Dans cet entretien, Me Sanjeev Teeluckdharry revient sur sa convocation par la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. Il explique aussi pourquoi il a fait une demande d’injonction. Le « Deputy Speaker » parle également de ses liens avec le détenu Peroomal Veeren.
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Alors que plusieurs avocats défilent devant la commission d’enquête sur la drogue, vous avez choisi de vous tourner vers la Cour suprême pour demander une injonction. De quoi avez-vous peur ?
Je n’ai peur de rien. Au contraire, j’ai toujours signifié mon intention to assist the Commission in a meaningful manner, mais subject to my professional duty of confidentiality envers mes clients. Et cela, en vertu de l’article 300 du Code pénal.
Dans ce cas, pour quelles raisons demandez-vous une injonction ?
Il est vrai que j’ai logé une affaire en cour. Je veux, en fait, connaître les détails sur lesquels la commission souhaite m’interroger. Car la lettre de convocation que j’ai reçue n’est pas conforme à la Commission of Inquiry Act. J’ai d’ailleurs informé la commission que j’ai de sérieuses réserves sur des termes tels que « conduct, dealing, association with prisoners », utilisés dans la correspondance, car c’est en ma qualité d’avocat que mes services ont toujours été retenus.
Pourquoi accordez-vous autant d’importance à ces détails ?
Parce que c’est difficile pour moi de me rappeler de tous les clients auxquels j’ai rendu visite en prison pendant les 16 dernières années que j’ai exercé au barreau. J’ai demandé à la commission de me fournir les noms des prisonniers et des prisons concernés, la période en question et d’autres documents, mais elle a refusé de donner ces informations.
J’ai alors demandé à mes confrères Rama Valayden, Nandraj Patten et Yash Balgobin d’écrire à la commission pour demander ces particulars. La commission a de nouveau refusé de façon laconique. J’ai donc demandé à la cour de statuer.
Il est impérieux de faire ressortir que, dans les affaires pénales, civiles et disciplinaires, on est entitled to full and frank disclosure and to particulars. Depuis 1966, les commissions d’enquête et les public inquiries sont régies par les six principes cardinaux connus comme les Salmon Principles. Ils ont été énoncés à la suite de l’affaire Profumo, présidée par Lord Denning. Selon moi, la commission d’enquête sur la drogue devrait observer ces principes de base dans les situations où the mere convening of a person may result in substantial reputational damage to him.
Qu’avez-vous à dire à la commission ?
Je lui conseille de revoir sa façon de procéder pour atteindre son objectif, au lieu de mener une chasse aux sorcières qui alimente la presse à sensation au quotidien. La profession d’avocat reste une vocation noble. On ne doit pas faire de cette profession, qui est un sacerdoce, un métier. Je lancerai au président de la commission d’enquête les propos qu’il tenait toujours face aux jurés en cour d’assises, du temps où il était juge : « You have to sift the wheat from the chaff. »
Parlez-nous de votre client Peroomal Veeren. Depuis quand le connaissez-vous ? Comment êtes-vous devenu son avocat ?
Je le connais depuis longtemps. Toute autre information est priviledged. Si vous consultez les documents du domaine public, tels que les Court Records de la cour de Curepipe, ainsi que ceux de Rose-Hill et de la cour intermédiaire, vous verrez que j’ai été son avocat. Vous vous apercevrez aussi que ces cas ne sont pas tous liés à des affaires de drogue.
La commission a fait mention de « unsollicited visits ». Qu’en est-il au juste ?
La commission aurait dû faire un peu de homework. Toutes les personnes auxquelles j’ai rendu visite en prison ont demandé à me voir personnellement, soit par le biais de lettres envoyées du pénitencier, soit à travers des appels effectués par des Welfare Officers de la prison ou par leurs proches. Les records de la prison sont déjà en possession de la commission. Parmi figurent des registres concernant les correspondances envoyées par des prisonniers à des avocats. Et je tiens à préciser qu’il y a bon nombre de cas dans lesquels la cour m’a nommé d’office sous le Legal Aid.
« La prison n’est pas un goulag. Les prisonniers ont, eux aussi, des droits. Ils ont toujours droit à un conseil légal, ne serait-ce que pour des besoins administratifs »
Les détenus auxquels j’ai rendu visite sont des clients ayant retenu mes services pour obtenir un conseil légal et pour que je les représente dans des procès. Cela pouvait concerner des demandes de caution devant une cour de district ou la Bail and Remand Court. Il pouvait aussi s’agir de requêtes pour des remises de peine en Cour suprême (soit pour contester une mandatory sentence ou un minimum sentence, ou encore pour demander que le temps passé en détention préventive soit déduit de la peine). La commission aurait dû consulter ces Court Records du Registry de la cour avant de faire des allégations et qualifier ces visites de « unsollicited ». C’est de l’amateurisme.
Quid des appels téléphoniques de la prison ?
La commission m’a demandé des éclaircissements au sujet de six appels téléphoniques passés en prison, sur un an, vers mon téléphone, mais il n’y a aucun moyen pour moi d’en connaître la provenance. D’ailleurs, je reçois beaucoup d’appels tous les jours. Quand je suis en cour, je n’en prends aucun. J’envoie un texto à la personne disant que je la rappelerai plus tard. Je retourne l’appel, même si je reçois un missed call.
