Chassez le naturel, il revient au galop. Sans faire allusion explicitement à la fameuse théorie de Samuel Huntington, tant décriée et combattue depuis 1993, voilà qu’à deux jours d’intervalle, jusqu’au sommet du G20 à Hambourg, Donald Trump et Emmanuel Macron nous parlent de civilisation. Pas dans le bons sens, hélas. Pas en bien. Entre le bouffon et le noble, il y a comme ça, tout bonnement, alors que l’on ne s’y attendait pas, l’expression d’un même sentiment de supériorité civilisationnelle. Avec parfois d’éloquents éclats de rire.
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Trump et la sauvegarde de la civilisation occidentale
Le Président des Etats-Unis continue de jouer sur la peur, sur des phobies irrationnelles dans un monde déréglé et déboussolé. Il répand sans aucune gêne de la paranoïa lorsqu’il parle de tout mettre en œuvre pour la « sauvegarde de notre civilisation ». Contre les menaces des « barbares ».
Pour Donald Trump, les ennemis de la civilisation occidentale sont tout indiqués. Lors de sa récente tournée européenne il choisit d’en parler en Pologne où règne le parti Droit et Justice (PiS) dont on connaît l’attachement aux valeurs conservatrices. Ainsi, à Varsovie, le 6 juillet dernier, le président américain déclare que l’Occident est menacé sur ses assises, que « l’expérience de la Pologne nous le rappelle – la défense de l’Occident repose en dernier ressort non seulement sur les moyens, mais aussi sur la volonté de ses habitants de l’emporter. Nous devons travailler ensemble pour nous opposer aux forces, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur, du Sud ou de l’Est, qui menacent à terme de saper ces valeurs et d’effacer les liens de la culture, de la foi et de la tradition qui font de nous ce que nous sommes ». Et il conclut dans un style qui lui est propre : « The West will never be broken ! »
On peut penser qu’il n’y a là rien d’anormal, de controversable ou de contestable. Sauf que, comme le souligne un observateur, William Shapiro, “an ominous aspect of our era is that any sense of historical perspective has been dropped down the memory hole. Trump seems to revel in the concept of a holy war. For that was at the core of his inflammatory rhetoric about the survival of Western civilization. All that was missing from Trump’s Warsaw war cry was a rousing chorus of Onward Christian Soldiers.” (The Guardian, 7 juillet 2017).
« Toutes les civilisations ne se valent pas »
Cette phrase, certains s’en souviendront, est de Claude Guéant, ancien ministre français. Guéant l’avait prononcée le dimanche 5 février 2012 alors qu’il était ministre de l'intérieur dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Elle n’est pas du tout anodine. En France, ils sont lésions et légendaires ces intellectuels et autres personnalités de droite – de la droite centriste à la droite extrême et à l’extrême droite – et parfois de gauche aussi qui, de temps en temps, nous sortent ces perles ou ces énormités pour nous dire la supériorité de l’Occident face à un Orient toujours mythologisé, un Afrique-Asie-Amérique latine toujours réduit au statut de folklore, un Sud toujours éternellement cantonné à l’exotisme. Une présentation réductrice, voire essentialiste de « barbares » ou de bons sauvages.
Macron et la mission civilisatrice de la France et de l’Europe
L’actuel Président de la République française semble être lui aussi de la partie ? Serait-ce une exagération que d’oser le penser ? En visite à Mayotte au début du mois de juin, Emmanuel Macron déclare dans un grand éclat de rire que « le kwassa-kwassa pêche peu ! Il amène du Comorien ! » Propos choquants face à la détresse des Comoriens qui tentent de fuir la misère à bord de ces frêles embarcations que sont les kwassas kwassas. Cette mauvaise « plaisanterie », que même la cellule de communication de l’Elysée a alors qualifié de « plaisanterie malvenue », n’a pas manqué de faire monter au créneau de nombreux responsables comoriens – voir aussi la critique de notre compatriote Nathacha Appanah (*) – pour réclamer du président français des excuses publiques. Malheureusement, ce n’est pas tout.
Samedi 8 juillet, en marge du sommet du G20 de Hambourg, un journaliste ivoirien pose la question suivante à Emmanuel Macron : « Combien les pays du G20 sont prêts à mettre dans l’enveloppe pour sauver l’Afrique ? ». D’emblée Emmanuel Macron rejette toute idée d’un Plan Marshall pour l’Afrique parce qu’il estime qu’un plan d’une telle envergure, qui a sauvé l’Europe d’après-guerre, « était un plan de reconstruction, dans des pays qui avaient leurs équilibres, leurs frontières, leur stabilité ». Il poursuit en déclarant que le « défi de l’Afrique est différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel » avant de conclure en ces termes : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »
A croire que pour Emmanuel Macron tout le continent africain n’est qu’un amas monolithique ! Sait-on, par exemple, que si le taux de fécondité au Niger – le plus élevé du continent – est de 7,6 enfants par femme, il est à l’autre extrémité de 2,4 par femme en Afrique du Sud, en Tunisie, au Maroc, et en Libye, et seulement de 1,4 enfant par femme – le taux le plus bas – pour ce qui est de l’île Maurice ?
A l’instar de sa malencontreuse boutade à Mayotte à propos des kwassas kwassas, la méprisante remarque d’Emmanuel Macron à Hambourg a encore une fois mis en colère des intellectuels africains. Citons le djiboutien Abdourahman Waberi, écrivain et professeur de littératures francophones aux Etats Unis, qui écrit dans une chronique au journal Le Monde (14/7/17) : « Evoquer la surpopulation, c’est convoquer les mouvements migratoires présentés également sur le mode apocalyptique. La réalité est tout autre. (…) La République de Djibouti, qui m’a vu naître, a accueilli et accueille sur son minuscule territoire un grand nombre de ressortissants transfrontaliers – éthiopiens, somaliens et yéménites. Imaginez le tableau. C’est comme si à l’échelle de la France, 20 à 25 millions d’étrangers vivaient dans l’Hexagone. On ne verrait pas ça en Europe ! »
Tout comme Shapiro, Waberi se demande où est passée l’Histoire dans tout ça. « Quid des effets conjugués des traites négrières et de l’essor du capitalisme industriel toujours aussi friand des ressources et des corps que le continent produit en si grandes quantités ? »
Mais là où la critique de Waberi prend une dimension particulière, c’est lorsqu’il dit : « En lâchant le gros mot de « civilisationnel », le président français a ravivé la vieille blessure ouverte par Nicolas Sarkozy en 2007. Pis, il a réintroduit, involontairement ou non, une ligne de démarcation entre l’humanité du Nord qui affronte des enjeux historiques et politiques et l’humanité du Sud lestée par des défis civilisationnels de nature insondable. Pour la première, le destin est à portée de main. Pour la seconde, les choses se présentent autrement. Son destin est capricieux. Ses défis « différents », « profonds ».
La différence que le président Macron met en scène si brillamment est, en partie, une invention, ou si vous préférez une fiction, que les conquistadors d’hier ne renieraient pas. (…) Pour être opérante, cette fiction de l’autre – ici l’Afrique comme masse monolithique – doit être racialisée, sexualisée à outrance, d’où l’allusion au ventre fertile des femmes africaines. »
Décidément, plus ça change…
18 juillet 2017
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