Interview

Sophie Montocchio: «Les travailleurs du sexe n’ont pas de droits à Maurice»

Sophie Montocchio est coordinatrice de Parapli Rouz. Elle aborde l’action de l’ONG sur le terrain et parle de la « stigmatisation » des travailleurs du sexe à Maurice.

Quand, pourquoi et comment est née Parapli Rouz ?

Parapli Rouz existe depuis 2010. Le projet avait été initié par Chrysalide. L’idée a germé à l’issue de la conférence de Vienne, lors de laquelle des représentants de cette ONG ont côtoyé des activistes internationaux militant pour les droits des travailleurs du sexe. Leur mouvement est connu comme Red Umbrella.
[panel contents="À 27 ans, Sophie Montocchio est détentrice d’un diplôme en sciences sociales, spécialisée en anthropologie. Elle est la coordinatrice de Parapli Rouz depuis le 1er juillet 2015." label="Sophie Montocchio" style="info" custom_class=""]
[row custom_class=""][/row] Chrysalide s’est inspirée de leur action pour lancer Parapli Rouz avec l’aide d’autres ONG, dont PILS, CUT, Kinouété et Lakaz A. Le but était d’aborder les problèmes que rencontrent les travailleurs du sexe, surtout par rapport aux violences qu’ils subissent. [blockquote]Ces personnes ne font certainement pas le plus beau métier du monde, mais elles sont quand même fières que leur activité permette de faire vivre leur famille[/blockquote]

Parapli Rouz a évolué…

Depuis le début de cette année, Parapli Rouz est devenue un département indépendant de Chrysalide. Nous sommes enregistrés en tant qu’association depuis le 2 juin 2015. Grâce à une aide financière provenant du fonds CSR, nous sommes maintenant bien installés. Nous avons reçu des dons de la part de nos partenaires et sympathisants, ainsi que des volontaires. Nous avons tout ce qu’il nous faut pour fonctionner. Parapli Rouz emploie quatre personnes. Évidemment, ce n’est pas suffisant, mais on s’accroche.

Le bilan du mouvement de 2010 à ce jour ?

Nous avons lancé plusieurs initiatives. Outre la marche annuelle de novembre, il y a eu des campagnes de conscientisation. Nous avons surtout une grande présence sur le terrain. Nous touchons les femmes, les transgenres, mais aussi quelques hommes, qui travaillent de jour comme de nuit dans la rue, les discothèques, les salons de massage, sur les plages et sur le Net.

Ces personnes viennent-elles vers vous ou est-ce vous qui allez à leur rencontre ?

Il y a un peu des deux. Les personnes viennent vers nous beaucoup plus depuis que nous avons ouvert notre centre, mais c’est surtout nous qui allons vers eux.

Quelles sont vos priorités ?

Elles ont trait à la santé. Nous sensibilisons, entre autres, sur la transmission du VIH/sida, les maladies non-transmissibles et l’utilisation du préservatif. Nous faisons beaucoup de formation. Nous partageons aussi, autant que possible, des   informations sur les droits humains.

C’est-à-dire ?

L’accès à la santé est un droit humain. Cela est un fait. Toutefois, pour cette tranche de la population, dont les droits humains ne sont pas toujours respectés, l’accès à la santé n’est pas toujours une priorité. Une travailleuse du sexe ne suivra pas son traitement VIH si elle n’a pas un toit sur sa tête ou si elle est victime de violence. Comment améliore-t-on la qualité de vie de cette personne ?

Justement, comment votre ONG aborde-t-elle cet aspect du problème ?

Depuis l’année dernière, nous avons lancé un programme d’empowerment qui a eu beaucoup de succès. Il est basé sur les besoins de la personne. Les travaux sont dirigés par la communauté. Il peut s’agir de discussions sur le développement de soi, la gestion du budget ou l’information sur les maladies. Les bénéficiaires sont très réceptifs et à l’aise. Ces personnes ne font certainement pas le plus beau métier du monde, mais elles sont quand même fières que leur activité permette de faire vivre leur famille.

Est-ce que Parapli Rouz conseille à ces femmes d’arrêter ce travail ?

Ce n’est pas notre rôle. Notre mission est de les accompagner, de les encourager et de les protéger, si besoin est.

Pourquoi dites-vous que les droits des travailleurs du sexe ne sont pas respectés à Maurice ?

Je suis choquée à chaque fois que des cas nous sont rapportés. Par exemple, un membre de notre personnel a été arrêté à Quatre-Bornes, dénudé et fouillé. Il a été accusé de racolage (soliciting). Devant le magistrat, cette personne n’a pas eu droit à la parole. Et ce n’est pas un cas unique ou isolé. On voit que la police ne fait pas son travail. Certains policiers font même du chantage… Mon personnel et moi-même avons été menacés à Port-Louis. Les policiers distillent de fausses informations, mais le discours change dès que débarque l’avocat. C’est choquant !

En mars 2013, vous avez sollicité une entrevue avec le Premier ministre dans un cas spécifique où 13 femmes avaient été arrêtées. Avez-vous eu une réponse ?

Non, rien du tout ! Par contre, nous venons de demander une rencontre avec le commissaire de police (CP).

Pour discuter de quoi ?

Nous avons beaucoup de sujets à évoquer avec lui. Une de nos priorités, c’est d’officialiser le fait que le préservatif n’est pas criminalisé à Maurice.

C’est-à-dire ?

Actuellement, les policiers disent que les travailleurs du sexe n’ont pas le droit d’avoir des préservatifs sur eux ! Pour moi, c’est de la stigmatisation. Un membre de notre personnel était parmi les 13 femmes arrêtées en mars. Elle avait 64 préservatifs dans son sac, qu’elle allait distribuer. Selon la police, les travailleuses du sexe n’ont pas droit d’être dans les rues de Port-Louis à partir de 20 heures, alors qu’à Quatre-Bornes, c’est à partir de 18 heures. On aurait aimé en parler avec le CP. Nous voulons qu’il émette une correspondance officielle pour dire que cela n’est pas vrai. Que cela n’est pas légal !

La prostitution n’est-elle pas illégale ?

C’est le soliciting  (racolage) qui est criminel. La loi précise clairement : « Soliciting for immoral purposes ». Toutefois, l’interprétation que donne la police mauricienne est « soliciting male for immoral purposes ». Mais, souvent, ce n’est pas la travailleuse du sexe qui fait le premier pas, c’est le client qui la sollicite. À tous les coups, c’est la femme qui est arrêtée et le client devient un témoin. Où est la justice dedans ? Cela aussi, nous comptons en discuter avec le commissaire de police.

Doit-on amender la loi ?

Nous préparons un position paper qui sera bientôt soumis à la Law Reform Commission. Cette instance a récemment proposé de décriminaliser le soliciting et de pénaliser le proxénétisme. Nous voulons réagir sur les propositions de réforme. [row custom_class=""][/row]

7 630

Une étude publiée en septembre 2014 par le National Aids Secretariat, Programmatic Mapping and Size Estimation of Key Population in Mauritius, dénombre en moyenne 6 223 travailleuses du sexe durant les jours de pointe (week-end) et 1 407 transgenres engagés dans cette activité, soit une moyenne de 7 630 personnes exerçant ce métier. Toutefois, Sophie Montocchio estime qu’il faut multiplier ce chiffre par trois. Elle est aussi d’avis qu’une étude similaire devrait être entreprise par les autorités sur les male sex workers.

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