Interview

Professeur Arnaud Carpooran : «Les mentalités à l’égard du Kreol Morisien sont en train de changer»

Apprendre le Kreol Morisien est une occasion pour contribuer à rendre des lettres de noblesse à sa langue natale. Tel est l’avis du linguiste. Dans l’interview qui suit, le Professeur Arnaud Carpooran nous en dit plus sur l’évolution de la langue créole à Maurice.

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Vous vous investissez dans la linguistique de terrain que l’on pourrait appeler « recherche-action ». Qu’est-ce qui vous  amène à faire ce choix ?
Mon arrivée à l’Université de Maurice (UoM) en 1993 m’oblige à me rendre compte d’un déséquilibre patent s’agissant des études des langues à Maurice de manière générale. D’un côté, il y avait une sorte de politique de tapis rouge pour toutes les langues du monde. De l’autre, une situation de quasi tabou à l’égard du Kreol Morisien, langue principale de mon pays et langue quotidienne de la grande majorité des Mauriciens. La situation me paraissait d’autant plus paradoxale que les études créoles, en général, avaient déjà pignon sur rue à l’époque dans la plupart des grandes universités d’Europe. La situation du Kreol Morisien était relativement bien connue de la plupart des créolistes de ces universités, grâce à la participation régulière de plusieurs intellectuels mauriciens à des colloques internationaux organisés çà et là.

Vous avez contribué à rendre populaire le département de linguistique de l’UoM. En quoi l’approche linguistique des faits de langue a-t-elle pu faire progresser notre savoir concernant la manière dont fonctionnent les langues ?
Je ne sais pas si j’ai rendu le département de linguistique populaire comme vous le dites. Je me contente de constater simplement que le Diksioner Morisien, qui n’était qu’un modeste projet de recherche que jugé farfelu, irréalisable et inutile, a fini par conquérir une large frange du public mauricien et convaincre les autorités. Il a surtout pu devenir un objet de référence institutionnel, à la fois dans le monde académique en général et dans le milieu institutionnel mauricien. Cela relève presque de la magie et je serai éternellement reconnaissant envers toutes ces générations d’étudiants de l’UoM, issues de tous les univers ethnoculturels et de tous les milieux sociaux, d’avoir contribué à rendre possible ce qui n’était alors, au mieux, qu’un rêve impossible, au pire une folle lubie.

On dit que Maurice a été décolonisé sans que la mentalité ne le soit. Le Kreol Morisien gagne-t-il du terrain par rapport à la suprématie  du français ?
Oui, les mentalités sont en train de changer pour le meilleur et pas seulement à l’égard du Kreol Morisien. Mais cela prendra quand même du temps avant qu’on arrive là où l’on souhaite. Il faudra de toute façon se battre, encore et encore.

Qu’est-ce qui pousse de plus en plus de jeunes à opter pour cette filière à l’UoM ?
Les jeunes d’aujourd’hui viennent au monde avec un mindset complètement différent de celui de leurs parents. Moins de complexes, moins de préjugés et une disposition d’ouverture totalement inédite, grâce aux moyens que leur offrent les technologies modernes, le cyberespace, leur éducation ou encore leur connectivité à la mondialisation, etc. Les cris d’épouvantail qu’on utilisait hier pour enfermer les esprits n’ont plus tellement de prise aujourd’hui. Ils feront des choix qui leur semblent les plus pragmatiques, la découverte de ce qui constitue sa propre identité et l’opportunité de contribuer à rendre des lettres de noblesse à sa propre langue constituent déjà en soi des arguments solides en faveur de ce cours. Je ne parle pas de la dimension pédagogique qui y est associée par rapport à l’apprentissage d’autres langues et d’autres matières, de son lien avec la question des droits civiques et fondamentaux, entre autres.

 

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