Chômage, criminalité et fourniture d’eau. Ce sont les trois préoccupations majeures des Mauriciens selon un sondage mené par Straconsult. Qu’est-ce qui peut être fait pour dissiper leurs inquiétudes et résoudre leurs problèmes ? Des acteurs des domaines concernés font le point. Parole aux experts.
Chômage
Manisha Dookhony, observatrice économique : « Il faut un plan de relance »
« Les choix que nos voisins les Seychelles ont dû faire inquiètent pas mal les Mauriciens. »
« En ce qui concerne le chômage, tout dépendra de la sortie de la crise économique créée par la pandémie de COVID-19, tant à l’international qu’à Maurice. Jusqu’à maintenant, beaucoup d’entreprises ont utilisé leurs réserves qui aujourd’hui s’amenuisent. Les paiements pour des prestations de services tardent à se faire. Ces entreprises ont du mal à payer les salaires et à prendre en charge les frais, incluant les charges dues au gouvernement, la Taxe sur la valeur ajoutée, etc. À un moment elles n’auront d’autre choix que de licencier. Sans sortie de crise en vue ou même sans plan de relance, la situation sera difficile.
Qui dit chômage, dit aussi perte de revenus. Les soutiens de l’État, tels que le Government Wage Assistance Scheme, ont aidé à préserver les emplois. Mais nombre de personnes se demandent pour combien de temps. Les choix que nos voisins les Seychelles ont dû faire inquiètent pas mal les Mauriciens.
Nous avons une économie qui a été assez résiliente. Mais nous ne sommes pas sortis de la liste de grise de la Financial Action Task Force. Donc pas de sortie en vue de la liste de noire de l’Union européenne avec les répercussions que cela implique sur les secteurs financiers, entre autres.
Ce qu’il nous faut, c’est une réflexion profonde sur la manière d’alléger les charges pour que les entreprises puissent maintenir les emplois. Il nous faut également un effort de transparence et de changement pour que le pays quitte les listes grise et noire. Il nous faut aussi un plan de relance pour notre économie. »
Jane Ragoo, syndicaliste : « La volonté et du soutien »
« Si les grandes boîtes arrivent à subsister, c’est parce qu’elles ont des réserves. »
« Certes, nous avons des garde-fous pour empêcher que des patrons mettent des travailleurs à la porte. Il y a certes des entreprises qui traversent bel et bien des difficultés vu qu’elles opèrent dans des secteurs où les activités sont au point mort. Mais il y en a d’autres qui comptent moins de 15 employés et dont les patrons profitent de la situation pour procéder à des licenciements.
Si les grandes boîtes arrivent à subsister, c’est parce qu’elles ont des réserves. Elles savent qu’elles auront besoin de leur personnel formé dès qu’il y aura une reprise. Mais il faut se rendre à l’évidence qu’aussi longtemps que la pandémie de COVID-19 ne sera pas derrière nous, la situation ne s’améliorera pas.
Il est regrettable que la grande majorité de ceux touchés par des licenciements soit des femmes. Durant le confinement, on a eu un aperçu de la souffrance ressentie par de nombreuses familles qui peinent à trouver à manger.
« Il est regrettable que la grande majorité de ceux touchés par des licenciements soit des femmes. »
Le gouvernement a pris l’initiative de mettre sur pied une Land Bank pour encourager les gens à planter. On aurait pu aller plus loin en formant des gens pour qu’ils soient en mesure de faire la récolte ou encore pour qu’ils apprennent les techniques de la préservation des légumes. Beaucoup de femmes montreraient un intérêt à cela.
Pour inciter la population à devenir plus autonomes et réduire le taux de chômage, il faut une volonté du gouvernement ainsi qu’un soutien à travers les supports nécessaires, comme les formations, entre autres. On ne peut pas uniquement offrir un cours et cela s’arrête là. Il faut un accompagnement.
