Si le transport marron prolifère malgré les efforts des autorités, c’est qu’il répond à une demande que le système officiel n’arrive pas à satisfaire. Zoom sur les symptômes et les solutions.
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Si les opérateurs clandestins du secteur du transport en commun, dont les taxis et vans marrons prolifèrent, c’est qu’il existe une demande que le système régularisé n’arrive pas à satisfaire. Sur ce point, tous les acteurs du transport en commun sont d’accord. Mais quelles sont les failles qui permettent aux opérateurs marrons d’exister et comment y remédier ?
Les interlocuteurs approchés par Le Défi Plus évoquent l’impératif de la modernisation du système et la localisation en temps réel des autobus ainsi que l’attitude des chauffeurs, receveurs et des usagers.
Il faut prêter une attention particulière à ce qu’on entend par « modernisation ». Alain Kistnen de la Union of Bus Industry Workers (UBIW) estime que le secteur doit s'inspirer des erreurs du passé. « Les autobus actuels sont dépassés, dit-il, on a essayé l’air conditionné, les journaux à bord, etc… mais cela n’a pas marché et les gens n’ont pas pour autant délaissé les voitures. » Pour pouvoir moderniser, il faut prendre en considération le fait que le passager ne veut plus attendre sur les arrêts d’autobus, selon lui. « Avec le transport marron, il n’y a pas d’arrêt. Le trajet est direct. Il ne faut plus investir dans de gros autobus, et les navettes qui ne peuvent offrir des services directs », a-t-il souligné. Et de citer en exemple la ligne express Cathédrale de la CNT, qui passe par l’Hôtel du gouvernement, le Registrar et le Champ-de- Mars, qui est très sollicitée.
Les coupables
Swaleh Ramjane, directeur de l’United Bus Service, reconnaît que l’attitude des usagers rend la situation bien difficile pour les opérateurs. « Ce n’est pas possible que les gens exigent que dès qu’ils mettent les pieds dehors, il doit y avoir un autobus qui les attend, regrette-t-il. Quand vous y ajoutez le problème de congestion routière et le désir d'arriver au boulot rapidement, c’est normal que les vans et taxis marrons soient en grande demande. » Comment changer les choses ? S’il ne paraît pas tout à fait convaincu, Swaleh Ramjane évoque la smart card, qui ne pourrait pas être utilisée par les opérateurs marrons.
Mais le problème n’est pas uniquement du côté des usagers. Les chauffeurs et les receveurs sont tout aussi coupables. C’est Sunil Jeewoonarain, de la Mauritius Bus Owners' Cooperative Federation (MBOCF), qui l’affirme. « Il y a deux problèmes : d’abord le passager ne sait jamais combien de temps il devra attendre pour avoir son autobus. Ensuite les autobus individuels ont le gros défaut de rouler très lentement à certains moments. Les vans marrons n’ont pas ce problème », a-t-il expliqué. La solution existe déjà, selon lui : l’installation de GPS à bord de tous les autobus ainsi que la création d’un Passenger Information System (PIS), qui permet aux usagers de savoir en temps réel où se trouve l’autobus qu’il attend (voir encadré). Et de poursuivre : « Certains chauffeurs évitent par exemple d’entrer dans certains villages qui sont sur leur trajet. S’ils savent qu’on les suit à la trace, ils changeront automatiquement de mentalité. » Avec une telle solution, il ne serait plus nécessaire de mettre plusieurs inspecteurs sur les routes.
Les inspecteurs à la rescousse
Ces inspecteurs sont justement au nombre de 40, divisés en escouades de trois à six. La National Transport Authority (NTA) compte revoir leur façon d’opérer. « Sur certaines routes, les inspecteurs vont monter à bord des voitures incognito pour les prendre la main dans le sac », explique le commissaire de la National Transport Authority, Koshik Reesaul. Toutefois, pour les amendes aux usagers, aucune décision définitive n’a encore été prise.
Pour ce qui est de la ponctualité, Koshik Reesaul est d'avis que ce n’est qu’une question de temps avant que le PIS ne devienne une réalité. La NTA travaille déjà sur le PIS. « Sur certaines routes, on discute avec les coopératives pour étendre les heures d’opération au-delà de 18 h 00, dira Koshik Reesaul. Il y a aussi des régions qui se sont développées et nous faisons un 'survey' pour savoir dans quelles régions il faut allouer plus de permis de taxis par exemple. » Les régions de Bagatelle et Résidence Barkly devraient notamment en bénéficier.
Puis, il y a le Metro Express : « Avec le métro, les autobus iront dans les ruelles où les marrons opèrent actuellement. Cela va leur rendre la vie difficile. »
L’impact du Metro Express sur les compagnies d’autobus
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Jusqu’à Rs 200 000 de manque à gagner par jour
Sur chaque roupie qu’encaisse la UBS d’un passager, 80 sous servent à payer le carburant et le salaire des employés, observe Swaleh Ramjane, directeur de la compagnie d'autobus . « Il ne nous reste que 15 à 20 sous pour gérer la compagnie », a-t-il souligné. Si on y ajoute les estimations de Sunil Jeewoonarain, secrétaire de la MBOCF, sur ce que le mode de transport marron représente comme manque à gagner, le tableau qui en résulte est inquiétant : « Pour les 800 autobus de la coopérative, le manque à gagner varie entre Rs 100 000 et Rs 200 000 par jour. » Selon lui, si on parvenait à régler le problème de transport marron, on pourrait réduire les tarifs de Re 1 sur les trajets courts et de Rs 2 sur les longs trajets. À la CNT, on estime ce manque à gagner à Rs 4 millions par mois.
Malgré l’importance de ce manque à gagner et le pourcentage du ticket d’autobus qui est englouti dans les dépenses courantes, les chiffres indiquent que les principales compagnies d’autobus n’ont pas trop à s’en faire pour leur stabilité financière.
Lors de sa conférence de presse tenue jeudi sur les retombées du Metro Express, le ministre des Infrastructures publiques ,Nando Bodha, a dévoilé que la Compagnie nationale de transport (CNT) affichait un surplus de Rs 150 millions. Les compagnies privées d'autobus se portent plutôt bien également.
Pour l’année financière 2015-2016, la UBS a engrangé Rs 645,4 millions de chiffre d’affaires. Avec des coûts d’opération de Rs 565 millions, des revenus additionnels de Rs 27 millions et des frais administratifs de Rs 58,4 millions, entre autres, la compagnie de Swaleh Ramajane s’en sort avec des profits nets de Rs 27,8 millions.
Rose-Hill Transport (RHT) jouit aussi d'une stabilité financière. Le holding du groupe affiche un chiffre d’affaires Rs 241,5 millions pour la même année financière, des frais d’opération de Rs 196 millions et des revenus additionnels de Rs 39,8 millions. Les profits réalisés sont de Rs 14,2 millions.
S'agissant de Triolet Bus Service, ses comptes ne sont pas disponibles au Registrar.
Deva Armoogum, ex-directeur de la CNT : «Les taxis marrons satisfont des besoins qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain»
À quoi attribuer la popularité des transports dits « marrons » à travers le pays ?
Le transport est un produit comme tout autre et il est sujet aux lois de l’offre et de la demande. Si les taxis marrons prolifèrent, c’est qu’il y a un vide du côté de la demande qu’on ne peut combler par l’offre. Contrairement aux autres produits, le transport en commun a la spécificité d’être volatile à la fois en ce qui concerne l’offre et la demande. La demande ne peut être renvoyée hors des contraintes temporelles restreintes et l’offre ne peut être stockée sur des étagères comme des produits dans un supermarché. Donc, toute demande qui n’est pas satisfaite crée des frustrations chez les usagers alors que chaque siège vide implique des coûts considérables pour l’opérateur. Pour illustrer ce fossé, voyez l’exemple des milliers d’usagers qui ont recours aux taxis marrons pour arriver au boulot à l’heure. Plusieurs préfèrent même rester à la maison plutôt que d’arriver en retard.
Où situer les responsabilités : est-ce la faute des autorités, des opérateurs « marrons » ou des usagers ?
Tout système de transport qui cherche à satisfaire la demande partout et tout le temps est voué à rouler à perte. Il faut donc combler les trous en fournissant une alternative flexible. D’où l’existence des taxis marrons. Cependant, ils représentent un risque énorme pour les usagers qui se trouvent non seulement en situation irrégulière, mais mettent leur vie en péril dans des véhicules qui pourraient ne pas respecter les normes en matière de sécurité.
Quel impact l’imposition des amendes aux usagers des opérateurs « marrons » aura-t-elle sur ce phénomène, selon vous ?
