Le journaliste, écrivain et ancien rédacteur en chef de l’express, Yvan Martial, jette un œil critique sur l’actualité politique et les élections générales à venir. Il commente les alliances et mésalliances et remet les pendules à l’heure concernant les priorités du pays.
Les négociations entre le PTr/MMM/ND et Rezistans ek Alternativ (ReA) sont arrivées à un stade crucial. Pensez-vous que l’entrée de ReA dans cette alliance est une bonne opération pour l’alliance PTr/MMM/ND ?
« Arrivées à un stade crucial » ? C’est vous qui le dites. « Initiales » conviendrait mieux. A lire nos derniers journaux, surtout ceux pas encore mercenaires, ces négociations butent sur les deux ou trois circonscriptions à offrir à ReA. Beggars are not choosers, dit-on en Perfide Albion. ReA devra accepter ce qu’on veut bien lui allouer. Il s’agira probablement des circonscriptions les plus défavorables au PTr/MMM. Les Nouveaux Démocrates -cela signifie-t-il qu’ils ne l’étaient pas auparavant ?- ne sont pas logés à meilleure enseigne. Laissons au PTr/MMM dire si ce concubinage de dernière heure lui sera ou pas profitable. Tout à gagner pour ReA. Mais Timeo Danaos surtout quand ils offrent des cadeaux empoisonnés. Conseil aussi valable pour tout solliciteur d’Etat, surtout religieux. Je n’y vois aucun avantage pour la loco et son wagon principal. Je subodore en échange pas mal de désagréments. Mais que puis-je s’ils veulent compliquer encore leur reconquête du Pouvoir. A moins que l’appréhension de devoir de nouveau tenir, entre leurs menottes de chômeur patenté, un poêlon trop chaud les incite à anticiper une porte de sortie sincère et honorable. Aurais-je été leader politique que j’aurais au préalable cherché l’agrément, enthousiaste de préférence, des instances du parti telles que le Politburo, comité central, assemblée de délégués, et surtout l’assentiment des circonscriptions devant accueillir ces militants de la 11e heure, y compris des militants peut-être coaltar devant se sacrifier pour céder la place à nouveaux venus. Nos dirigeants politiques adorent gratt lé dos malhère. Vous connaissez l’histoire -elle pourrait être du regretté Ti-Vé Masson- du tribun que partisans portent en triomphe à l’Hôtel du Gouvernement car la papaye-pouvoir est mûre. Il réclame au préalable un tour du Champ de Mars, pour s’apercevoir, au retour, qu’un plus malin s’est déjà emparé du fruit de la victoire. Ne jamais prendre des rêves de victoire pour la réalité d’une nouvelle traversée de désert.
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Et du point de vue de ReA, est-ce que c’est une bonne chose de faire équipe avec Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ?
J’ai beaucoup d’estime pour le courage et la ténacité de ReA, sans pouvoir partager toutes leurs prises de position. Noble est la cause de la sauvegarde de Dame Nature y compris la protection de nos derniers marécages. A ce propos, il faut savoir qu’avant l’Indépendance, la zone côtière entre Flic-en-Flac et Calodyne mais également l’arrière-pays de Pointe d’Esny et ailleurs étaient des zones marécageuses. L’eau souterraine y affleure à quelques pieds du sol. Il suffit d’une pluie suffisamment abondante pour que ces terres, alors agricoles ou en friche, soient inondées parfois pendant des mois. Ce fut le cas pendant et après les passages du cyclone Hyacinthe en 1980. Ces terres sont désormais largement bétonnées et bitumées avec les inondations répétitives que l’on connaît. Défendre Dame Nature ? Oui mais sans vouer aux gémonies les entrepreneurs, risquant gros pour créer des emplois productifs. Même en supposant la plus large victoire du PTr-MMM-ND-ReA et au moins un ministère au ReA, je ne le vois pas, demain, empêcher Navin et Popaul de poursuivre ce développement foncier criminel. Anticipons d’inévitables retours d’ascenseur. Je ne donne pas neuf mois au ReA pour claquer la porte, retrouver sa liberté de penser autrement mais aussi sa solitude, son insignifiance, qui sont aussi les nôtres.
