dire en est le principe fondamental. Pourtant, ce n’est pas aussi simple. Rappelez-vous qu’à l’origine Internet est un outil de communication sécurisé, élaboré par l’armée américaine dans les années 80, pour faire face à une attaque nucléaire massive de l’URSS. Il y a donc à la base une volonté stratégique qui n’est pas de tout dire, mais, au contraire, de tout contrôler. Avec le développement du Web 2.0 et les nombreuses ramifications digitales récentes, les réseaux sociaux peuvent donner un sentiment de liberté, de puissance et d’impunité. Ce n’est, hélas !, qu’un sentiment. La loi s’applique pour les délits et les crimes, qu’ils soient commis dans le monde réel ou virtuel. De récentes affaires en France sur la mise en cause d’internautes pour des propos insultants ou incitant à commettre des infractions le prouvent. Il n’y a pas d’impunité totale et définitive sur la toile. Quelles sont les méthodes pour lutter contre le phénomène des hackers, qui semble s’étendre ? Je pense que vous faites référence à ce qu’on appelle vulgairement les pirates informatiques, les chapeaux noirs, qui cherchent à pénétrer les réseaux informatiques à des fins malhonnêtes. Certains sont des individus et d’autres peuvent relever de structures officielles, parfois même de gouvernements. Des méthodes pour les contrer existent. Hélas, compte tenu des spécificités des réseaux sociaux, elles ont une efficacité limitée dans le temps et l’espace ! La première façon d’éviter une cyberattaque reste la prévention. Le pirate s’appuie d’abord sur la naïveté des utilisateurs. Il faut rester vigilant. Chaque entreprise mauricienne doit avoir, je pense, un guide de sécurité informatique. Et chaque individu doit s’astreindre à un comportement irréprochable. Parlez-nous des dispositifs permettant de retracer les utilisateurs malveillants sur les réseaux sociaux ? Je ne suis pas un expert de ce genre de dispositifs qui relèvent d’ailleurs d’enquêtes judiciaires ou de sécurité nationale. Ce que je peux vous dire, c’est que la menace est prise très au sérieux par la plupart des États notamment les plus développés économiquement. Les pertes financières peuvent être énormes. Tous les États qui ont les moyens sont présents sur les réseaux : de la simple surveillance à l’intrusion et jusqu’à la cyberattaque, des stratégies digitales nationales se développent et s’adaptent à l’évolution des menaces. Les récentes révélations de Julian Assange, fondateur de Wikileaks, ne sont que la partie émergée de l’iceberg digital. Les autorités locales ont affiché une volonté de réguler Facebook… Le terme réguler me semble excessif. Disons plutôt ‘encadrer’ les pratiques sur Facebook pour éviter les dérives. C’est le rôle d’un État de se protéger et de protéger ses citoyens, parfois contre eux-mêmes, tout en préservant leurs libertés fondamentales. Cela me paraît difficile, sauf si on applique une cyber souveraineté pour tout régenter, comme viennent de le faire les Chinois. C’est souvent la marque d’un État autoritaire. Je crois que la mise en place d’une véritable éthique sur les réseaux sociaux passe d’abord par l’éducation. Il faut que chaque Mauricien se rende compte que ce qu’il met sur Facebook ne lui appartient plus, malgré les règles de confidentialité proposées.Et ce qu’il dit aujourd’hui pourra lui être reproché dans un mois, un an, vingt ans, car rien ne se perd. Chacun doit se poser la question, lorsqu’il est sollicité par un inconnu, de savoir quelles sont ses intentions. Est-ce qu’une femme suivrait un inconnu dans la rue ? C’est la même chose sur le Net : de la vigilance. Comment poursuivre les internautes malintentionnés alors que les dispositions légales ne sont pas les mêmes à travers le monde ? C’est là, à la fois, tout le danger et tout l’avantage des réseaux sociaux. Universels, ils s’affranchissent des frontières physiques et des murs construits par les dictateurs. Tout se sait donc un jour et on ne peut pas y vivre caché indéfiniment. Mais ils offrent aussi, à côté d’un immense espace de liberté pour les internautes, une jungle digitale dans laquelle les malintentionnés peuvent se dissimuler. Le temps des réseaux sociaux étant si court et celui de la justice parfois si long que faire coïncider l’un et l’autre, dans le cadre d’une procédure internationale longue, coûteuse et hasardeuse, me paraît délicat voire superflu. Par rapport aux libertés individuelles, est-ce légal de limiter Facebook et les autres réseaux sociaux ? Au-delà d’une réflexion simplement juridique, il faut d’ailleurs se poser des questions d’ordre philosophique. La liberté individuelle, qui est un droit universel, doit-elle autoriser chacun de nous à faire, ou à écrire, n’importe quoi, n’importe quand sur n’importe quel sujet ? Ou bien, parce que nous sommes de plus en plus nombreux à vivre dans d’espace de plus en plus restreint, devons-nous accepter de céder une part de nos libertés individuelles au profit de la collectivité ? Cela en vue d’assurer son bon fonctionnement et un développement harmonieux. Le côté insulaire de Maurice renforce encore la prééminence de cet aspect. La terre n’est pas extensible à l’infini et la population augmente. Il faudra faire des choix dans un avenir prochain, dans le secteur des transports, des énergies, de l’urbanisation et je crois que les autorités locales en ont vraiment pris conscience. Réglementer les pratiques sur Facebook, ce n’est pas remettre en question les libertés individuelles. C’est, au contraire, assurer leur pérennité dans le respect mutuel d’une société multiculturelle, multiconfessionnelle, multiethnique. Vous avez animé une formation sur la communication de crise. Expliquez-nous cette technique et les modalités de sa mise en œuvre. C’était une formation pour laquelle le cabinet mauricien Advantedge Public Relations nous avait sollicités et qui était basée sur une approche sociale des réseaux sociaux plus que technique. La gestion des crises sur le Net doit être globale et reposer sur une vraie stratégie. Mais nous avions aussi des ateliers pratiques basés sur de petits cas de cyber crises. Tous les participants, issus du monde économique local, étaient très motivés et très impliqués, ce qui constitue déjà 50 % du succès. Pour le reste, nous avons des ‘process’ de résolution des situations sensibles inédits, au sein de cabinet Heiderich, sur lesquelles nous ne communiquons pas. Elles portent leurs fruits, tous les jours, dans le cadre de crises à chaud ou de prévention, et ce, dans tous les domaines de la vie moderne. Comment mieux préparer les acteurs de la communication à Maurice à appliquer les meilleures pratiques adoptées à l’étranger ? Je crois qu’il ne faut pas que les Mauriciens se contentent d’appliquer des pratiques étrangères. Il y a une vraie matière grise dans ce pays. Et, en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, les autorités et les entreprises locales sont parfaitement capables de développer une stratégie nationale. Ce qui tiendra compte des spécificités de l’île et de la région. Je crois sincèrement que dans ce domaine, comme dans d’autres, Maurice pourrait être un pionnier et un modèle pour l’océan Indien et le continent africain. Pour le reste, des experts occidentaux peuvent intervenir avantageusement pour conseiller et guider, dont le cabinet Heiderich. Celui-ci est le leader européen des enjeux sensibles. C’est un enjeu d’avenir pour Maurice parce qu’avec les réseaux sociaux comme avec l’amour, il fait être très prudent... et persévérant !
Publicité
Related Article
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !