De Paris où il se trouve, Shakeel Mohamed revient sur la nécessité de construire ensemble une nouvelle île Maurice prospère. Il raconte la dynamique entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, et voit dans leur « complicité » et les valeurs qu’ils ont inculquées aux membres de l’Alliance du Changement, l’ingrédient du succès du gouvernement.
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Vous en êtes à combien de mandats consécutifs ?
J’ai été élu pour la première fois à l’Assemblée nationale en 2005 dans la circonscription n° 13 (Rivière-des-Anguilles/Souillac). Dès lors, j’ai été élu quatre autres fois dans la circonscription n° 3 (Port-Louis Maritime/Port-Louis Est), c’est-à-dire en 2010, 2014, 2019 et 2024. Cela fait donc cinq fois d’affilée.
Toujours élu en tête de liste ?
J’ai été élu en 2005 en troisième position. La deuxième fois, en 2010, j’ai occupé la deuxième place. En 2014 et 2019, j’ai été élu à la première place et, en 2024, à la deuxième place. C’est un honneur que l’électorat m’ait choisi lors de cinq élections générales consécutives. J’en suis très reconnaissant. Le rang est important, mais le plus important est d’être élu.
Notre pays a déjà vu une personne élue en deuxième position devenir Premier ministre. Nous avons également eu des vice-Premiers ministres qui étaient les meilleurs perdants (Best Losers). Je suis très reconnaissant envers tous les Mauriciens qui ont contribué à la victoire des 60 candidats de l’Alliance du Changement aux dernières élections générales.
Je suis particulièrement reconnaissant envers les électeurs du n° 3, un peu plus de 78 %, qui m’ont choisi comme leur représentant élu pour la quatrième fois consécutive, ce qui est, en soi, un record pour le PTr dans cette circonscription.
La brève campagne a-t-elle été un avantage à tous les niveaux ?
La campagne a été très intense. J’ai été la cible d’attaques ignobles et dégoûtantes de nature communautaire de la part des dirigeants du MSM. J’ai dû répondre à des allégations dangereuses et sans fondement.
Le MSM a toujours prospéré politiquement en attaquant ses opposants sur la religion pour instaurer la peur et diviser la nation. Il fut un temps où ils investissaient du temps, des efforts et de l’argent pour détruire Paul Bérenger, mais en 2024, j’ai été leur cible. À tel point que même Paul Bérenger a remarqué qu’ils l’avaient laissé tranquille pour une fois !
Certains ont utilisé une autre stratégie contre moi : ils m’ont dépeint comme un « musulman blanc ». Mon défunt grand-père, sir Abdul Razack Mohamed, en avait été victime. Ils ont essayé contre moi, mais n’ont pas réussi.
J’ai également été la cible privilégiée de l’allié du MSM qui se tenait dans l’ombre, Cehl Meah du FSM. Il a même encouragé les Mauriciens de foi hindoue à ne pas faire confiance au PTr et à l’Alliance du Changement, puisque j’étais choisi pour être le no 3 d’un futur gouvernement ! Il a utilisé les mêmes mots et la même stratégie que le MSM.
J’ai dû faire face à bien d’autres défis jour après jour. J’écrirai un jour sur tout cela. Ce qui ne vous brise pas vous rend plus fort. Une campagne courte, mais intense, où j’ai dû faire face à ce que la politique peut avoir de pire.
Le troisième 60-0 est un ‘printemps mauricien’, mais dans l’ordre et le respect»
Vous attendiez-vous à un 60-0 ?
J’étais confiant d’une victoire d’au moins 50 sièges. Je ne m’attendais pas à un 60-0. J’avais demandé son avis à Paul Bérenger. Dix jours avant les élections, il m’avait dit que nous allions vers un 60-0. Je n’en revenais pas. Il m’avait dit qu’il avait reconnu les signes avant-coureurs. Il avait raison.
