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Reynolds Michel, ancien prêtre : «L’Évangile n’est pas neutre, je ne le suis pas non plus»

C’est un homme de conviction, une « grande gueule ». S’étant vu refuser une paroisse dans son île natale, Reynolds Michel n’a jamais dévié de ses convictions, jusqu’à finalement rendre sa soutane de prêtre le jour de la visite du Pape Jean-Paul II à la Réunion en 1982. Rencontre avec cet homme de 90 ans au domicile d’Alain Laridon, un camarade de la lutte militante.

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Un plaisir de revenir de temps en temps au bercail malgré vos 90 ans ?
Je reviens à Maurice pour rencontrer mes amis avec lesquels j’ai partagé de bons souvenirs, car nous épousions une approche progressiste et militante.

Qu’est-ce qui vous a poussé à épouser l’Église et sa Bible ?
Enfant, j’étais engagé, étant né dans une famille chrétienne, où mon papa était aussi engagé. Il n’y a pas eu une influence quelconque, cette vocation de servir l’église était innée en moi. J’ai débuté au séminaire du St-Esprit à Quatre-Bornes pour apprendre le latin, car c’est cette langue ancienne qui était utilisée alors dans l’Église.

Je me méfie des grands leaders charismatiques. Qu’ils se prénomment Grégoire ou autre»

Vous vous êtes rendu en France pour votre noviciat. Racontez-nous…
Il faut savoir qu’il y a une différence entre être un prêtre séculier et un congrégationniste pour devenir spiritain. On me disait alors que ma place n’était pas ici, que je n’avais pas la vocation. On m’a dégagé vers la Réunion. Mgr Langavant m’a bien accueilli là-bas et j’ai suivi le séminaire aux frais de l’État français. D’ailleurs, c’est à la Réunion que j’ai été ordonné prêtre en 1964.

Et votre toute première célébration en tant que prêtre, où et comment cela s’est passé ?
J’ai célébré ma première messe à Marie-Reine-de-la-Paix dans mon pays. Presque tous les dignitaires de l’Évêché étaient présents malgré nos différends profonds.

Vous êtes exclu de l’Église de Maurice, ainsi que de celle de la Réunion. Un prêtre rebelle sur les bords avec une touche gauchiste qui dérangeait la hiérarchie ecclésiastique…
C’était en 1970 à l’île sœur. J’accompagnais des citoyens réunionnais humbles, pauvres, désespérés et cela ne plaisait pas à un député. C’est ainsi qu’on m’a expulsé de la Réunion.

Quel a été le motif principal ?
Le militantisme pour l’être humain. À cette époque, l’Église penchait vers la mouvance de droite, ce qui était lié au contexte de l’époque.

Étiez-vous militant avant d’être prêtre ?
L’Évangile dit d’aller vers les autres, vers les brebis égarées, pour paraphraser le Pape François, qui a aussi une vision allant au-delà de certaines têtes pensantes, mais qui obéit à la lettre ce que dicte l’Évangile. Dans l’Évangile, il y a un parti pris pour les démunis, le lumpenprolétariat, c’est ce que j’ai fait durant mon sacerdoce. Certains disent de moi que je suis un militant. Je suis un prêtre progressiste. Point barre.

J’ai fait le choix de vivre avec Martine et sa fille Anjalay, tout en rendant ma robe de prêtre»

Il y a aussi un sacré épisode : votre passage à Lyon, en France, pour des études sociales. Là-bas également, vous bousculiez les bien-pensants et vous avez été expulsé. Est-ce une seconde nature chez vous que de défier votre hiérarchie ?
Je suis prêtre et mon devoir est d’aider les autres dans la détresse, ou ceux qui cherchent des solutions à leurs problèmes. J’ai été à l’écoute de tous ces immigrés venus en France avec des promesses d’emplois qui n’étaient pas tenues. J’ai été aux côtés de ces immigrés.

Pourrait-on dire de vous, si vous n’êtes pas un gauchiste marxiste, que vous êtes un prêtre engagé ?
L’Évangile n’est pas neutre. Je ne le suis pas non plus.