Normalement, si je reçois un appel de la prison, on me dit toujours : « Je suis tel Welfare Officer de telle prison. Maître, je vous téléphone de la part de votre client, M. Untel, qui veut vous dire deux mots. »
Il est donc difficile pour moi de savoir si c’est un appel officiel ou pas. Je ne peux pas non plus dire s’il s’agit d’un véritable Welfare Officer ou d’un imposteur. D’ailleurs, la commission m’a dit qu’il y a un prisonnier qui utilise son cellulaire en prison et qui le prête à d’autres détenus, contre de l’argent, pour qu’ils passent des appels. Pourtant, aucun prisonnier n’est censé avoir de téléphone portable et de carte SIM.
Peroomal Veeren a retenu les services de plusieurs avocats, dont Gavin Glover, S.C, Hervé Duval, S.C, Sanjay Bhuckory, S.C, Rex Stephen ou encore Guy Ollivry, Q.C. Pourquoi vous avoir sollicité, alors qu’il avait déjà tout un panel ? Pensez-vous que tous ces hommes de loi seront convoqués ?
Je peux avoir tort, mais je crois que les avocats qui donnent/recommandent des arbitrages commerciaux à des juges ne seront pas convoqués. Concernant Peroomal Veeren, je tiens à préciser que sa mère a retenu mes services pour plusieurs affaires entendues en cour de Curepipe ou de Rose-Hill et en cour intermédiaire, dans lesquelles je l’ai représenté durant plusieurs années, avant d’être remplacé.
Comment vous a-t-il payé ?
Tout est privileged. En règle générale, je peux vous dire que ce sont toujours les parents proches du détenu qui me paient. Dans le cas d’étrangers que j’ai été appelé à représenter, certains m’ont payé à travers le Consul honoraire de leur pays.
Quand vous avez reçu le paiement de vos honoraires de clients accusés dans des affaires de drogue ou de vol, avez-vous mené une « due diligence » pour vous assurer que l’argent ne provenait pas du trafic de drogue ou d’un butin ?
Bien sûr. J’ai toujours refusé de prendre de l’argent sale ou que je soupçonnais de provenir d’activités illicites. Je me rappelle d’une affaire de laquelle j’ai dû me retirer. J’avais des doutes quant à la provenance de l’argent qui m’avait été versé pour mes honoraires. J’avais remis l’argent au Central Criminal Investigation Department afin qu’il mène une enquête.
Dans quelles circonstances un avocat peut-il rendre visite à son client ?
Il me semble que la commission a des difficultés à comprendre les avocats qui exercent au pénal. On reproche à ces derniers de rendre visite à des personnes condamnées pour trafic de drogue et dont les appels ont été rejetés. Ce que je trouve absurde. La prison n’est pas un goulag. Les prisonniers ont, eux aussi, des droits. Ils ont toujours droit à un conseil légal, ne serait-ce que pour des besoins administratifs. Par exemple, des plaintes à déposer à la National Human Rights Commission au sujet de leurs conditions de détention ou des demandes à remettre à la Commission de pourvoi en grâce. Il peut s’agir aussi de remises de peine, vu l’évolution de la jurisprudence.
Dans le passé, vous avez eu quelques démêlés avec le Bar Council pour « non-respect » du code d’éthique, notamment dans l’affaire Michaela Harte et concernant votre déclaration contre le Directeur des poursuites publiques dans l’affaire Gooljaury. Où en est la situation ?
L’affaire Michaela Harte est sans doute le procès aux assises le plus long et le plus médiatisé par la presse internationale. BBC News m’avait même décrit comme « The tenacious outspoken lawyer ». Mon travail d’avocat a été suivi et commenté quotidiennement sur plusieurs chaînes de télévision irlandaises. J’ai même reçu une centaine de lettres. Cela a, sans doute, attisé beaucoup de jalousie. En tant qu’avocat, mes services ont été sollicités dans pas mal de high-profile cases pendant les 16 dernières années.
Malheureusement, c’est le prix à payer pour cette ascension fulgurante. Vous savez que tous les grands avocats ayant exercé au pénal à travers le monde ont eu un parcours parsemé d’embûches. Sir Gaëtan Duval, Q.C, et Jacques Verges, entre autres, n’ont pu y échapper.
L’opposition réclame votre démission. Que répondez-vous à cela ? N’est-ce pas plus honorable de « step down » ?
Mon travail de Deputy Speaker est distinct de ma profession d’avocat. J’ai toujours fait mon travail d’avocat avec intégrité et professionnalisme. Je poursuivrai celui de Deputy Speaker avec autant de panache. Je ne prends pas au sérieux les propos d’un politicien qui enchaîne les échecs et demande la dissolution du Parlement tous les jours.
Dans son rêve égoïste de devenir Premier ministre, il finit par devenir premier sinistre. À ceux qui me demandent de step down, je dis de loger un Constitutional Challenge en Cour suprême ou de déposer une Motion of no Confidence à l’Assemblée nationale.
Paul Lam Shang Leen a fait ressortir, à plusieurs reprises, que je ne suis accusé de rien. De toute façon, même si on est accusé de quelque chose, on est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.
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