Le troisième 60-0 était ainsi prévisible…
Il était imminent, mais la plupart d’entre nous ne pouvaient pas y croire, parce que les gens avaient cessé de s’exprimer par peur de la répression, d’être arrêtés et victimes d’un « planting ».
Le troisième 60-0 est un « printemps mauricien », mais dans l’ordre et le respect. C’est ce qui est le plus étonnant. Le peuple a intériorisé son dégoût de ceux qui étaient au pouvoir. Il est sorti et a fait ce qui a surpris le monde entier. Cela a également suscité l’admiration de la communauté internationale.
Tous les gros calibres sont tombés, ceux que l’on surnommait les intouchables, à commencer par Pravind Jugnauth… Comment expliquer cette hécatombe ?
Pour résumer, je dirais qu’il y a eu une coupure entre le gouvernement et la population. Il y avait de l’arrogance. Il y avait un semblant de démocratie, mais nous étions loin d’une démocratie. Il y avait un manque total de transparence. Quelques-uns étaient protégés. La méritocratie était morte, tandis que la corruption prospérait.
Le véritable daylight robbery a été la création de la Mauritius Investment Corporation, où l’argent des contribuables a été détourné au profit des amis des maîtres de l’époque. Des meurtres au nom du pouvoir politique et des meurtres non élucidés pour rester au pouvoir ! Un commissaire de police qui était de mèche avec le pouvoir. Des adversaires politiques piégés. L’augmentation des prix des denrées alimentaires, la dépréciation de la roupie.
Nous pourrions continuer ainsi à l’infini...
Durant les deux dernières semaines, Missie Moustass n’a-t-il pas sonné le glas du MSM et de ses alliés ?
Il est dit que la vérité vous libérera. En effet, lorsque le voile a été levé, et que le peuple a vu et entendu la vérité sur la façon dont le pays était dirigé, cela a libéré le pays.
L’apport du PMSD de Xavier-Luc Duval au MSM et ses alliés n’a finalement compté que pour du beurre...
Le peuple avait déjà décidé, collectivement, de chasser l’ancien gouvernement. Le PMSD a choisi de se ranger du côté de ceux-là mêmes qu’il avait demandé à la population de condamner et de chasser. Toute personne s’associant au MSM était sur la voie de l’autodestruction. Le reste appartient désormais à l’Histoire.
Je me vois comme un ‘trait d’union’ entre la génération des aînés et celle des jeunes»
Dorénavant no 3 du gouvernement, quel est votre sentiment ?
Je me sens humble. Je suis conscient de l’immense responsabilité que cela représente et des énormes attentes des habitants de notre beau pays. Je suis également reconnaissant de l’honneur que m’a fait le chef du PTr. Je suis conscient du sacrifice et de la loyauté dont Arvin Boolell a fait preuve, une fois de plus, en tant qu’ancien du PTr.
Plus on se rapproche du sommet, plus l’espace se rétrécit. Nous avons une équipe fantastique. Je me vois comme un « trait d’union » entre la génération des aînés et celle des jeunes, et ce lien entre le dynamisme de la jeune génération et l’expérience et la sagesse des aînés sera la formule gagnante de ce gouvernement.
Les projets de construction de maisons vont-ils continuer et sous les mêmes conditions ?
J’ai entrepris une analyse approfondie des affaires de la National Housing Development Company (NHDC) et de la New Social Living Development (NSLD). J’ai demandé un audit complet de ce qui a été fait. Je me prononcerai lorsque le rapport sera prêt.
Les chiffres communiqués par l’ancien gouvernement concernant le nombre de maisons construites et livrées sont factuellement incorrects. Ils donnent une fausse image de la situation. L’objectif principal de l’ancien gouvernement était d’utiliser cette fausse image pour obtenir des votes. Tout a été fait dans la précipitation, au détriment de la qualité, de la durabilité et de l’environnement.
Des bénéficiaires de logements sociaux n’ont pas été choisis selon les critères établis. Dans de nombreux cas, ceux qui se sont inscrits pour obtenir une maison attendent toujours et ont été remplacés par des personnes moins méritantes.
