Interview

Me Dev Ramano : «Que la grève soit un droit fondamental pour les employés»

Me Dev Ramano Me Dev Ramano

L’avocat Dev Ramano, lui-même, qui a déjà participé à l’organisation d’une grève, évoque les étapes que des employés doivent appliquer avant de se lancer dans une grève. Pour lui, la grève doit être un droit fondamental inscrit dans la Constitution pour les employés.

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Parlez-nous de l’histoire de la grève durant ce dernier demi-siècle ?
Traiter ce sujet serait néfaste si on se limite qu’à l’aspect technico-légal. Ainsi, je recommande aux jeunes et aux salariés de visiter le pamphlet bilingue que mon ami Ram Seegobin vient de sortir « August 79: The principles that govern strikes as they unfurl ». C’est pertinent et magistralement exposé.

Les grandes grèves, parsemées d’emprisonnements des militants politico-syndicaux et des grèves de la faim ont marqué l’histoire de notre pays, notamment celles1971 et de 1979. Ces deux opérations spectaculaires de rapport de forces entre les classes dominées et dominantes sont parvenues à faire tourner la roue de l’histoire en termes de droits et de gains dans les conditions de vie des masses. Ces mêmes salariés ont été relégués dans une paralysie infernale par les nouveaux codes de travail qu’étaient les lois scélérates, notamment l’« Industrial Relations Act » ( IRA)  et la « Labour Act » promulgués au début des années 70.

Le droit de grève fut confisqué par le gouvernement Parti travailliste/Parti mauricien social démocrate (PTr/PMSD) d’alors. Toute action de grève était décrétée illégale depuis 1972/73.

Parallèlement, la Public Order Act (POA) (aujourd’hui la Public Gathering Act (PGA)) était  promulguée, restreignant la liberté de mouvement et de rassemblement.

En 1979, suite aux grèves générales, sous l’IRA, le pays connut des vagues de licenciements massifs les plus importants de son histoire (Port, Transports, Industries sucrières, entre autres). L’essence de ces lois reflétait la nature du régime au pouvoir à cette époque. Le monde des salariés a connu milles combats contre ces législations répressives niant surtout le droit de grève.

«Il faut que le droit de grève soit inscrit dans la Constitution comme droit fondamental.» 

La loi a changé. Qu’en est-elle ?
Suite aux divers combats menés, les grandes promesses électorales démagogiques n’ont permis, cette fois-ci, la promulgation de l’Employment Relations Act (ERA) en 2008 en remplacement de l’IRA.

C’est aussi le résultat des grandes trahisons politiques. Le programme électoral du Mouvement militant mauricien (MMM) d’Anerood Jugnauth et de Paul Bérenger en 1982 lisait comme suit : « Ainsi le MMM, dès le début de la première session de la nouvelle assemblée législative, de prendre les mesures suivantes : proposer un amendement à la Constitution afin d’y proclamer solennellement, à l’article 3, le droit des travailleurs de se syndiquer et le droit des travailleurs à la grève. Cet amendement ferait de l’Industrial Relations Act une loi anticonstitutionnelle et empêcherait tout futur gouvernement de droite de faire voter un nouvel IRA… ».

Qu’en est-il du droit de grève des employés ?
Avec l’avènement de l’ERA 2008, les employés peuvent entamer des grèves légales en se conformant à certaines procédures spécifiques. Cela paraît comme un droit donné par la grande porte et est confisqué par la petite lucarne. Une grève légale, qui ne peut être que sectorielle, peut être annihilée par d’autres provisions de la même législation, avant qu’elle ne soit entamée. Les grèves de solidarité sont bannies. Conséquemment, une grève générale serait de facto illégale et impossible dans le cadre légal existant.

Peuvent-ils tenir une grève sans une autorisation préalable ?
On ne demande pas l’autorisation pour déclencher une grève. Le syndicat des employés se met en état pour avoir recours à la grève et avise l’employeur et les autorités concernées. Au préalable, les parties doivent traverser plusieurs étapes. Elles doivent entreprendre des négociations collectives prévues sous les articles 53 et 54 de l’ERA.

Le non-aboutissement de celles-ci engendre la remise du dossier du litige à la Commission for Conciliation and Mediation (CCM), et ce à l’initiative du syndicat sous l’article 64.

L’impasse au niveau des exercices de conciliation et de médiation, à ce stade, place les parties face à deux options. Soit, par consentement mutuel, le litige est envoyé à l’Employment Relations Tribunal (Sec.69(7)) pour être tranché, soit en absence d’accord, les procédures pour la grève sont enclenchées par le syndicat.

Y a-t-il des étapes que doivent respecter les syndicats avant que les employés se mettent en grève ?
À partir du «  dead lock » à la CCM, les articles 76, 77, et 78 de l’ERA sont activés. Remarquons que l’article 76 mentionne « every worker has the right to striée ». Contradictoirement, l’article77(1) prévoit un non-droit à la grève en relation avec un litige individuel.

De la sortie rapport de la Commission sur le « deadlock », selon l’article 69(6), le syndicat peut avoir recours à la grève dans un délai de 45 jours et comme le prévoit l’article 78, elle est dans l’obligation d’organiser un vote à bulletin secret pour  tous les employés, syndiqués ou non, à l’unité de négociation concernée par le litige de l’entreprise.

Suite au vote, une majorité absolue doit être requise pour pouvoir enclencher la grève. Si celle-ci est avérée, le syndicat est tenu de faire part dans un délai de pas moins de dix jours avant de la déclencher au ministre du Travail et à l’employeur.

Quelles sont les conséquences d’une grève sur le contrat de travail de l’employé ?
Il faut signaler que l’article 76 (2) de l’ERA prévoit que les travailleurs peuvent enclencher une action de grève instantanément nonobstant les procédures décrites plus haut, s’il existe des conditions sur le lieu du travail qui peuvent mettre en danger la vie et la sécurité des employés ou si plus de 50 % de leurs effectifs n’ont pas été rémunérés durant la période prescrite. En ce qui concerne le contrat de travail, la participation à une grève légale n’entraîne pas la rupture de celui-ci. Par contre, les travailleurs ne seront pas rémunérés de leurs jours de grève. Et l’employeur n’est pas tenu responsable des possibles préjudices corporels et moraux subis par l’employé qui se met en grève.

Il faut que le droit de grève soit inscrit dans la Constitution comme droit fondamental.

Anecdote

Dev Ramano a été très  actif pendant la grève d’août 1979. À cette époque, il était étudiant. Il avait été arrêté à Quartier-Militaire, autour de l’usine sucrière de Mon Désert Alma, en compagnie de Jérôme Boulle, député du MMM à l’époque et un laboureur qu’on surnommait affectueusement sous le sobriquet de « vagabond ». Les trois étaient poursuivis en vertu de la Public Order Act (POA) devant le tribunal de Moka. Ils avaient écopé chacun d’une amende. Le procès était présidé par Rachid Jeewah, qui serait éventuellement député du MMM. La poursuite n’était autre qu’Eddy Balancy, aujourd’hui Senior Puisne Judge à la Cour suprême. La défense des trois militants était assurée par Madun Dulloo, aujourd’hui dirigeant du MMM.

 

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