
Dans ces collèges, la discipline est de fer, digne d’une caserne. Gare à ceux qui oseraient défier les règles... Ici, pas de place pour le bullying, les vols ou autres dérives : ces établissements semblent imperméables à ces fléaux. Plongée au cœur de ces collèges dits « gaulois ».
Il est 7 h 15. La pluie tambourine sans relâche en ce vendredi matin. Les élèves, du Grade 7 au Grade 13, affluent d’un pas tranquille, mais déterminé. Sac à dos, chemise d’une blancheur éclatante, short bleu marine réglementaire, baskets – noires ou blanches, conformément aux règles –, ils progressent avec assurance.
Bienvenue au collège Imperial, niché à Forest-Side. L’un de ces rares établissements où la discipline est érigée en un art de vivre. Où l’ordre et la rigueur forgent le quotidien des élèves. Derrière ces murs, le harcèlement, le vol et autres dérives semblent ne pas avoir leur place.
Et pourtant, le constat national fait froid dans le dos : 147 cas officiels de harcèlement scolaire ont été recensés depuis le début de l’année. Un chiffre qui ne dévoile qu’une infime partie de la réalité, tant d’incidents restant tapis dans l’ombre. Le harcèlement s’insinue partout, du primaire au pré-primaire. Aux agressions psychologiques et physiques s’ajoutent les vols insidieux : portables volatilisés, argent subtilisé, et même des uniformes dérobés sans vergogne dans les sacs d’élèves.
La situation inquiète le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, qui a exprimé au Parlement, le mardi 18 mars dernier, sa ferme intention d’y apporter des solutions. Mais au cœur de ce tableau préoccupant, des îlots de résistance émergent, font école. Des établissements qui érigent de véritables remparts contre ces dérives. Tels des villages gaulois, ils défient les fléaux qui rongent sournoisement d’autres pans du système éducatif.
Dès le seuil du collège Imperial franchi, l’atmosphère est palpable. Un Discipline Master, silhouette impeccable en costume-cravate, observe l’arrivée avec une attention soutenue. Impossible de passer sans un contrôle rigoureux. À notre approche, il interroge d’une voix posée : « Bonjour Monsieur, où vous rendez-vous ? Avez-vous un enfant scolarisé ici ? » Face à notre réponse, il exige une pièce d’identité, consigne méticuleusement notre présence et contacte la réception. Sans laissez-passer, point d’entrée. Ici, la règle est claire : tolérance zéro pour les intrusions.
Le bâtiment bleu et blanc impose le respect. Aucune trace d’humidité ni de moisissure ne vient ternir sa façade, malgré l’air ambiant saturé d’eau. Les couloirs sont sous une surveillance discrète mais constante des Discipline Masters. Même pour se rendre aux toilettes, une carte numérique est nécessaire. Gare aux élèves qui seraient tentés d’y griller une cigarette !
À l’intérieur du collège, les conversations superflues sont proscrites : ceux qui arrivent en avance rejoignent directement leur salle de classe. Les retardataires, eux, doivent justifier leur manquement à la ponctualité, sous peine d’être renvoyés chez eux.
Les enseignants eux-mêmes se plient à un code vestimentaire strict : pantalon, chemise et cravate de rigueur pour les hommes, jeans et polos interdits. Pour les femmes, une tenue sobre et élégante, toute extravagance étant proscrite.
Nous cultivons une discipline et un mode de vie en harmonie avec l’esprit de l’éducation. Notre priorité est d’inculquer à nos élèves le respect»
Collège ou caserne ? La question s’impose naturellement en observant le fonctionnement de l’établissement. « Nous cultivons une discipline et un mode de vie en parfaite harmonie avec l’esprit de l’éducation », explique avec conviction le directeur, Rakesh Boodhoo. « Notre priorité est d’inculquer à nos élèves le respect – de soi et des autres. C’est notre devise, ancrée dans l’ADN de l’établissement depuis 1966. »
La discipline imprègne, en effet, chaque aspect de la vie scolaire. Le règlement intérieur, dont Rakesh Boodhoo nous tend une copie, ne laisse place à aucune ambiguïté : ponctualité impérative – tout retard est sanctionné ; uniforme et baskets aux couleurs de l’établissement obligatoires – sans la moindre exception ; tolérance zéro pour les infractions, même mineures – « rustication » pour les fautes légères, expulsion immédiate pour les cas graves ; piercings interdits, cheveux courts exigés, moustache et barbe proscrites ; téléphones portables et smartwatches strictement prohibés. Pour le directeur, soit l’élève se plie aux règlements, soit il n’a pas sa place au collège.
À 8 h 15 précises, l’assemblée générale des élèves de School Certificate (SC) et de Higher School Certificate (HSC) se déroule dans le grand hall. Face à eux, les professeurs forment une ligne impeccable, puis le directeur, dominant la scène depuis son estrade. Tels des scouts au garde-à-vous ou des militaires en rang, les élèves se tiennent immobiles, absorbant la réprimande du jour : « Le Sports Day s’est bien déroulé, mais vous avez laissé vos déchets partout. On nous l’a signalé. Est-ce ainsi que vous vous comportez en dehors du collège ? Est-ce cela que nous vous enseignons ? Alors, la prochaine fois, faites attention comme vous le faites ici au collège. » Un silence pesant s’installe. Puis, enfin, le « Stand at ease », suivi du signal : « Rompez. »
Et le constat est éloquent : aucun papier ne traîne, aucune bouteille en plastique n’est abandonnée, le collège est d’une propreté irréprochable. « Nous ancrons profondément dans l’esprit de nos élèves le respect de l’environnement et d’autrui », insiste le directeur.
Derrière cette rigueur quasi militaire, des résultats scolaires impressionnants : 95 % de réussite au SC et 81 % au HSC en 2024. Pourtant, Rakesh Boodhoo ne cède pas à l’autosatisfaction. « Nous pouvons encore progresser, nos professeurs se dévouent corps et âme. » Avec ses 55 classes et près de 300 nouvelles admissions chaque année, l’Imperial College jouit d’une forte attractivité.
Charles, Ratish et Pranav, trois élèves en Upper VI dans la filière scientifique, partagent un avis unanime : la discipline est fondamentale. « J’habite dans le Sud et sans portable, j’ai redécouvert le plaisir de discuter avec d’autres élèves dans le bus. C’est une bien meilleure chose », confie Charles, fraîchement diplômé du DELF de l’Institut français de Maurice. Ses camarades acquiescent. « Le téléphone crée une distance entre les gens. En cas d’urgence, nous avons accès au téléphone du bureau, où tous les appels sont enregistrés », ajoute Pranav, qui salue, dans la foulée, la direction du collège Imperial : « Nous sommes encadrés par une direction forte. »
Ici, on ne badine pas avec les règles. Quiconque s’y aventure risque de le regretter amèrement. Et les conséquences ne sont pas minces.
Hindu Girls : respect, discipline et éthique en maîtres mots

Sans discipline, il n’y a pas d’école. Arvin Bissessur, Deputy Director du collège Hindu Girls, en est convaincu. Au sein de l’établissement, le protocole est clair : les élèves doivent respecter les règlements, sans exception.
Indiscipline et harcèlement scolaire ? La direction est pleinement consciente de cette problématique grandissante. Face aux cas de vols dans les établissements, Arvin Bissessur est catégorique : « Tout vol est un acte grave et inacceptable dans notre collège. »
Il insiste : si le collège Hindu Girls offre un cadre propice à l’apprentissage et au développement personnel des élèves, l’éducation ne se limite pas aux seules connaissances académiques. Elle repose aussi sur des valeurs essentielles telles que le respect, la discipline et l’éthique. Ce principe, rappelle-t-il, ne concerne pas uniquement les enseignants : « Nous instaurons des règles strictes, mais les parents ont un rôle clé à jouer en dehors du cadre scolaire. Il est primordial qu’ils suivent de près le comportement de leurs enfants. »
D’ailleurs, souligne-t-il, l’école joue un rôle éducatif fondamental, mais elle ne peut se substituer aux parents. « Nous sommes là pour accompagner, encadrer et transmettre un savoir, mais l’éducation de base et les valeurs doivent être inculquées en priorité au sein du foyer familial. »
Arvin Bissessur s’inquiète du nombre croissant d’enfants laissés sans encadrement parental. « L’absence de suivi et de discipline à la maison favorise des comportements déviants, qui se répercutent ensuite à l’école », observe-t-il. Ainsi, renforcer la discipline à la maison est essentiel pour que l’élève comprenne que le respect des règles dépasse le cadre scolaire : il est une exigence sociale.
Questions à…Jacques Malié, pédagogue : «On préfère ne rien voir»
Les chiffres du bullying donnés par le ministre de l’Éducation au Parlement, mardi dernier, lors de la Private Notice Question (PNQ), interpellent : 147 cas depuis la rentrée en janvier 2025. Alarmant ou le sommet de l’iceberg ?
La situation est alarmante, non seulement par le nombre officiel, mais aussi par la gravité des offenses comme en témoignent les images sur les réseaux sociaux. Ces cas d’indiscipline ne sont pas restreints dans la cour de l’école, mais débordent sur les gares et ailleurs sans aucune gêne.
Ce qui frappe, c’est cette dérive vers la violence verbale et physique, et l’absence de respect envers les autres. On saccage et on met le feu. Les causes sont multiples et je ne citerais que celles-là : l’absence d’appartenance envers l’institution, le manque d’adhérence aux valeurs jadis prônées, l’oisiveté due au manque de loisirs sains et de distractions, sans parler de la dépendance aux portables et réseaux sociaux.
L’on constate aussi un manque de discipline. Serait-ce la faute à une direction moins sévère ?
Les membres du personnel et même la direction font preuve d’indifférence et d’immobilisme. On préfère ne rien voir. L’imposition des règles importe à tous. L’école est gérée de façon collégiale et le premier responsable est le professeur en classe. Il est important de faire preuve de fermeté même si toute décision finale revient à la direction.
Il nous faut instaurer un climat serein et cela passe par des mesures de fermeté et pas seulement préventives»
Qu’en est-il de la responsabilité des parents quant au comportement de leurs enfants ?
Que ce soit l’éducateur, les parents et l’élève, ils sont partenaires et l’éducation commence à la maison. Les parents ont tendance à voir dans l’école une sorte de garderie. Ils demandent d’appliquer de la discipline et quand il s’agit de leurs propres enfants, ils jugent que c’est trop sévère.
Quelles seraient des solutions à court et moyen termes ?
Le ministre a annoncé une série de mesures dont certaines existent déjà. Mais il semblerait qu’on ait peur, qu’on tergiverse pour prendre des mesures punitives, peur des représailles. Il nous faut instaurer un climat serein et cela passe par des mesures de fermeté et pas seulement préventives.
Terry Chan Lam, recteur et Manager du london college : «Nous ne tolérons pas le manque de respect»

Harold Chan, fondateur du London College, Lam était réputé pour sa rigueur. Son successeur perpétue cette exigence en matière de discipline. Au collège, le respect des règles et du bon comportement est une priorité absolue.
Les chiffres de bullying révélés par le ministre de l’Éducation au Parlement sont effrayants. Comment expliquer cette situation ?
Le nombre de cas de bullying dans les écoles a définitivement augmenté ces dernières années. Cela pourrait s’expliquer par l’indiscipline parmi les élèves, entre les camarades. Parfois cela se passe dans l’enceinte de l’école, et parfois à travers les réseaux sociaux.
Au collège, nous insistons sur le respect de soi et des autres pendant l’assemblée du matin ou pendant le « grade period ». C’est une valeur que nous prônons au collège London.
L’indiscipline scolaire grandissante serait-elle due à une direction qui manquerait de fermeté ?
On ne peut dire que la direction est moins sévère. Il faut voir les choses dans la globalité. Aujourd’hui, les enfants connaissent leurs droits mais pas leurs devoirs. Il est parfois plus difficile de les faire se plier aux règlements.
Élèves, enseignants, administration... tous sont concernés par le harcèlement. Avant que les choses ne dégénèrent, il faut pouvoir en parler, notamment entre la victime et son(ses) « bourreau(x) ». Si cela n’aboutit à rien, il faut impérativement se tourner vers un adulte pour chercher de l’aide, qu’il s’agisse d’un prof, du « section leader », d’un membre de l’administration ou de la famille. L’enfant qui se sent menacé ne doit pas rester dans son coin à subir sans rien dire.
Au collège, si un cas de bullying est rapporté, nous essayons d’abord de trouver un terrain d’entente entre les deux parties concernées. En général, cela fonctionne, mais dans le cas contraire, nous convoquons les parents.
Auparavant, la ponctualité était respectée, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui. Y a-t-il un laisser-aller ?