Les choses vont changer. Les critères d’éligibilité seront l’une de mes priorités. Je ne permettrai pas que l’injustice perdure, que ce soit au sein de la NHDC et la NSLD, ou dans la manière dont les contrats sont attribués et les logements distribués.
Je ne peux pas accepter un système qui construit des logements sociaux en priorité pour ceux qui ont les moyens de payer une caution et un remboursement mensuel, alors que ceux qui ne le peuvent pas sont presque toujours exclus. Ma priorité est de venir en aide à ceux qui sont confrontés aux défis financiers et sociaux les plus difficiles. Je veux ramener la justice sociale dans le mandat de ce ministère.
De nouveaux modèles de développement doivent être étudiés, comme ceux de l’Autriche et de la Lettonie, notamment. Les modèles de partenariat public-privé doivent être analysés afin de répondre à l’énorme demande. La classe moyenne a des besoins, et de nouveaux modèles de développement de logements sociaux dans les villes seront mis en œuvre.
Avez-vous d’autres projets dans un proche avenir ?
La planification urbaine est l’une de mes priorités. Nous ne pouvons pas envisager une nouvelle ère de stratégie de développement national sans les outils technologiques appropriés. Nous ne pouvons pas progresser si les ministères et les agences gouvernementales continuent à fonctionner en vase clos.
En ce qui concerne le mandat de mon ministère dans le domaine de la planification urbaine, je vise à créer une plateforme où les ministères et les agences gouvernementales partageront toutes les données dont ils disposent et qui sont nécessaires à la planification du développement de Maurice pour les 30 prochaines années.
Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue. Je vise l’île Maurice virtuelle, qui sera un jumeau numérique complet de l’île Maurice, tirant parti des technologies de pointe pour améliorer la planification, la gestion et la durabilité urbaines. Cela a été fait à Singapour, Helsinki et Boston.
Une partie du modèle singapourien intègre des données en temps réel provenant de réseaux de capteurs qui surveillent le trafic, les conditions météorologiques et la consommation d’énergie. Cette intégration en temps réel permet aux planificateurs d’effectuer des simulations et des analyses, fournissant des informations précieuses sur l’impact potentiel des changements dans le paysage urbain, facilitant ainsi une prise de décision éclairée. Par exemple, en considérant les surfaces des toits des bâtiments d’une zone à une hauteur spécifique, les urbanistes peuvent estimer la quantité d’énergie solaire qu’ils peuvent générer si des panneaux solaires sont installés.
À Helsinki, le jumeau numérique est essentiel pour la planification de l’efficacité énergétique, la gestion des infrastructures et la prise de décision concernant les nouvelles initiatives de développement de la ville. Ce modèle intègre des données provenant de diverses sources, telles que la consommation d’énergie des bâtiments et les conditions météorologiques, afin de simuler et d’analyser l’utilisation de l’énergie, ce qui permet aux planificateurs d’identifier les domaines à améliorer et d’optimiser l’efficacité.
À Boston, le jumeau numérique aide les parties prenantes à prendre des décisions éclairées sur l’aménagement et le développement de la ville, ainsi que sur la modélisation des risques d’inondation. Les autorités de Boston envisagent également d’intégrer des données provenant de capteurs dans des cartes et des modèles, afin d’offrir une visualisation en temps réel des services municipaux. C’est ce que je veux apporter.
Parlons d’Agaléga. Quel est votre constat après votre récente visite ?
J’ai connu Gervaise, Claudette et bien d’autres cyclones. Je n’ai jamais vu une telle destruction des infrastructures comme à Agaléga. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut voir un hangar d’aviation construit en acier détruit comme s’il était fait de papier d’aluminium !
J’ai été impressionné par la résilience et la force profondément enracinée des habitants d’Agaléga. Le développement dans cette région a totalement exclu les habitants de l’île. On leur avait promis de nouvelles installations médicales, mais c’était un mensonge. J’ai vu le même petit bâtiment qui existait il y a plus de 12 ans : il était délabré et mal équipé, avec seulement un kit de mesure de la tension artérielle et un kit de dépistage du diabète, sans matériel d’échographie ou de radiographie.