D’ailleurs, il y a plusieurs secteurs dans lesquels on peut former les femmes. Je cite l’industrie 4.0. On doit encourager les femmes à aller vers ces secteurs. On a tendance à croire qu’ils ne sont réservés qu’aux hommes. C’est faux. Les femmes ont le potentiel de faire des choses que font les hommes.
Puis, on sera forcé de l’admettre : les métiers ne manquent pas pour ceux qui veulent travailler. Il faut aussi de la volonté de la part des chômeurs. Vendre des fruits cristallisés et confits, par exemple, est un métier. Pour finir, je pense que ce qu’il faut concrètement, c’est un brainstorming avec la société civile pour comprendre les champs d’intérêt des gens avant d’offrir des formations. »
Le sondage de Straconsult en quelques mots
En menant son sondage, Straconsult a traité les thèmes suivants : la direction du pays, la situation économique, les préoccupations les plus importantes, ainsi que la performance du gouvernement. Pour cette étude, 1 200 personnes ont été interrogées. Parmi, 60 % sont d’avis que le plus gros problème auquel est confronté le pays est le chômage. Il ressort que 46 % des sondés considèrent que la criminalité ainsi que la sécurité des Mauriciens figurent parmi les plus grosses inquiétudes du pays, tandis que 25 % pensent que c’est la fourniture d’eau qui demeure le plus gros problème. En ce qu’il s’agit de la corruption, ils ne sont que 19 % à estimer qu’il s’agit d’un problème majeur à Maurice.
Fourniture d’eau
Farook Mowlabaccus, hydrologue : « On perd la moitié de notre eau »
« On est presque à la fin de l’été. La situation risque de se corser si les averses ne viennent pas. »
« Ce problème ne date pas d’aujourd’hui. Nous sommes déjà à la mi-février et nous attendons toujours les grosses pluies pour que nos réservoirs n’affichent plus grise mine. On est presque à la fin de l’été. La situation risque de se corser si les averses ne viennent pas.
Le Bagatelle Dam a été construit pour améliorer la fourniture d’eau. Or, le Filter Plant n’est pas opérationnel à 100 %. S’il ne pleut pas, le niveau d’eau qu’il stocke diminuera drastiquement. Il ne pourra même pas desservir Port-Louis et une partie des basses Plaine-Wilhems pendant les mois secs.
Si la pluie tombe, le niveau d’eau du Bagatelle Dam augmentera de même que celui des nappes phréatiques. Tous les bénéfices du Bagatelle Dam se répercutent sur Mare-aux-Vacoas qui pourra ainsi offrir une meilleure fourniture d’eau si on n’a pas à s’en servir pour une partie des basses Plaine-Wilhems.
La construction du Rivière-des-Anguilles Dam est prévue, mais le projet n’a pas encore été mis en chantier. Il prendra au moins trois ans avant d’être achevé. Ce qui signifie que la situation ne s’améliorera pas d’ici là.
Côté infrastructure, plusieurs contrats ont été alloués pour le remplacement de tuyaux. Cependant, beaucoup de ces contrats, dont certains ont été enclenchés il y a trois ans, n’ont pas été complétés. La perte d’eau reste un problème majeur. Aussi longtemps que les pertes d’eau, qui s’élèvent à 50 %, ne seront pas réglées, ce sera un massacre. Ce que je trouve dommage car nous perdons la moitié de l’eau que nous produisons. Tant qu’il y aura des pertes dans notre système de distribution, la situation restera la même. »
Harry Booluck, ex-directeur de la CWA : « Vendre le rêve d’une fourniture 24/7 était de la démagogie »
« C’était de la démagogie de vendre le rêve d’une fourniture d’eau 24 heures sur 24 et sept jours sur sept aux Mauriciens. Dans la réalité, on est loin de cette promesse électorale. Maurice étant une petite île tropicale, il est victime du changement climatique. La donne a changé. La saison des grosses pluies ne vient pas ou alors elle est en retard.
Du coup, nos nappes phréatiques sont dans le rouge. Le niveau de nos réservoirs ne cesse de baisser. Quand nous atteignons un niveau critique, nous sommes contraints de rationner l’eau, en veillant à la bonne distribution de chaque mètre cube.
