Pour l’Associate Professor in Media and Political Systems de la Faculty of Social Sciences and Humanities de l’Université de Maurice, les « Moustass Leaks » ont joué un rôle dans ce 60-0 sans bavure contre l’Alliance Lepep. Roukaya Kasenally ajoute que notre pays a perdu son statut de démocratie libérale pour se muer en une autocratie électorale.
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Vous attendiez-vous à un score de 60-0 aux élections législatives, alors que le jeu était réputé fermé. Qu’est-ce qui a conduit à ce score sans bavure pour l’Alliance du Changement ?
Une chose est sûre : on ne sait jamais à 100 % quel sera les résultats d’une élection. Chaque alliance a montré sa force de frappe : foule aux meetings, dernier grand meeting du 3 novembre et promesses électorales, etc. Ce qui n’était pas visible ou même vocal, c’était ce que l’on appelle « la masse silencieuse ». Personne ne savait vraiment comment elle allait voter, pour qui elle allait voter.
En ce qui concerne le 60-0, c’est le troisième dans l’histoire politique post-Indépendance de l’île Maurice. Si l’on veut bien qualifier ces 60-0 ,- le premier en 1982 est intervenu après 15 ans de gouvernement travailliste au pouvoir, secoué par un certain nombre d’événements répressifs (état d’urgence, censure des médias, dévaluation de la roupie et report des élections générales) - les citoyens mauriciens ont clairement exprimé leur ras-le-bol et ont massivement voté en faveur du changement.
Et les deux autres 60-0 ?
Le deuxième 60-0 a lieu en 1995, après 13 ans de gouvernement MSM sous SAJ. Bien que l’économie soit en bonne santé, un certain nombre de scandales ont ébranlé le gouvernement, notamment les « Amsterdam Boys ». Une fois de plus, la lassitude politique s’est fait sentir et une nouvelle et jeune personne est apparue :- Navin Ramgoolam et, bien sûr, Paul Bérenger. La troisième est intervenue après 10 ans d’un gouvernement dirigé par le MSM et clairement dominé par Pravind Jugnauth. La concentration de scandales, la mainmise de l’État, le resserrement des droits et libertés démocratiques, politiques et numériques des citoyens ont été sans précédent. Maurice a perdu son statut de « démocratie libérale » et est devenue une « autocratie électorale » au cours de ces 10 années.
Soyez plus explicite…
Pour moi, cet effacement est dû à une accumulation d’événements qui ont commencé avec la marée noire du Wakashio en 2020, où des milliers de personnes ont protesté dans les rues de Port-Louis et de Mahébourg et où nous avons commencé à voir la genèse du slogan « BLD ».
Au fil du temps, le régime de Pravind Jugnauth a restreint davantage les droits des citoyens - la consultation de l’ICTA sur les médias sociaux, les amendements à la loi sur l’IBA, le réenregistrement obligatoire des cartes SIM et d’autres. Cependant, l’une des principales préoccupations des Mauriciens était le coût extrêmement élevé de la vie (qui a été identifié dans le cycle 10 d’Afrobarometer) comme la préoccupation numéro un. La lassitude politique extrême à l’égard d’un régime devenu dictatorial a donc donné lieu à un verdict de 60-0.
Pravind Jugnauth mord la poussière dans son fief du n° 8. Est-ce l’effet Damry et du Labour ?
Je pense que lorsque vous avez un 60-0, tous les leaders sont défaits. Ce fut le cas pour SSR en 1982 et pour SAJ en 1995.
Le fameux 4 à 14 est-il devenu un mythe ?
Je pense qu’il faut éviter de penser en termes aussi binaires. Il est sans doute vrai qu’il y a peut-être une concentration d’une communauté particulière dans ces circonscriptions. Toutefois, les partis politiques et les dirigeants devraient éviter de penser que certaines communautés sont inévitablement leur « point de fixation ». Aujourd’hui, après plus de 50 ans d’indépendance, un grand nombre de personnes, en particulier les jeunes, s’identifient comme des Mauriciens.
Je pense que les « Moustass Leaks » ont joué un rôle important : le nombre de téléspectateurs, l’intérêt suscité par les différents épisodes et le fait que le contenu de ces fuites ait alimenté les conversations des gens prouvent qu’elles étaient importantes"
Tous les anciens militants qui ont déserté le MMM pour prêter allégeance au MSM ont été balayés...
C’était l’effet 60-0, personne n’est épargné ! Si Pravind Jugnauth a été balayé, je ne vois pas pourquoi Obeegadoo, Ganoo et Collendavelloo seraient épargnés.
La contribution de Resistance ek Alternativ a-t-elle été significative ?
Je pense que ReA a démontré que l’Alliance du Changement était prête à intégrer des personnes qui proposaient des idées différentes, offrant ainsi une approche diversifiée et inclusive de la politique. Les deux chevaux de bataille de ReA sont le mauricianisme et l’environnement. Deux préoccupations majeures pour les jeunes. Pour moi, leur contribution réside dans le fait qu’un parti politique non traditionnel a été élu, qu’il siégera au Parlement et qu’il contribuera à définir un nouvel ordre du jour.
Beaucoup de jeunes ont voté cette fois-ci. Est-ce l’effet de la suspension de 24 heures des réseaux sociaux décidée par Pravind Jugnauth ?
Il serait intéressant de connaître le nombre exact de jeunes qui ont voté cette fois-ci, car il est entendu (dans le monde entier) que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique et au vote. L’interdiction des médias sociaux a joué un rôle, car un certain nombre de jeunes l’ont qualifiée de « vendredi noir ». Nous avons également été témoins des réactions négatives qui se sont produites sur les médias sociaux après la levée de l’interdiction. Les jeunes sont très attachés à leur liberté et droits numériques et cela a dû peser comme un vote de sanction.
Les fuites de « Missier Moustass » au cours des deux dernières semaines de la campagne ont-elles nui à l’Alliance Lepep et à la Kwizinn ?
Je pense que les « Moustass Leaks » ont joué un rôle important :- le nombre de téléspectateurs, l’intérêt suscité par les différents épisodes et le fait que le contenu de ces fuites ait alimenté les conversations des gens prouvent qu’elles étaient importantes. Les gens ont été choqués par la gravité du contenu présumé -: capture de l’État, ingérence et dissimulation de meurtre, etc. Les Mauriciens ont été choqués par la nature purement machiavélique de certains des principaux protagonistes. Ils avaient entendu parler de « la Kwizinn » et maintenant les fuites de « Missier Moustass » ont donné des détails sur la façon dont « la Kwizinn » fonctionnait.
Navin Ramgoolam répète que son alliance durera jusqu’à la fin de son mandat. Le croyez-vous ?
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger sont au crépuscule de leur carrière politique. Ils ont tous deux connu une traversée du désert considérable et ont dû supporter beaucoup de choses de la part du régime sortant. Ils savent qu’ils doivent être à la hauteur de la confiance que les citoyens leur ont accordée avec un score de 60-0.
Des promesses ont été faites. Pourraient-elles être tenues, car les attentes sont très élevées ?
Les attentes de la population sont grandes. Je suis attristée que cette élection ait été marquée par une « surenchère » politique malsaine. J’espère que le nouveau gouvernement se concentrera sur la reconstruction de certaines de nos institutions clés qui ont été éventrées, comme le Parlement, la police et la Banque de Maurice, les institutions de régulation.
L’instauration d’une culture de la méritocratie est essentielle pour stopper l’hémorragie de la fuite des cerveaux. J’espère qu’ils seront en mesure de favoriser une conversation fondée sur les idées et la transformation de notre île. Il ne devrait pas s’agir uniquement de gains monétaires pour nous, en tant que citoyens, mais de la manière dont nous pouvons contribuer à améliorer notre pays.
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