Les amendes seront définitivement un gros moyen de dissuasion vu qu’aucun passager ne voudra prendre de risques inutiles avec leur argent. Toutefois, il faut encore savoir à quel point l’application de cette mesure sera efficace. Les conducteurs astucieux savent comment éviter les officiers qui appliquent la loi. Et de connivence avec leurs passagers, ils trouveront certainement le moyen de garder leur business. Nous savons aussi que certains d’entre eux ont de l’influence et trouveront un moyen de contourner la loi.
Quel serait le meilleur moyen de résoudre le problème, selon vous ?
Nous devrons faire ce que nous avons fait avec le transport public. À une certaine époque, la majorité du service était assurée par des opérateurs individuels, beaucoup d’entre eux se trouvant même en situation illégale. Après le rapport Lavoipierre, ils ont été regroupés en coopératives et compagnies privées. On devra faire la même chose. Une une fois ces opérateurs organisés en entités légales, ils doivent obtenir le soutien technique et financier pour investir dans une flotte de véhicules décents, pour se conformer aux règlements et aux normes opérationnelles. Nous devons nous rappeler que les taxis marrons satisfont des besoins qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain.
Avec l’arrivée du Metro Express, quel risque y a-t-il que les opérateurs « marrons » se multiplient autour des lignes « feeder » qui doivent desservir les stations ?
Il y aura certainement une plus grande demande pour les services des opérateurs marrons vu que les stations seront plus éloignées que les arrêts d’autobus, ce qui implique de plus longs trajets de marche. Si le service de transport par autobus doit être réorganisé pour cadrer avec les horaires du Metro Express, il y aura toujours un gros manquement au niveau des services requis qui devront être comblés par d’autres moyens. Un service bien organisé de taxis, avec peut-être des fourgonnettes plutôt que des voitures, pourra peut-être jouer ce rôle dans le système de transport actuel, entre la commodité du porte-à-porte avec les tarifs élevés des taxis et le service planifié et abordable du transport commun. Espérons que les autorités travaillent dans cette direction pour le bien de tous les citoyens et opérateurs.
La solution du GPS et du Passenger Information System
Dans le domaine du transport en commun, la solution passe aussi par l’informatisation. Si plusieurs de nos interlocuteurs sont d’accord pour dire que l’utilisation du GPS pourrait permettre de localiser chaque autobus en temps réel, même par le passager, sa mise en pratique n’est toutefois pas acquise. C’est ce qu’ont découvert de jeunes entrepreneurs qui ont fondé Smart Logic, firme spécialisée dans le service GPS et le Passenger Information System (PIS) pour les compagnies de transport. Les opérateurs ne s’intéressent tout simplement pas à cette option pourtant peu coûteuse.
« Notre service permet au passager de savoir exactement où se trouve l’autobus qu’il attend et à quelle heure il va arriver », a expliqué Beelur Rohess Kumar, directeur de Smart Logic. Le Blue Box, appareil GPS développé par les fondateurs de la compagnie, placé à bord de chaque autobus, envoie des données en temps réel au serveur de Smart Logic. L’usager peut télécharger l’application Android sur son téléphone et suivre ainsi l’évolution du véhicule.
Le service est utilisé par Sunil Jeewoonarain, secrétaire de la MBOCF, pour la route 189, Ébène - Flic-en-Flac et la route 120, Port-Louis - Baie-du-Cap. Toutefois, il est le seul client de Smart Logic, a souligné Beelur RohessKumar : « Nous avons contacté plusieurs compagnies d’autobus et les coopératives, mais elles ne sont pas intéressées. Ce n’est pas un problème pour elles, si les passagers n’ont pas leur autobus à l’heure », soutient-il.
Bus feeders : la fin des transports marrons ?
Le métro léger va forcer les principales compagnies du transport public à alimenter un réseau de bus 'feeder' ou de rabattage. Ce qui les poussera à prévoir des minibus 'tip-top' jusque devant les portes des potentiels passagers dans certains cas. Avec un tarif estimé en moyenne à Rs 15, ces autobus devraient pouvoir concurrencer les transports marrons. Pour les compagnies d'autobus elles-mêmes, le système est également avantageux. Le ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha, a donné des estimations à ce sujet la semaine dernière. Ainsi, de Curepipe à Port-Louis, avec le tarif actuel de Rs 36 et les 27 kilomètres, les compagnies empocheront Rs 1,50 sur chaque kilomètre. Par contre, sur des trajets courts de 4 kilomètres, avec un ticket à Rs 15, ils auront à Rs 5.
La profitabilité pour les opérateurs, d'une part, et le tarif abordable pour les passagers, d'autre part, laissent espérer que le système pourra concurrencer les transports parallèles.
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