Il n’y a pas de nouvelles installations éducatives. Pas une seule maison construite au cours des dix dernières années ! Pas de communications aériennes régulières. Pas d’emplois correctement rémunérés.
Certains sont habitués à croire qu’il est possible de continuer à prétendre que tout va bien»
L’île était donc oubliée par le gouvernement sortant ?
On leur a fait beaucoup de promesses et on ne leur a rien donné. Si de nouvelles maisons avaient été construites, les habitants auraient été logés dans des maisons en béton plus solides. Il y aurait eu moins de destruction, si les écoles avaient été construites avec des toits en béton et il en va de même pour les autres bâtiments, y compris les entrepôts de nourriture.
Nous avons une opposition maigrelette. Les « backbenchers » devraient-ils jouer ce rôle ?
Je suis sûr que les députés « backbenchers » joueront leur rôle sans crainte ni faveur, et qu’ils se tiendront à l’écart des méthodes basses et bon marché utilisées par les députés de l’ancien régime.
Le Premier ministre a présenté un état des lieux catastrophique de notre économie…
Il est regrettable qu’il n’y ait pas de loi, à l’heure actuelle, qui rende criminel ce que les personnes au pouvoir ont fait à l’économie et aux finances de notre pays. Je préfère me concentrer sur la voie à suivre. Le Premier ministre a été très responsable dans son approche. Il a choisi d’être factuel.
Les agences de notation internationales et les investisseurs locaux et étrangers doivent faire confiance à l’île Maurice. Le Premier ministre est désormais à la barre et nous éloignera de la voie de la destruction certaine. Il a choisi de s’entourer d’une équipe d’experts composée d’hommes et de femmes compétents. Le chemin de la reprise économique est en train de s’écrire. Nous devrons le parcourir ensemble.
C’est ensemble, avec la nation, que nous vaincrons. Il n’y a pas de repas gratuit. Certains sont habitués à croire qu’il est possible de continuer à prétendre que tout va bien. Certains ont choisi la voie de la facilité en vivant littéralement au-dessus de leurs moyens, tout en détruisant de manière criminelle notre capacité de résilience construite pendant des décennies.
Pourtant, le gouvernement a offert un 14e mois et a demandé au secteur privé d’en faire autant. Était-ce nécessaire ?
Il y a un exercice d’équilibre à faire entre le besoin si important de prêter attention aux chiffres et aux statistiques, et la nécessité de reconnaître le fait que les gens sont accablés par l’augmentation du coût de la vie. Malheureusement, il n’est pas possible de répondre aux besoins de tout le monde. Je comprends leur frustration. Nous devons maintenant développer notre économie afin de créer de la richesse pour tous.
Les exigences en termes écologiques ne vont-elles pas pousser Rezistans ek Alternativ vers la porte de sortie ?
Non. Pour la simple raison que ces exigences sont aussi celles de chaque partenaire de l’alliance. Il s’agit d’une vision commune partagée par chaque membre de l’alliance.
Le tandem Ramgoolam/Bérenger va-t-il durer cette fois ?
J’ai eu l’occasion de voir deux citoyens mauriciens, Navin Ramgoom et Paul Bérenger. Je les ai vus échanger, discuter, débattre, réfléchir, analyser. J’ai été témoin de leur « complicité ». J’ai vu leur respect mutuel.
Le temps de la politique politicienne est révolu. Je vois maintenant deux personnes qui placent le pays au premier plan. Tous deux traitent chaque membre élu du gouvernement comme faisant partie d’une même équipe. Ils ont inculqué à chacun d’entre nous ce sentiment d’appartenance et de faire passer le pays avant tout.
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger agissent en hommes d’État, pas en chefs de parti. Tels sont les ingrédients de la réussite !
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