Le mauricianisme est un concept encore ‘in the making’ et il y a des facteurs qui entravent son développement, estime Tania Diolle. Selon elle, pour qu’une nation avance, il faut que les gens de bonne volonté se regroupent et travaillent vers un but commun.
[blockquote]« Les leaders n’ont pas et ne veulent pas évoluer. Il y a aussi des forces sectaires qui existent grâce aux inégalités du système en place. C’est maintenant qu’il commence à y avoir une ébullition.»[/blockquote]
Maurice célèbre, ce 12 mars, ses 48 années d’indépendance. Selon vous, avons-nous progressé en tant que nation ?
Il faut reconnaître que le pays et la nation ont beaucoup avancé depuis 1968, même si les choses ne sont pas parfaites. Nous pouvons dire que nous sommes maintenant à un tournant de notre existence.
Pourquoi à un tournant ?
Nous sommes à un tournant de notre histoire démocratique. On a eu l’indépendance dans un contexte difficile, où il y avait une division ethnique conséquente. Les archives britanniques de l’époque le prouvent. Les gouvernants de l’époque avaient exprimé leurs craintes sur le fait que la politique à Maurice avait pris une dimension ethnique. Et c’est ce qui les avait poussés à négocier avec les différents acteurs politiques de l’époque pour créer un système où tout le monde se sentirait on board.
Il y avait une communauté qui ne se sentait pas rassurée. D’ailleurs, le best loser system émane de ces négociations. C’était censé être une exception, pas la règle. Mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est devenu la règle.
Comment est-ce qu’une exception de cette importance a pu devenir la règle ?
L’ancienne génération de politiciens a sa légitimité par rapport à la lutte pour l’indépendance. Aujourd’hui, elle perpétue cette lutte et elle a fait de cette exception une règle. Vous avez des ministres qui se permettent de s’identifier à leur communauté avant de s’identifier en tant que Mauriciens. Il y a même des «groupes sectaires» qui n’hésitent pas à brandir des drapeaux de pays étrangers !
On ne peut pas alors parler de progrès ! Ne serait-ce pas plutôt une régression ?
Je dirais qu’on tourne en rond. La raison, c’est que certains qui font de la politique aujourd’hui sont là depuis l’indépendance. Leur combat n’a pas changé. Ils existent dans une logique communale et ils s’y accrochent. Or, la perception du communalisme de la nouvelle génération est différente. Nous sommes une nation pacifique, les élections sont démocratiques, il n’y a jamais de coup d’État, jamais de scission. Aucun groupe ou région ne réclame son indépendance.
Cette ‘logique communale’ est-elle un danger pour la nation mauricienne ?
Oui, car nous sommes une jeune démocratie.
Comment éviter ce danger ?
Les politiques doivent faire très attention à leurs discours. Pour qu’une nation avance, il faut que les gens de bonne volonté se regroupent et travaillent pour atteindre un but commun. Nous ne sommes pas un pays riche, nous dépendons beaucoup de nos ressources humaines.
Êtes-vous en train de dire que l’île Maurice de 2016 est communale ?
C’est une île Maurice où l’exception est devenue la règle. Il est temps que les gens de bonne volonté agissent. Soit nous franchissons ce cap et devenons une nation vraiment unie, soit on laisse les choses aller comme elles sont et on régresse. C’est pourquoi je parlais de tournant de notre histoire démocratique.
Est-ce que le mauricianisme existe ?
Cette notion existe, même si elle est encore in the making et qu’il y a des facteurs qui entravent son développement. Le fait demeure qu’indistinctement de notre communauté, nous sommes tous fiers d’être Mauriciens même si on manque de repères.
Quels sont les facteurs qui entravent le développement du mauricianisme ?
Des forces sectaires !
Un exemple peut-être ?
Prenons la langue créole. C’est une langue qui est parlée et comprise par tous. Les débats parlementaires auraient dû se faire en créole parce que ces débats seront retransmis à la télé. Il ne faut pas polémiquer là-dessus. Pour que la politique soit accessible à tout le monde, il faut une langue commune.
Mauricianisme et identité mauricienne : est-ce la même chose ?
Je pense que oui. En tout cas, les deux se rejoignent. Il y a certes différentes façons de vivre son identité. Nous n’avons pas une culture homogène car nous avons une diversité culturelle.
Quid du sentiment d’appartenance à la patrie ?
C’est un sentiment que nous devons tous avoir. Mais il y a quelques pyromanes sociaux qui sévissent impunément et qui se permettent d’attiser le feu du communalisme en jurant allégeance à d’autres drapeaux. On ne peut pas, sous ces conditions, appartenir à la nation mauricienne. Je ne comprends pas pourquoi une fête religieuse doit être utilisée pour faire la promotion d’un autre pays.
Est-ce que les jeunes Mauriciens connaissent l’histoire de leur pays ou se limitent-ils au Motherland qui est chanté dans les écoles et collèges à la veille du 12 mars ?
Il y a une méconnaissance de l’histoire du pays parmi les jeunes. Par exemple, les étudiants du secondaire qui rejoignent l’université connaissent la période de l’esclavage, l’engagisme et l’économie sucrière, entre autres, mais pas l’histoire de l’indépendance. Ils ne comprennent même pas notre position dans l’économie mondiale.
La faute à qui ?
Aucun état ne se construit sans un système éducatif qui parle de l’État lui-même, qui parle des valeurs communes, qui assure la vie collective.
C’est donc la faute au système éducatif ?
C’est la faute aux leaders qui n’ont pas et ne veulent pas évoluer. Il y a aussi des forces sectaires qui existent grâce aux inégalités du système en place. La société grandit et c’est maintenant qu’il commence à y avoir une ébullition. Il est important de savoir quelle direction prendre. Déjà, avec le Nine-Year Schooling, on s’attend à une réorientation du système éducatif.
Qu’attendez-vous de l’île Maurice de demain ?
Que cesse le communalisme ! Qu’on devienne un pays où il ne serait pas nécessaire de s’identifier à sa communauté. On ne va pas aller loin si on reste dans le clivage ethnique. Il est essentiel de construire son territoire en tant que nation, sinon on n’existe pas. Il faut rêver et construire la nation ensemble. J’attends aussi de l’île Maurice de demain qu’elle soit plus égalitaire.
De la politique au campus
Agée de 31 ans, Tania Diolle est chargée de cours en sciences politiques à l’université de Maurice. Elle a aussi été conseillère à la municipalité de Quatre-Bornes. élue en décembre 2012, elle a dû toutefois démissionner quelques mois après pour commencer à travailler sur le campus de Réduit. Elle se dit passionnée de politique, d’où son choix d’études.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !