Interview

Pramod Bissessur, Chargé de cours en droit des affaires : «Un mécanisme légal pour gérer les compagnies»

Pramod Bissessur, chargé de cours en droit des affaires à l’Université de Maurice, explique qu’une compagnie ne peut être emprisonnée.

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La sanction de la cour ne peut être que financière. Cependant, la procédure pour initier une action pénale contre une compagnie est semblable à celle contre une personne physique.

La poursuite doit établir trois éléments (légal, matériel et moral) et la culpabilité de la compagnie doit être prouvée « beyond any reasonable doubt ».

« La responsabilité pénale et personnelle des directeurs peut être engagée. »

Une compagnie a-t-elle une existence indépendamment de ceux qui l’ont créée ?
La procédure pour la formation d’une compagnie à Maurice est définie par la Companies Act 2001. Il faut soumettre une demande au Registrar of Companies, qui délivrera par la suite un Certificate of Incorporation. Ce document est d’une importance vitale et donne à la compagnie le statut de personne morale. L’article 26 de la Companies Act mentionne le principe de separate legal personality.

On peut donc affirmer qu’une compagnie peut avoir une existence indépendante. En découlent les conséquences suivantes :

(i) une compagnie a une capacité légale et peut être partie à un contrat

(ii) elle peut être poursuivie au civil comme au pénal et

(iii) elle peut être propriétaire de biens.

En cas de violation de la loi pénale, qui est responsable des actions commises au nom de la compagnie ?
Cette question a une certaine pertinence, en considérant des circonstances diverses. La responsabilité pénale d’une compagnie peut être engagée dans une situation où en tant qu’employeur, elle agit en contravention des dispositions de l’Occupational Safety And Health Act 2005. Il y a aussi le cas d’une institution bancaire qui viole les règles de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002, comme la Cour Intermédiaire a statué dans l’affaire ICAC v/s MCB.

La question de la responsabilité pénale des compagnies a été soulevée sur le plan international, notamment en Angleterre, à la suite d'un récent incendie à Greenfell Tower ou en Inde lors de la fuite de gaz à Bhopal. Tout cela montre que la question de responsabilité a toute son importance. Il est clair qu’une compagnie (personnalité morale) peut être poursuivie au pénal (et au civil). Si elle est reconnue coupable, sa responsabilité sera personnellement engagée.

La personnalité juridique des entreprises ne permet-elle pas aux directeurs malhonnêtes d’éviter de faire face à la justice ?
La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. L’article 44 (1) (b) de l’Interpretation And General Clauses Act 1974 stipule que : « every person who, at the time of the commission of the offence, was concerned in the management of the body corporate or was purporting to act in that capacity, shall also commit the like offence, unless he proves that the offence was committed without his knowledge or consent and that he took all reasonable steps to prevent the commission of the offence ».

Notons que l’article 143 de la Companies Act 2001 mentionne la responsabilité des directeurs de compagnie, dont celle d’agir de bonne foi. Il est clair que la responsabilité pénale et personnelle des directeurs peut être engagée.

Dans la pratique, comment peut-on initier une action au pénal contre une compagnie ?
La procédure pour initier une action pénale est similaire à celle logée contre une personne physique. Elle dépend des faits reprochés à la compagnie. Dans l’affaire ICAC v MCB, l’ICAC, se basant sur l’article 3 (2) de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002, a initié une action pénale contre la MCB. L'article 82 de la Prevention of Corruption Act 2002 souligne le rôle prédominant du bureau du Directeur des poursuites publiques pour loger une action pénale, conformément à l’article 72 de la Constitution.

Comment exécuter une sentence contre une personne morale lorsque la loi prévoit des peines de prison obligatoires ?
En droit pénal, tout comme pour une personne physique, une personne morale pourra être jugée coupable, si la poursuite établit les trois éléments de l’infraction : l’élément légal, matériel et moral. En sus de cela, la cour doit être satisfaite que la culpabilité de l’accusé a été prouvée « beyond any reasonable doubt ».

La responsabilité pénale d’une compagnie soulève plus un problème de fond que de forme, même si la procédure existe. Si la culpabilité d’une compagnie est prouvée, il est évident qu’une compagnie ne peut être emprisonnée. Dans la pratique, la sanction de la justice ne peut être que financière.

Comment remédier à de telles lacunes ?
Rappelons que, une compagnie étant incarnée par une personne physique, cela engage une responsabilité par représentation et non une simple responsabilité du fait d’autrui. Certaines théories comme le « controlling or directing mind theory» ont été développées en Angleterre et aux Etats-Unis. 

En Angleterre, la Corporate Manslaughter and Corporate Homicide Act a été promulguée en 2007. Une solution adéquate serait d’établir un mécanisme légal qui permette une meilleure gestion des compagnies, en respectant les règles de bonne gouvernance, tout en engageant la responsabilité pénale de leurs directeurs. La responsabilité d’action de la compagnie serait donc imputée à un/aux directeur(s).

 

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