Après avoir pris des positions divergentes concernant la remise en liberté sous caution de l’activiste Bruneau Laurette et de l’avocat Akil Bissessur, le commissaire de police Anil Kumar Dip a décidé, une fois de plus, de ne pas faire appel aux services des avocats du bureau du DPP. Des juristes apportent un éclairage sur la cohabitation de ces deux postes selon la Constitution.
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Le conflit entre le bureau du commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip et celui du Directeur des poursuites publiques (DPP) Me Rashid Ahmine s’est intensifié cette semaine. Dans l’affaire de vente frauduleuse de cuivre de Mauritius Telecom (MT), impliquant notamment Sherry Singh, l’ancien Chief Executive Officer, le chef inspecteur Pratabsing Sandoram (Police Prosecutor) a informé la cour, le mardi 27 juin, que le commissaire de police a engagé un avocat du secteur privé, contournant ainsi la pratique habituelle de faire appel aux avocats du bureau du DPP. Pourtant, le commissaire de police et le DPP sont censés collaborer dans les affaires criminelles.
Leurs pouvoirs respectifs
Le poste de CP est régi par l’article 71 de la Constitution, et celui du DPP par l’article 72, précise Me Antoine Domingue. En vertu de l’article 71 de la Constitution, ajoute Me Taij Dabycharun, le CP est « seul responsable des opérations de la force policière ». Il explique toutefois que le Premier ministre ou tout ministre mandaté par ce dernier peut donner certaines directives à la police. Cela s’inscrit dans le cadre d’une politique précise dans le respect du maintien de la sécurité publique et de l’ordre public.
De son côté, le DPP a le pouvoir d’engager et de mener des poursuites pénales devant toute cour de justice, précise Me Taij Dabycharun. « En vertu des pouvoirs conférés par l’article 72 de la Constitution, le DPP peut prendre en charge et poursuivre toute procédure pénale initiée par une personne, ainsi que mettre fin à la procédure pénale avant qu’un jugement ne soit rendu. » C’est le DPP qui délègue aux policiers et à toute autre personne le pouvoir de poursuivre en son nom devant toute juridiction. « En résumé, la police mène des enquêtes et maintient l’ordre public, tandis que le DPP engage des poursuites pénales », explique-t-il.
Qui a le dernier mot ?
Qu’en est-il du pouvoir de décision entre le DPP et le CP concernant l’opposition ou non aux demandes de remise en liberté sous caution ? Me Antoine Domingue est catégorique : « Le dernier mot revient au DPP. »
Quand le CP peut-il contester une décision de la cour concernant la remise en liberté d’un prévenu ?
« Il peut le faire lorsque le tribunal rejette les objections de la police à la remise en liberté sous caution d’un prévenu, conformément aux dispositions du Bail Act de 1999. Le délai imparti pour contester cette décision est de sept jours », explique Me Antoine Domingue.
À la question de savoir si un avocat peut assister la poursuite, le Senior Counsel répond que « les avocats du privé ne devraient pas se prêter à ce jeu-là, car ils sont conscients qu’ils ne peuvent assister la poursuite qu’après avoir sollicité et obtenu le ‘fiat’ du DPP ». Il met en garde contre le non-respect de cette règle, qui entraînerait la désapprobation de la cour, ainsi que des sanctions disciplinaires.
Me Taij Dabycharun apporte des précisions. Lorsque l’affaire est encore au stade d’une accusation provisoire, le CP a la possibilité de faire appel à un avocat du privé, explique-t-il. Cependant, lorsque l’affaire principale est instruite, un avocat du privé souhaitant mener la poursuite doit obtenir l’autorisation préalable du DPP, souligne-t-il.
« Faire appel aux services d’un avocat privé pour contester la décision du DPP dans une affaire au stade d’une accusation provisoire est une question sur laquelle la Cour suprême devra statuer, car cela ne s’est jamais produit auparavant », fait ressortir Me Taij Dabycharun. Il avance que déposer une accusation provisoire devant un tribunal relève de la compétence du CP. « Cependant, une fois que l’affaire principale est déposée, cela relève exclusivement de la compétence du DPP », affirme-t-il.
Comment apaiser la situation ?
Me Taij Dabycharun suggère que la Cour suprême se prononce sur cette question et établisse une ligne directrice claire. Il estime que c’est la seule solution pour mettre fin au conflit entre les deux institutions. De plus, il est d’avis que la Cour suprême devrait définir précisément ce qu’est une procédure pénale, ce qui permettrait de délimiter les rôles respectifs de la police et du DPP.
Pour Me Antoine Domingue, il est bien connu qu’il existe un adage selon lequel « quand la politique entre au prétoire, la justice en sort ». Il souligne que la loi régissant la liberté sous caution, à savoir le Bail Act de 1999, ne prévoit pas explicitement ou implicitement une telle situation. « Le tribunal n’est pas tenu d’arbitrer toute divergence d’opinion pouvant survenir entre le CP et le DPP. La meilleure chose à faire, à mon avis, est que la décision du DPP prévale, à moins qu’il y ait une révision judiciaire du processus décisionnel du DPP basée sur les motifs énoncés dans l’affaire Mohit v DPP (2006) par le Conseil privé », fait valoir Me Antoine Domingue.
De son côté, Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, estime que la solution à cette crise entre ces deux postes constitutionnels réside auprès d’un autre poste constitutionnel, à savoir le président de la République de Maurice. « Il est le gardien de notre constitution. Je pense qu’il doit voir ce qu’il se passe dans le pays. Il a un rôle prépondérant à jouer dans cette affaire. Il doit pouvoir réunir les deux titulaires au poste de DPP et du CP respectivement autour d’une tasse de thé pour une médiation », souligne le Senior Counsel.
Ceci dit, poursuit Me Sanjay Bhuckory, « le CP ne peut pas changer les règles du jeu du jour au lendemain ».
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