Revenons à Maurice. On a ici en mémoire votre combat pour que le Mouvement militant mauricien (MMM) ne soit pas étouffé et mis en sourdine, car ses dirigeants, dont Paul Bérenger et Dev Virahsawmy, étaient emprisonnés par une police sous le gouvernement du Parti travailliste. Racontez-nous les raisons de votre action, alors que vous étiez encore prêtre...
Effectivement, j’ai organisé la résistance. J’avais alors choisi de réunir les épouses et camarades des militants du MMM emprisonnés pour faire pression et garder vivante cette flamme militante. J’ai en tête Sheila Bappoo, Geneviève (Marraine), la maman de Paul Bérenger, Ti Vé (Hervé Masson), Alain Laridon, les frères Michel, Sylvio et Élie, entre autres, et Loga, la femme de Dev, chez qui j’avais installé ma tente. Nous militions pour la libération sans condition des prisonniers détenus pour leurs convictions politiques qui allaient à rebrousse-poil de celles prônées par le régime d’alors.

Aviez-vous reçu des appels de détresse, du style SOS urgent, pour organiser la résistance ? Si oui, pourriez-vous nous dire de qui ils provenaient ?
En effet, Paul Bérenger m’avait envoyé un message pour me demander d’organiser une résistance afin de faire pression. J’ai réussi à récolter les morceaux éparpillés du MMM. J’ai rencontré Jean-Claude de l’Estrac, Anerood Jugnauth, Nahaboo, un prêtre catholique, Alain Laridon et d’autres. Ce petit groupe était la caisse de résonance du MMM et de sa lutte.

Après l’emprisonnement des dirigeants du MMM, j’ai été actif provisoire du MMM et j’étais toujours un prêtre à Maurice sans paroisse. J’officiais des messes clandestines»

Aviez-vous été tout autant actif pour que le MMM vous tende les bras ?
Après l’emprisonnement des dirigeants du MMM, j’ai été actif provisoire du MMM et j’étais toujours un prêtre à Maurice sans paroisse. J’officiais des messes clandestines.

Vous étiez très proche de Dev Virahsawmy et, lorsqu’il a décidé de se séparer du MMM pour des raisons philosophiques et autres, et a fondé le MMM socialiste progressiste (MMMSP), vous avez adhéré à ce groupuscule politique. Pourquoi ?
J’ai toujours été proche de Dev Virahsawmy. J’ai connu sa fille alors qu’elle était encore bébé, ainsi que sa femme Loga. Je ne pouvais faire autrement, car pour moi, Dev était avant tout un allié de la lutte des classes, tout comme l’a été et l’est toujours le MMM.

Votre parcours de prêtre sans paroisse est devenu comme une seconde nature pour vous. Bien que vous ayez été interdit à la Réunion comme prêtre « vagabond », vous avez été autorisé à rentrer dans votre pays d’adoption, la Réunion, pour être « Monper ». Que s’est-il passé, un miracle de Dieu ?
C’était en 1981, avec l’avènement de François Mitterrand à la présidence française. Mon dossier a été examiné et mon expulsion a été levée. C’était lui, le miracle.

Tout prêtre aurait dû s’enorgueillir d’avoir la chance de servir l’Église, mais vous, étonnamment, avez décidé de tout plaquer. Vous avez rendu votre robe de prêtre. On n’en compte pas beaucoup à Maurice, hormis, par exemple, Serge Clair. Que s’est-il passé ? Un coup de tête, un ras-le-bol ou autre chose plus humaine, plus personnelle qui vous a titillé les tripes jusqu’à rendre les armes ?
Je suis un homme honnête envers moi-même et envers l’Église. Je ne suis pas un hypocrite. J’ai renoncé à l’institution cléricale et à mon sacerdoce. La principale raison est que j’avais rencontré une jeune femme infirmière prénommée Martine, d’abord à Lyon et ensuite à la Réunion, qui avait une fille au doux prénom d’Anjalay (NdlR : coïncidence, c’est le prénom de la célèbre militante des travailleurs engagés venus de l’Inde, Anjalay Coopen, tuée par balles alors qu’elle était enceinte) J’ai cohabité avec Martine au Port à la Réunion. J’ai deux petits-enfants de 16 et 12 ans. Voilà ma réponse.

