Introduit au Parlement, l’Immigration bill sera fort probablement appelé à être voté, ce mardi. Or, un certain nombre de mesures majeures font l’objet de discussions et de critiques de la part des acteurs concernés, alors que d’autres semblent être plus favorables et mieux accueillies. Des avocats décortiquent les points qui ne font pas l’unanimité.
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L’ancienne ministre et avocate, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, parle d’un grand recul en termes de droits humains. Cela, car les conjoints étrangers ne bénéficieraient plus de la protection de l’État. « Ils perdraient leur statut de résident de par leur mariage. Cela sera remplacé par la précarité d’un permis de séjour de deux ans. Ils pourraient être expulsés plus facilement. Ils pourraient être déchus de la nationalité. Ils devraient alors partir en abandonnant leur famille, leurs biens, leur travail, etc. », explique-t-elle.
Discrétion absolue
Elle dénonce aussi la discrétion absolue du Premier ministre, qui n’aurait pas besoin de donner la moindre raison de sa décision. Cela, du moment qu’il a des informations selon lesquelles notre État est menacé. « Cela exclurait la juridiction de la Cour suprême. De plus, comme ce projet de loi fait une différence entre les Mauriciens de souche et ceux qui sont venus d’ailleurs, ce serait anticonstitutionnel, car contraire à l’article 16(3) de la Constitution, qui garantit la non-discrimination. Dans la définition de ce terme, on trouve « race, caste, place of origin, political opinions, colour creed or sex… », souligne Me Shirin Aumeeruddy-Cziffra.
Me Annabelle Ribet souligne quant à elle que l’amendement à la Mauritius Citizenship Act de 1968 pourrait potentiellement octroyer au Premier ministre la discrétion de priver un citoyen étranger, possédant la double nationalité, de sa citoyenneté mauricienne. Cela, en invoquant la sécurité nationale ou l’ordre public, et sans qu’aucune justification ne soit fournie à cet effet. « Il semble que ces dispositions restent néanmoins, dans une certaine mesure, sujettes à la section 11 (3) (b) de cette même loi. Celle-ci prévoit que le Premier ministre ne peut priver un individu de sa citoyenneté lorsqu’il apparaît que cette même personne deviendrait apatride », déclare cette dernière.
POUVOIR ABSOLU
Notre interlocutrice pense que « cette nouvelle mesure reste tout de même relativement floue et sujette à interprétation. Il faut espérer que ce projet de loi n’empiétera en aucun cas sur les droits constitutionnels de tout un chacun et donnera libre accès à la justice à ceux qui se sentiraient lésés ».
Me Penny Hack ne comprend pas pourquoi c’est le Premier ministre qui détient le pouvoir absolu de donner ou révoquer la citoyenneté ou un permis de résident. « C’est très dangereux pour la société et la démocratie. Comme dit l’adage ‘absolute power corrupts absolutely’ », prévient l’avocat. Celui-ci ne comprend pas comment le parquet est venu avec une telle proposition.
Selon lui, cette nouvelle loi va « décourager » l’immigration vers Maurice. « Cela va à l’encontre de notre liberté, comme stipulée dans la Constitution. Cette loi est a priori anticonstitutionnelle. En sus d’affecter la cellule familiale. C’est une mauvaise loi. Il faut la retravailler en profondeur. Actuellement, c’est une mauvaise loi avec de mauvaises intentions », estime notre interlocuteur.
Mariage de convenance
Elle estime qu’avec cette nouvelle loi sur l’immigration, les mariages avec des étrangers seraient sous haute surveillance. Cela, alors que Maurice est un pays ouvert aux étrangers, en particulier les investisseurs, les retraités riches et les professionnels hautement qualifiés. « On met cela sur le compte des besoins économiques du pays et sur le manque de certaines compétences à Maurice. Mais la distinction entre ce type d’étrangers et les conjoints de Mauriciens est déplorable », affirme Me Shirin Aumeeruddy-Cziffra.
Elle poursuit que le gouvernement soupçonne qu’il y a des mariages blancs. « Moi, je viens de célébrer nos 48 ans de mariage très heureux. Pourtant, en 1977, les responsables du gouvernement de l’époque avaient fait exprès de ne pas prendre de décision sur la demande de permis de résidence de mon époux. Il avait fallu que j’aille devant le Human Rights Committee de l’ONU pour contester les amendements qu’ils avaient fait adopter aux Immigration and Deportation Acts. En 1981, nous avons obtenu gain de cause. Le 8 mars 1983, j’ai moi-même supprimé la partie discriminatoire de ces lois en tant qu’Attorney General et ministre de la Justice », indique cette dernière.
Me Shirin Aumeeruddy-Cziffra précise que la Civil Status Act prévoit déjà que le ministère de l’Intérieur peut objecter à des mariages célébrés à Maurice entre Mauriciens et étrangers. D’ailleurs, n’importe qui peut déposer une objection à n’importe quel mariage pendant la durée de la publication des bans. Mais c’est le juge « en chambre » qui entend l’affaire et statue sur les différentes objections. Selon elle, « Il faut garder cette procédure et renforcer les méthodes d’investigations ».
Pour sa part, Me Annabelle Ribet revient sur les nouvelles provisions potentiellement inclues dans l’Immigration Bill. Selon elle, les amendements à la Civil Status Act de 1981 renforceront le cadre légal des mariages entre citoyens mauriciens et étrangers. Cela, dans le but de prévenir les mariages de convenance ou les « mariages blancs ». « Pour ce faire, des mesures de contrôle plus rigoureuses seront mises en place. En l’occurrence, le délai pour la publication des bans passera de 10 à 30 jours et le permis de résidence sera obtenu uniquement après une période de deux ans, période pendant laquelle le non-citoyen résiderait à Maurice sur un permis de résidence temporaire », avance notre interlocutrice.
Elle souligne que ce nouveau cadre législatif accordera également un droit de regard statutaire et de décision inhérent aux autorités qui se doivent d’établir la légitimité de ces mariages sur la base de critères qui n’ont, à ce jour, pas encore été établis.
Acquisition de biens immobiliers par des résidents étrangers
Me Annabelle Ribet évoque de plus qu’à travers l’amendement à la Non-citizens (Property Restriction) Act de 1975, tout étranger résidant à Maurice en vertu de l’Immigration Act de 2022, serait en droit d’acquérir un bien immobilier sur le territoire mauricien (en dehors du Property Development Scheme, Smart City Scheme ou autre mesure initialement prévue par le gouvernement). Cela, pourvu que le prix d’achat soit d’un minimum de USD 350 000.
Elle soutient que cette mesure concerne, entre autres, les biens immobiliers construits sur des portions de terrain de moins de 1,25 arpent, mais exclut les biens résidentiels situés sur les terres de l’État ainsi que les « pas géométriques ». Elle étendra donc ce droit d’acquisition par les résidents étrangers, qui était jusqu’alors relativement limité.
« D’un point de vue général, l’Immigration Bill et ses amendements connexes démontrent l’effort du gouvernement mauricien de consolider le cadre législatif régissant les droits inhérents des étrangers à Maurice. Il faudrait néanmoins s’assurer que des procédures de sauvegarde appropriées soit respectées et que l’intérêt public ainsi que celui du pays restent la préoccupation principale du gouvernement », pense Me Annabelle Ribet.
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