Du côté du gouvernement, on est en pleins pourparlers entre le MSM et ses partenaires. Accommoder le PMSD ne semble pas aussi simple que ça. Est-ce que c’était prévisible ?
Accommoder le PMSD ne pose aucun problème. Ce parti vomit allègrement sur le MSM depuis son coup d’éclat, sauvant heureusement la fonction constitutionnelle du DPP. Avec quelques députés, ce parti jouit longtemps du statut de chef d’opposition. Soudain et pour des raisons que lui seul connaît, le voilà qui saisit le bol de ses vomissures et se met à les siroter avec gourmandise. La vitesse avec laquelle nos transfuges se transforment en encensoir, relève du stupéfiant. De quoi penser à Clovis, premier roi, non des Créoles, mais des Francs. « Courbe le gland, fier gallinacé. Brûle ce que tu as adoré et adore ce que tu as brûlé. »
Pensez-vous que l’arrivée du PMSD est un renfort de taille pour l’alliance gouvernementale ?
« L’alliance » gouvernementale est un grand mot. Parlons plutôt du MSM. La loco, même poussive, nous intéresse davantage que les wagons surannés qu’elle traîne péniblement. Valeur du jour, rien ne peut, hélas, empêcher le MSM de conserver le Pouvoir, y compris avec une majorité des trois-quarts, l’antichambre d’une éventuelle dictature, peut-être irréversible. Il a amplement couillonné notre population, en jouant au Père Noël, avec l’argent siphonné aux contribuables et consommateurs. Nous sommes devenus des mendiants couillons ne sachant que bêler « Merci papa ! Merci mama ! » L’argent ainsi amassé lui permet même d’acheter la conscience de chefs religieux. Au nom du pèze et du fisc… Nous méritons amplement notre gouvernement MSM. Nous allons le réélire car nous sommes irrémédiablement infantilisés. Toute défaite du MSM aux prochaines Législatives relèverait du miracle. Mais il est imprudent de croire au miracle en politique.
L’éventuelle arrivée du PMSD dans la bouteille Fanta n’aura rien d’effervescent. C’est celle d’un coq en pâte à qui on réserve tapis rouges et meilleures places. Hormis la dizaine de rodèrboutt pouvant être éventuellement privés d’un ticket électoral, les partisans orange devront avaler ce cari coq si telle est la volonté culinaire. La margoze sera plus amère pour les militants transfuges ayant dû avaler, séance parlementaire après séance parlementaire, les coups d’ergot émoussé de l’héritier de Gaëtan Duval, dont désormais il porte fièrement le patronyme. Nous ne sommes plus, il est vrai, en mars 1995. Les colonnes de Week-end en font foi. Compatissons avec les Collendavelloo, Obeegadoo et Ganoo, devant se contenter d’être de simples figurants, céder le poste de vice-Premier ministre et le Front Bench à cet invité de dernière heure. Une question me turlupine pourtant : Les 10 tickets plus ou moins promis au PMSD comprennent-ils aussi Rodrigues ou seulement l’île Maurice ? Mais passons plutôt du coq à l’âne…
Est-ce que les « petits partis » joueront le rôle d’arbitre cette fois-ci, voire pourront créer la surprise quand on prend en compte que les récents sondages ne sont pas tendres envers la « vieille garde » politique ?
