Notre invité cette semaine est Nicolas Ritter, Fondateur-Directeur de l’ONG PILS, Prévention, Information, Lutte contre le Sida. Nous avons voulu avoir de Nicolas Ritter des réponses à des questions classiques mais que d’aucuns hésitent encore à poser. Même s’il est vrai que le sujet n’est pas aussi tabou qu’il y a plus de vingt ans de cela.
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Présentez- vous, Nicolas Ritter…
Je suis Mauricien par mon père, Français par ma mère, né en 1968 et je vis à l’île Maurice depuis que j’ai un an et demi. J’ai fait toute ma scolarité au Lycée Labourdonnais à Curepipe où j’habite toujours et j’ai été pendant 13 ans steward pour Air Mauritius. Je suis actuellement directeur exécutif de PILS (Prévention Information et Lutte contre le Sida) et vice-président de la Coalition Internationale sida (Coalition PLUS)
Vous êtes très actif sur le plan professionnel à travers l’ONG PILS que vous avez fondée, et par extension sur le plan social. Parlez-nous en.
PILS est aujourd’hui une structure importante de la lutte contre le sida à Maurice et dans l’océan Indien. Nous sommes une ONG que j’ai fondée en 1996 afin de briser le silence autour du VIH et de militer pour un accès aux traitements et aux outils de prévention. Quand on fait de la lutte contre le sida on s’intéresse à la santé, à l’éducation, à la politique, à la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, la recherche, la prévention, les produits psychoactifs, les facteurs d’exclusions, la pauvreté, les lois et les droits humains pour ne citer que ceux-là. PILS travaille sur ces questions et, de fait, participe aux débats publics, s’associant avec d’autres structures qui partagent nos valeurs.
Quelle différence y a-t-il entre avoir le VIH et avoir le sida ?
Le VIH est un virus qui lentement mais sûrement va affaiblir le système de défense de l’organisme hôte. Quand ces défenses sont au plus bas, le corps a de plus en plus de mal à lutter contre les bactéries, les virus, les cancers et nous développons donc des maladies dites opportunistes qui peuvent être très graves voire mortelles, c’est la phase SIDA. Bien entendu, il s’agit là d’une situation qui n’arrive que si on ne se fait pas dépister et que l’on ne prend pas de traitement comme il faut, si l’on a contracté le virus.
Vous avez volontairement, si je puis m’exprimer ainsi, déclaré votre séropositivité. Quel regard la société a-t-elle jeté sur vous et avez-vous été victime de discrimination d’une manière ou d’une autre ?
En 2001 j’ai estimé qu’il était important de rendre public le fait que je vis avec le VIH. En effet, les traitements antirétroviraux allaient bientôt être disponibles à Maurice et ma première intention était de montrer que l’on peut vivre avec ce virus sans trop de difficulté. Il s’agissait de briser cette idée d’une part que les personnes contaminées étaient des mourants et d’autre part qu’elles devaient se cacher. En ce qui me concerne, j’ai une famille fantastique qui m’a soutenu dès le premier jour et aussi des amis formidables qui ont été totalement solidaires. Je suis conscient que cette annonce a dû troubler certains mais les quelques fois où j’ai pu sentir une certaine forme de rejet ou de discrimination ne sont rien à côté de la liberté de pouvoir gérer cette pathologie ouvertement avec du soutien et plein d’amour.
Le ministère de la Santé conseille (j’en ai vu une bande passante à la télé) aux personnes atteintes du VIH de se rendre dans les hôpitaux pour des soins antirétroviraux. Que leur conseillez-vous du fait que d’aucuns hésitent à en parler ?
Les antirétroviraux sont très efficaces avec peu de pilules à prendre et quasiment plus d’effets secondaires. Un traitement qui marche, c’est l’assurance de ne jamais développer de SIDA et, c’est désormais une certitude, l’assurance de ne jamais transmettre le VIH à autrui. Ces traitements et le suivi sont totalement gratuits à l’île Maurice et à Rodrigues. Les conditions semblent donc idéales pour que toute personne ayant appris sa séropositivité se manifeste et prenne ses traitements. L’une des spécificités de l’infection au VIH sont les représentations souvent négatives que nous avons des personnes qui ont contracté ce virus. Elles se sentent jugées, exclues, souvent mises à l’écart. Ce virus s’attaque à Maurice de façon disproportionnée aux personnes qui consomment des produits psychoactifs par injection. Leur situation sanitaire et sociale est souvent précaire et l’on imagine aisément que quand on vit dans des squats ou dans la rue, quand on s’endort le ventre vide et en manque, être régulier dans sa prise de traitement n’est pas forcément la priorité. Quant aux personnes qui ont contracté ce virus sexuellement, compte tenu des énormes tabous sur la sexualité à Maurice, elles s’enferment parfois dans le silence et l’anonymat, le déni et l’isolement, de peur d’être rejetées. Ce sont souvent les discriminations qui sont à la source des échecs thérapeutiques.
Guérit-on du sida ? Sans traitement, en combien de temps l’infection au VIH évolue-t-elle vers le sida ?
Oui, on peut guérir d’un sida, même avec des infections opportunistes sérieuses qui apparaissent, en moyenne, huit ans après le début de la contamination si on ne prend pas de traitement. Il suffit pour cela de vouloir se battre et d’avoir une bonne prise en charge. Les infections opportunistes disparaissent, le système immunitaire remonte et on peut donc estimer que l’on est effectivement guéri d’un sida. Cependant, si votre question est de savoir si on peut éliminer le VIH de son corps une fois qu’on l’a contracté, alors la réponse est : à ce jour, pas encore.
Quels conseils donneriez-vous à un/e ami/e atteint/e du VIH pour que ses droits soient respectés, droit au travail, droit aux loisirs, bref droit à une vie sociale bien remplie ?
Si j’ai un conseil à donner, c’est de tout mettre en œuvre pour accepter le virus. C’est une étape essentielle pour que l’on puisse devenir acteur de son traitement. Ensuite, oui, même si on n’est pas obligé de le crier sur tous les toits, c’est important de partager ce que l’on ressent avec les personnes que l’on aime.
Il n’y a aucune obligation à en parler au travail, quant au droit à la santé, il est garanti pour chaque Mauricien et, bien qu’il existe encore des discriminations dans les services cliniques et hospitaliers, elles ne sont plus tolérables et sont punissables par la loi.
À quel point êtes-vous satisfait des actions de PILS au sein de la République ?
En 23 ans PILS a assurément fait sa place dans le paysage associatif mauricien, mais il ne s’agit pas de faire de l’autosatisfaction car nous avons encore de nombreux défis à relever. L’épidémie à l’île Maurice continue à gagner du terrain et le nombre de morts en lien avec le VIH n’a jamais été aussi important qu’en 2018. Ce n’est pas acceptable et je le vis comme un échec. Nous entamons en ce moment même une nouvelle stratégie pour tenter d’y faire face et, avec le ministère de la Santé qui a la responsabilité des soins et des traitements et le bureau du Premier ministre qui doit s’assurer de la coordination nationale avec les autres ministères et acteurs majeurs de la lutte, nous devons avancer ensemble pour pouvoir réduire le nombre de nouvelles contaminations et de nouveaux décès, et permettre à ceux qui vivent avec le VIH d’envisager une vie sans trop de conséquences néfastes dues à cette contamination. Si nous travaillons tous de concert, alors on pourra envisager une île Maurice sans sida.
Le mot de la fin ?
Il n’y aura pas de succès dans la lutte contre le sida à Maurice et dans le monde si nous ne faisons pas évoluer nos politiques sur ce que nous appelons « la drogue ». « Drogue » est, dans les faits, un terme sans fondement scientifique pour désigner de façon stigmatisante certains produits psychoactifs. L’alcool, le tabac ou certains médicaments sont des produits psychoactifs extrêmement dangereux mais dont la fabrication et la vente sont assurées par une industrie et une économie légale et contrôlée mais très puissante. Par opposition, « la drogue » désigne plutôt des produits psychoactifs illégaux, produits par une économie, une industrie parallèle, clandestine et également très puissante.
Ce commerce fort lucratif et dangereux existe parce que certaines institutions internationales, sous l’influence des Etats-Unis, ont décrété des plantes comme la feuille de coca, certains champignons et le cannabis comme des produits extrêmement dangereux. Ces mêmes institutions, de nombreux états américains et de plus en plus de pays ont aujourd’hui changé de position face à cette approche et face à l’échec de la prohibition comme unique solution. La science reprend progressivement ses droits pour plus de santé et de sécurité. Nous sommes dans un monde en pleine transition, comment est-ce que notre république amorcera ce changement ? Car changement il doit y avoir. Nos enfants et notre société paient un prix bien trop élevé à cause de lois inappropriées sur les produits psychoactifs.
Propos recueillis par Vijay Naraidoo
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