Un prêtre qui tombe amoureux, cela nous rappelle le film « Les oiseaux se cachent pour mourir » (roman de 1977 de l’écrivaine australienne Colleen McCullough, immortalisé à l’écran par l’acteur Richard Chamberlain. L’histoire se résume ainsi : L’attachement du père Ralph de Bricassart pour la petite Meghan Cleary se transforme, au fil des ans, en un amour dont ni l’un ni l’autre, malgré leur ambition et efforts pour vivre selon les rôles que leur assigne la société, ne pourra se détourner).
J’ai fait le choix de vivre avec Martine et sa fille Anjalay, tout en rendant ma robe de prêtre. Je ne suis pas mécontent d’avoir servi l’Église durant un quart de siècle, cela a été une belle période.

Je suis pour l’ordination de prêtres femmes. Elles ont leur place au sein de l’Église»

Reynolds Michel, vous êtes un rebelle de chez les rebelles dans l’âme. Cela peut déranger, vous en conviendrez…
Il y a eu 20 ans de conflits entre l’Église et moi. C’est triste de le dire. Mais, maintenant, avec l’âge, j’ai pris du recul, je me suis assagi et je suis serein. Je ne regrette pas mon parcours qui respectait l’Évangile, lequel demande d’aller vers les autres, les plus démunis, les assoiffés d’un bien-être auquel on leur refusait l’accès. Moi, je suis un militant de l’Évangile. J’aime l’humanité avant tout. Taxez-moi de tout ce que vous voulez, je suis comme je suis et rien ne pourra y faire.

Ressentez-vous de la rancune envers les Églises mauricienne et réunionnaise que vous avez partiellement servies, alors que votre vocation première était d’accomplir votre tâche de serviteur du Seigneur en toute plénitude ?
Certaines choses passent difficilement et sont contraires aux messages évangéliques. Personnellement, je ne ressens aucune rancune envers l’Église et sa hiérarchie. Cependant, le refus de m’octroyer une paroisse dans mon pays natal demeure un tronc dans ma gorge. C’est une démarche incompréhensible.

Est-ce encore une injustice envers vous ?
C’est une injustice qui mérite réparation.

Si l’on vous demandait de jeter un regard sans œillères sur l’Église de nos jours, que diriez-vous ?
Je dirais ceci : l’Église de Maurice et celle de la Réunion sont peu engagées dans le synode. Que dit le synode ? Il demande de faire des rencontres, de parler des problèmes sociaux quotidiens et autres. Ce qui ne se fait pas.

Une question liée au genre : les femmes peuvent-elles porter la robe de prêtre au sein de l’Église ?
Je suis pour l’ordination de prêtres femmes. Elles ont pleinement leur place au sein de l’Église. Il ne devrait y avoir aucun obstacle à la prêtrise pour les femmes ni au diaconat. Cela permettrait de créer des ministères féminins.

Et des prêtres mariés ?
Je suis pour que les prêtres se marient, dépendant de leur liberté de choix. 

Il y a eu 20 ans de conflits entre l’Église et moi. Maintenant, avec l’âge, j’ai pris du recul»

Est-ce pour mettre fin à la pédophilie au sein de l’Église de Rome que le Pape François dénonce à tous vents ?
Il faut de la diversité. Je suis contre une hiérarchie entre prêtres hommes et prêtres femmes. Il faut privilégier la collégialité. Pas de maître ni de Seigneur. Cette histoire est révolue, effacée. Mise aux oubliettes.

Vous êtes un homme rebelle de nature. Il y a un autre qui secoue l’Évêché : le père Jocelyn Grégoire. Il a organisé un concert dit « spirituel », mais payant, et arborant un logo en forme de soleil et la couleur orange, nous ramenant au Sun Trust. L’Évêché a tiqué, pour dire le moins… Vous en pensez quoi ?
Je ne connais pas personnellement le père Jocelyn Grégoire. J’ai appris qu’il réunit des foules immenses. Il pousse les fervents à s’engager selon les dires de la Bible. J’ai toujours été contre une consigne de vote d’un prêtre du perchoir.

Et si c’était le cas, par exemple, pour le père Grégoire ?
Je le répète, l’Évangile n’est pas neutre. On n’a pas besoin d’un symbole pour faire comprendre aux fidèles de se mettre debout. Je me méfie des grands leaders charismatiques. Qu’ils se prénomment Grégoire ou autre.

 

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