Les petits partis n’ont jamais joué le rôle d’arbitre. Notre obsession du gaspillage des votes inutiles fait que, scrutin après scrutin, nous nous croyons tenus de plébisciter les bananiers que nous imposent nos principales dynasties électorales. Petits partis égalent toujours …figuration. Mais c’est quand même plus noble que de mendier un ticket électoral en vendant sa conscience. J’ai dit l’estime que je porte à ReA. Je pourrais en dire autant pour Lalit de Lindsey Collen, le Mouvement qu’anime Jack Bizlall et le Think Mauritius de Fayzal Jeerooburkhan. Je ne partage pas forcément leurs idées mais ils ont le mérite de se battre inlassablement pour faire entendre leur voix, pour assainir l’atmosphère politique que nous devons respirer. Demain, si Dieu veut, des Mauriciens seront assez sages pour comprendre qu’ils doivent investir pour que subsiste, même à perte, un journal d’opinion, assez respectueux de la liberté de la presse pour publier des opinions contraires aux siennes. Nos derniers journaux boudent volontiers les points de vue bimensuels de Democracy Watch. Ils commentent pourtant la brûlante l’actualité. Mais ils dérangent à commencer par les salles de rédaction. Elles se gargarisent pourtant de Voltaire disant : « Je ne partage pas votre point de vue mais je ferai l’impossible pour la publier ». Adieu liberté de la presse. Adieu liberté de penser autrement.
Il n’y a pas que les élections, leurs vainqueurs et leurs perdants. Il n’y a pas que l’actualité politique surtout parlementaire tellement médiocre. Que dire de ces conférences de presse partisanes où l’on nous inflige des porte-parole incapables de lire correctement un discours préparé par quelqu'un d'autre pour pallier leur inaptitude. Ils sont désespérément risibles. Surtout quand ils roulent de gros yeux effarés pour nous faire croire que, sans leur jactance éraillée, la patrie serait en danger.
Les sondages vivent ce que vivent les sondages : l’espace d’une semaine. Ils flétrissent et tombent dans l’oubli. Il y a surtout leur bon usage. Un sondage favorable est une malédiction. Il amollit la combativité des militants, se voyant déjà gagner dans un fauteuil. Tout autre est celui défavorable. Il vaut une belle gueulante de la part de l’adjudant-chef. Ainsi cravachés, les militants forcent le tempo et dépassent celui s’endormant sur ses lauriers. Il y a aussi le sondage défavorable qui démotive les troupes et les incitent à changer de camp. Il n’y a jamais de mauvais militants. Il y a seulement de piètres leaders politiques. Le bon votant est celui qui vote plutôt pour un perdant, ne serait-ce que pour que le gagnant perde de sa superbe. Je ne suis pas un bon votant.
Comment voyez-vous l'évolution du paysage politique mauricien depuis les dernières élections générales ?
Sur une piste glissante copieusement savonnée. Quoi espérer de mieux en sachant que nos partis sont incapables de nous offrir un journal d’opinion même hebdomadaire. Ce ne sont pourtant pas d’anciens ministres qui manquent en leur sein. Editorialiste : espèce en voie d’extinction. Il en va de même pour nos municipalités, conseils de district, ministères de la Culture, des Sports, de l’Education. Il faut savoir investir même à perte dans la publication des idées. La pensée mauricienne doit se contenter des pages Forum de nos derniers journaux.
Quel rôle jouent les jeunes électeurs dans cette élection ? Sentez-vous un intérêt de leur part ? Y a-t-il une différence notable par rapport aux précédentes élections ?
Pourquoi demander à un octogénaire ce que pensent les jeunes ? Posez leur cette question. Je lirais avec intérêt le compte rendu de leurs propos. Attention ! Ils sont capables de répondre que la politique et ses élections sont affaire de croulants, par croulants, pour croulants. Vérifiez l’âge vénérable de nos dirigeants politiques. Je répète que je peux rapidement créer les ailes jeunes et féminines les plus militantes dans n’importe quel parti. Mais à une seule condition : que leurs membres soient libres de désigner y compris sur une base régionale (Port-Louis, Nord, Est, Sud, Ouest, Hautes et Basses Plaines-Wilhems) et comme bon leur semble, sans interférence aucune de la direction, un nombre agréé préalablement de candidats et de candidates. Que les Grands Manitous délèguent une partie des pouvoirs indûment accaparés et de jeunes militants et militantes seront aussi combatifs que les coaltar des glorieuses années de braise 1970. Mais cela relève déjà d’un précédent millénaire.
Quel est le principal enjeu de cette élection selon vous ?