Oui, il y a, en effet, de plus en plus d’élèves qui arrivent en retard. Nous essayons de leur faire comprendre que le temps est précieux et que chaque minute perdue ne pourra être rattrapée qu’au prix d’énormes efforts. Ils citent les embouteillages ou le problème de transport comme excuse. Nous les encourageons à prendre le bus plus tôt le matin pour pouvoir arriver à l’heure. Dans certains cas, ce sont les parents eux-mêmes qui accompagnent les enfants en retard à l’école.
On dénombre pas mal de cas de vols d’argent, de portables, entre autres. Comment l’expliquer ?
Quand un enfant vole, portable ou autre chose c’est évidemment pour satisfaire une envie. Peut-être qu’il ne peut se permettre d’acheter un tel portable, ou qu’il a besoin d’argent pour s’acheter des vêtements, de la nourriture… ou de la drogue synthétique. On ne peut malheureusement pas écarter la dernière possibilité.
Au collège, nous décourageons vivement les élèves d’apporter beaucoup d’argent et nous leur recommandons de garder tout objet de valeur en leur possession, et, mieux encore, de ne pas les apporter à l’école.
La direction de certains collèges, dits d’élite, « subirait » des « gangs » au lieu de sévir contre eux...
Je ne suis personnellement pas au courant que la direction de certains collèges ait affaire à des gangs dans l’enceinte de l’école. Au collège London, la discipline est de mise, grâce au personnel qui s’assure que rien n’est laissé au hasard. Nous ne tolérons en aucun cas le manque de respect, que ce soit parmi les élèves ou à l’encontre du personnel.
L’environnement scolaire est-il encore propice à l’épanouissement des élèves ?
L’école est un lieu où l’on cohabite avec ses amis en harmonie. C’est le lieu où l’on apprend et participe à des activités. Il faut leur offrir un environnement propice à leur épanouissement, avec des facilités qui leur donnent envie de venir à l’école plutôt que d’être à la maison ou dans la rue.
Qu’en est-il de la responsabilité des parents, surtout face au comportement de leurs enfants, que ce soit à l’école ou dans les lieux publics, comme dans les autobus ?
On ne le dira jamais assez : l’éducation commence à la maison. Hélas, de nos jours les deux parents travaillent dans beaucoup de familles. Certains n’ont pas assez de temps à consacrer à leurs enfants. Pourtant, il ne faut pas oublier que les parents ont le devoir de surveiller les enfants, de connaître leurs fréquentations, de s’assurer que lorsqu’ils sont dans leur chambre ils travaillent plutôt que de passer du temps sur les réseaux sociaux.
Je dirais donc, sans hésitation, que les parents ont un grand rôle à jouer dans l’éducation de leurs enfants.
Et la discipline au collège… ?
La discipline est primordiale. Sans discipline, on est perdu. Dans la vie des élèves, la discipline est le maître mot. Aussi, je dirais qu’avant de choisir une institution scolaire, il faut prendre connaissance des règlements de cette école. Si l’enfant ou les parents ne sont pas satisfaits de ces règlements, ils peuvent choisir une institution à leur convenance. On ne peut, par exemple, accepter des « hair designs ». Certains de ces dessins pourraient renvoyer un quelconque message qui ne serait pas approprié à l’école.
Certains parents semblent décharger leurs responsabilités sur l’école…
L’école n’est pas un baby-sitter. Son rôle est avant tout d’éduquer nos jeunes. Les parents doivent assumer leur part de responsabilité et assurer l’éducation de leurs enfants chez eux. Certains parents donnent l’impression de démissionner de leurs responsabilités.
C’est malheureux de constater que parfois des parents ne se donnent même pas la peine de venir à l’école pour discuter du comportement de leurs enfants, même s’ils ont été sollicités. Ils travaillent ou ils sont occupés. Mais ces mêmes parents peuvent venir en urgence pour des sujets beaucoup plus anodins.
Quelles seraient des solutions à court et moyen termes ?
La solution clé pour moi est la communication. Il ne faut pas oublier qu’on a affaire à des jeunes. Il faut être patient, leur parler et leur faire comprendre que l’éducation est primordiale. Le certificat d’études est un passeport pour le monde du travail. Sans un emploi décent, on ne peut avancer. Il faut parfois répéter ces choses car les jeunes ont besoin qu’on le leur rappelle. Donc, en trois mots, je dirais : communication, patience et persévérance.

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