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Réouverture d’enquêtes criminelles : jusqu’à preuve du contraire

L’affidavit juré par Vishal Shibchurn (à g.) relance l’enquête sur la mort de Soopramanien Kistnen (à dr.).

L’affidavit de Vishal Shibchurn relance l’enquête sur la mort de Soopramanien Kistnen, dont le corps calciné a été retrouvé dans un champ de canne à Telfair, le 18 octobre 2020. Ce développement soulève des questions sur les critères et implications juridiques de la réouverture d’affaires criminelles à Maurice. 

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Les critères

Sur quels critères peut-on réclamer la réouverture d’une affaire criminelle ? À cette question, Me Shameer Hussenbocus répond : « Même après qu’une enquête a été bouclée et que le dossier a été envoyé au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), rien n’empêche celui-ci d’examiner les preuves qui lui ont été communiquées pour évaluer s’il faut aller de l’avant avec la poursuite ou retenir une accusation alternative. » Si l’affaire principale n’a pas encore été déposée, le bureau du DPP peut renvoyer l’affaire à la police pour une enquête plus approfondie sur un aspect particulier.

Les implications 

Des représentations peuvent être faites au bureau du DPP pour l’examen de preuves qui n’étaient peut-être pas disponibles au moment de l’enquête. Ces preuves doivent être avant tout « pertinentes » pour l’affaire, souligne l’avocat. Il se peut aussi que ces preuves aient été négligées, mais qu’elles soient pertinentes pour prouver l’innocence d’un accusé. « Le DPP a le pouvoir de déposer alors un arrêt de poursuite, ce qu’on appelle communément une discontinuance of proceedings, qui mettra effectivement fin au procès. »

Les lacunes du système

« Cela fait plus de dix ans que la loi a été modifiée pour permettre à une personne condamnée de demander un nouveau procès en raison de preuves nouvelles et convaincantes, et je ne connais pas un seul cas qui ait été renvoyé à la Cour suprême par la Commission des droits de l’homme en vertu de cette disposition de la loi », indique Me Shameer Hussenbocus.

Il estime que l’accessibilité est une préoccupation majeure. Le seuil requis pour passer le test des « preuves nouvelles et convaincantes » est élevé et il est difficile pour les personnes condamnées, selon lui, et qui clament leur innocence, de faire une demande à la Commission des droits de l’homme sans un soutien juridique adéquat.

Pour l’avocat, d’autres amendements à la loi sont nécessaires concernant le seuil requis pour la réouverture d’une affaire lorsque de nouvelles preuves apparaissent. Cela permettrait, selon lui, d’examiner plus de cas. Il plaide également pour des structures de soutien en place pour aider une personne qui dit avoir été victime d’une erreur judiciaire : « Très souvent, ces personnes n’ont plus les moyens de se lancer dans une bataille juridique et dépendent uniquement des Welfare officers de la prison ou des avocats pro bono pour faire des représentations en leur nom. »

Et après une condamnation ?

Les implications de nouvelles preuves surgissant après une condamnation sont complexes et dépendent de chaque situation. Si une nouvelle preuve émerge après une condamnation, mais avant qu’un appel ne soit jugé, l’avocat de la défense peut demander à la Cour suprême de la prendre en considération. Pour qu’une telle demande soit acceptée, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • La preuve doit être nouvelle et n’avoir pu être présentée lors du procès initial.
  • Elle doit être pertinente par rapport aux faits en cause.
  • Elle doit être crédible et susceptible de convaincre un tribunal.
  • La cour doit évaluer si cette nouvelle preuve, si elle avait été présentée au procès, aurait pu raisonnablement semer un doute sur la culpabilité de l’accusé.

L’ancien ASP Hector Tuyau : « Pas de prescription pour enquêter dans une affaire criminelle »

Une enquête policière n’est jamais vraiment classée, explique l’ancien assistant surintendant de police (ASP) Hector Tuyau. « Il se peut qu’elle soit mise en suspens en attendant de nouveaux éléments concrets. Rien n’empêche la police de reprendre l’enquête une fois de nouvelles preuves découvertes. D’autant qu’à Maurice, il n’y a pas de prescription pour enquêter sur un cas », dit-il. 

Ayant passé 42 ans au sein de la police, cet ancien membre de l’Anti-Drug and Smuggling Unit a aussi été chef enquêteur de la commission d’enquête sur le trafic de drogue. Évoquant la possibilité de la réouverture d’une affaire criminelle, Hector Tuyau avance que si un prévenu fait déjà l’objet d’une accusation formelle et que la police obtient, par la suite, de nouveaux éléments, elle peut écrire au Directeur des poursuites publiques (DPP) pour l’en informer et déterminer la marche à suivre. 

Il faut cependant comprendre la nature des nouveaux éléments, qui peuvent, entre autres, prendre la forme de nouvelles preuves ADN. Il s’agira alors, dans ce cas, de trouver le profil ADN qui correspond. Il fait ressortir qu’il y a eu plusieurs cas où la police a « rouvert une enquête, bien que ces affaires ne soient pas toutes médiatisées ».

Erreur judiciaire

La situation est différente lorsqu’une condamnation est définitive. « Ce n’est que depuis 2013, à une époque où l’affaire L’Amicale est devenue largement perçue comme un cas d’erreur judiciaire, que la loi a été amendée pour permettre à une personne condamnée de demander un nouveau procès en raison de ‘preuves nouvelles et convaincantes’. » Grâce à cette réforme, il est possible de demander à la Commission des droits humains de rouvrir un dossier pénal. Cette demande peut être introduite par la personne condamnée ou par son représentant légal.

L’affaire L’Amicale

En 2018, après de longues procédures judiciaires, les quatre condamnés dans l’affaire l’Amicale – les frères Sheik Imran et Khaleeloudeen Sumodhee, ainsi qu’Abdool Naseeb Keramuth et Muhammad Shafiq Nawoor – ont été libérés après avoir passé 19 ans en prison. Ils ont bénéficié d’une réduction de peine, ayant obtenu la grâce présidentielle. Ils avaient été reconnus coupables d’avoir mis le feu à la maison de jeu l’Amicale, située à Port-Louis, en mai 1999. L’incendie avait coûté la vie à sept personnes, dont une femme enceinte et son enfant. Les condamnés avaient épuisé les recours d’appel. En 2013, Me Rama Valayden et un panel d’avocats publient le rapport Wrongly Convicted dédié à l’affaire l’Amicale, qui clame l’innocence des condamnés, tout en montrant du doigt l’enquête menée par la police.

Défis juridiques

La réouverture d’une affaire pénale, explique l’homme de loi, soulève plusieurs défis. Le principal est « le passage du temps entre la date du délit présumé et celle du tout nouveau procès. Les témoins sont-ils toujours disponibles ? Sera-t-il possible d’avoir un procès équitable au sens de la Constitution ? Autant de critères à prendre en considération », souligne Me Shameer Hussenbocus.

 

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