Mauvaise question. M’auriez-vous demandé de désigner l’enjeu le plus vil que j’aurais pu m’étendre à loisir. Le seul enjeu devant nous intéresser est le pays Maurice que nous aurons à léguer aux enfants de nos enfants. Sera-t-il préférable à celui que nous avons hérité de nos ancêtres ? Heureux ceux pouvant répondre à cette question sans trembler. Mais si de sombres nuages menacent les années à venir, le temps le plus ensoleillé illumine notre glorieuse histoire politique et démocratique. Une vie, la plus exaltante qui soit, ne suffirait pas pour tout apprendre des vertus de nos ancêtres. Qui regarde le soleil ne voit pas l’ombre. Un transfuge notoire m’a d’ailleurs confié : il lui suffit de regarder le MSM, pour oublier son ancienne appartenance au MMM.
Comment le financement politique influencera-t-il cette campagne électorale ? Quid du “money politics” ?
Soyons sans crainte. Les milliards pour les uns, millions pour d’autres, milliers de roupies pour moins fortunés, sont prêts à être gaspillés. Les lecteurs m’absoudront, s’ils sont cléments et miséricordieux, mais l’investissement, même petit, en politique partisane la plus abjecte ne saurait m’intéresser. Pas d’alchimie possible. L’argent, surtout sale, comme le vil plomb médiéval, ne saurait se transformer en or.
Quels sont les principaux défis auxquels le parti au pouvoir est confronté pour conserver sa majorité ?
Acheter le plus de consciences possibles. Celles de religieux, de journalistes, de légistes, de préférence. Inventer de nouveaux corps paraétatiques pour avoir davantage de prébendes à distribuer. Pour les marchands de tapis du secteur privé, il suffit de connaître le prix de chacun. Mais ce bazar ne saurait m’intéresser.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, pensez-vous que les médias « traditionnels » jouent encore un rôle important dans l'information et la perception des électeurs cette fois-ci ?
Il nous reste trois quotidiens et une poignée d’hebdomadaires dans nos derniers kiosques à journaux. L’opinion publique mauricienne est une peau de chagrin. Nos partis politiques sont réduits à offrir pitance et pire pour peupler de modestes réunions privées plutôt nocturnes. Les réseaux sociaux favorisent la masturbationPintellectuelle. Chacun dans son coin. Le correspondant habite l’Alaska mais plus la maison d’à côté. A l’encontre de l’ultime recommandation du sage Maurice Rault, la presse écrite mauricienne réussit l’exploit d’empêcher un nouveau Rémy Ollier de créer une nouvelle Sentinelle.
Le religieux semble, une nouvelle fois, prendre une place dans ces élections générales. Pensez-vous que cela pourra encore être déterminant au moment du vote ?
Sur le trottoir, des putains se disputent la meilleure place pour se prévaloir de la meilleure position et séduire la clientèle avant la concurrence. Elles deviennent le rôle modèle de certains et non des moindres. Espérer un boutte d’un quelconque gouvernement est déjà un péché mortel. L’essentiel en tout lieu de culte n’est jamais la somptuosité de l’édifice mais la ferveur agissante, caritative de préférence, des fidèles. Nul ne peut servir à la fois Dieu et la Politique, sans trahir celui-là pour favoriser celui-ci.
Avec les réseaux sociaux, la diaspora mauricienne est plus active, mais ne peut toujours pas voter. Pensez-vous qu’il soit temps d’amender la loi pour permettre à cette diaspora, riche de plusieurs dizaines de milliers de Mauriciens, de participer aux élections générales ?
Cela se fera quand notre classe politique cessera de considérer les membres de notre précieuse diaspora comme des traitres à notre patrie. Donnons le droit de vote à nos sœurs et frères de la diaspora et ils investiront des milliards dans l’économie de leur pays natal ou ancestral.
Est-ce que cela ne risquerait pas de bouleverser totalement les résultats à partir du moment où les Mauriciens de l’étranger pourront participer ?
Quand les Mauriciens de la diaspora voteront, nous nous apercevrons que le résultat de leurs suffrages sera à quelque chose près identique à celui de l’électorat local.
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