On attend les grosses pluies pour que la situation s’améliore. Chaque année, c’est le même scénario. Que peut-on faire pour ne pas dépendre de la nature ? Il nous faut conquérir la nature pour survivre. Une des solutions est la désaliénation. C’est une option que le gouvernement doit sérieusement envisager. On est entouré par la mer. Certes, cela coûtera cher, mais cela reste une solution plausible. Il y a un prix à payer pour une meilleure fourniture.
Il y a aussi de l’eau qui sort de terre pour finir à la mer. Plusieurs endroits sont concernés. On aurait pu recueillir cette eau. Cela ne coûterait pas cher. Il y a également des nappes phréatiques toujours inexploitées, faute de recherches à cause d’un manque de ressources. On aurait pu solliciter l’aide de pays amis.
Mais le plus important reste l’éducation. Il faut éduquer les Mauriciens à ne pas gaspiller de l’eau. Tout abus doit être rapporté. C’est cela qui conscientiserait les consommateurs à être plus responsables. »
Criminalité
Ibrahim koodoruth, sociologue : « On doit reconstruire notre tissu social »
« Nous vivons à l’ère du « chacun pour soi ». Il est impératif qu’on reconstruise notre tissu social. »
« Tout d’abord, la police ne doit pas donner l’impression de prôner une politique de deux poids deux mesures. Il faut une police impartiale et professionnelle. Elle ne doit surtout pas prendre de directives des politiques. Pour qu’elle inspire de nouveau confiance aux gens, la police doit être neutre.
On se targue d’être un pays à haut revenu. Or, nous comptons parmi nous des gens qui peinent à joindre les deux bouts. Pis, certains n’ont tout bonnement rien à se mettre sous la dent. Si on y réfléchit bien, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. C’est la dure réalité à Maurice. C’est ce qui pousse certains à voler pour avoir à manger et à boire. Sans compter ceux qui sont pris dans la spirale de la drogue et qui finissent par tomber dans la criminalité.
Nous devons nous poser des questions sur notre système éducatif. Il y a certes eu des réformes. Mais est-ce que notre système nous enseigne l’éducation civique ? Qu’en est-il des repères religieux ? On sait qu’il faut travailler dur pour gagner sa vie. Mais j’ai l’impression qu’on a perdu ces bonnes bases.
Nous devons aussi développer l’entraide communautaire. Nous devons venir avec des projets pour s’assurer que les gens ont un travail et surtout de quoi manger. Cette solidarité est plus que jamais nécessaire aujourd’hui. Nous vivons à l’ère du « chacun pour soi ». Il est impératif qu’on reconstruise notre tissu social. Il faut cet élan citoyen. Cela aidera grandement à réduire la criminalité. »
Rima Ramsaran, ex-Lecturer en criminologie à l’UoM : « Il faut augmenter le feel-good Factor »
« La situation que nous avons vécue avec la COVID-19 a donné naissance à un climat incertain. Quand nous entrons dans ce type de marasme, il y a souvent la perception d’une hausse de la criminalité. La perte d’emploi, par exemple, génère ce sentiment d’insécurité.
Il y a aussi le fait que les cas de vol sont communiqués sur les réseaux sociaux. L’information court très vite de nos jours. Autrefois, les vols passaient inaperçus. Ce qui n’est plus le cas. Il y a aussi la perception qu’il y a une recrudescence de la drogue, ce qui exacerbe ce sentiment d’insécurité.
Quand il s’agit de la perception, il est parfois difficile de changer la donne. Si nous voulons que les gens se sentent en sécurité, il faut augmenter le Feel-Good Factor. Mais au vu de la situation actuelle, je suis consciente qu’il sera difficile d’avoir ce sentiment de bien-être pour le moment. Pour conclure, je dirais que certains commencent à moins faire confiance à la police. Quand nous ne faisons plus confiance aux institutions, la peur nous envahit automatiquement. »
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