L’observateur politique estime que Sooroojdev Phokeer a rendu service à la nation en soumettant sa démission en tant que Speaker de l’Assemblée nationale mardi. Lindsay Rivière est toutefois d’avis que le Deputy Speaker, Zahid Nazurally, aurait pu présider les trois prochaines séances en attendant les vacances parlementaires.
Tout semble indiquer que Xavier-Luc Duval, le leader du PMSD, a obtenu la tête de Sooroojdev Phokeer, l’ancien Speaker de l’Assemblée nationale. La pression politique a joué un rôle déterminant dans la démission de Sooroojdev Phokeer. Quelle est votre lecture de cette situation inédite et quelles leçons doit-on en tirer ?
Il est certain que la démission de Sooroojdev Phokeer comme Speaker a été un préalable, une des conditions essentielles posées par Xavier-Luc Duval et acceptées par le Premier ministre pour faire avancer les discussions menant à une alliance électorale MSM/PMSD. Il n’y a jamais de coïncidences en politique à Maurice. Tout obéit à des calculs, des stratégies, des positionnements.
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Quoi qu’on puisse penser de cette alliance, faire partir Phokeer est quelque part un sacré service rendu au pays car la situation parlementaire était devenue intenable, intolérable et une honte pour le pays, en termes d’image internationale, de dignité et respectabilité de nos institutions et d’efficience du Parlement, qui est un des piliers de notre démocratie.
Il faut donc en conclure que l’alliance MSM-PMSD-Linité Militant/ML est déjà pratiquement faite et qu’il n’y a plus qu’à arrondir quelques angles. D’autres têtes pourraient tomber, d’autres concessions accordées, ce qui indiquera également le degré de volonté de Pravind Jugnauth ou la nécessité politique pour lui de conclure rapidement et à tout prix cet accord électoral avec le PMSD.
Comment qualifier les cinq ans de mandat de Sooroojdev Phokeer au parlement ?
Un désastre démocratique absolu ! Je l’ai dit dans vos colonnes jeudi : « Personne ne regrettera Sooroojdev Phokeer comme Speaker ». Le Parlement est une des composantes majeures de l’État. C’est de lui qu’émanent l’Exécutif et les lois. Il constitue la voix de la nation et, comme le dit fréquemment Arvind Boolell avec justesse, il est « le temple de la démocratie ».
Pendant cinq ans, sous le Speakership de Phokeer, le Parlement a fonctionné comme un grand bazar, sujet aux caprices et aux humeurs d’un seul homme, conditionné par sa lecture très controversée des règles parlementaires. Pendant cinq ans, l’opposition a été empêchée de faire correctement son travail comme un relai essentiel des préoccupations des citoyens.
Je n’ai jamais compris comment Pravind Jugnauth a imposé Phokeer au pays pendant cinq ans, ne tenant aucun compte de l’opinion publique, ni comment Paul Bérenger n’a jamais voulu révéler tout ce qu’il disait savoir sur le personnage comme ex-Premier ministre. Alors que l’opinion publique mauricienne s’étranglait d’indignation devant la situation parlementaire, le monde extérieur et les ambassades présentes à Maurice riaient de nous, de l’état de ‘Banana Republic’ vers lequel nous glissions lentement. M. Phokeer n’a jamais été à la hauteur du poste très important qu’il occupait.
Faut-il revoir la façon de nommer le Speaker ?
Il n’y a aucun besoin de revoir le mode de nomination ou de fonctionnement du Speaker. Celui-ci est élu par les parlementaires et toutes les règles parlementaires sont clairement définies. Aux partis et députés eux-mêmes de prendre leurs responsabilités. Ce sont les hommes et les femmes qui font la valeur des institutions. Tout dépend de l’idée que les gens se font de leurs fonctions. Le Speaker est protocolairement un des quatre principaux personnages de l’État mauricien. Il faut qu’il se comporte en conséquence pour se faire respecter. C’est à chaque Speaker de se définir.
Comment interprétez-vous le timing de cette démission, qui intervient à quelques mois des élections générales ?
Je pense que Pravind Jugnauth et ses principaux ministres et conseillers sont arrivés à la conclusion que le Speaker, par son excès de zèle intempestif, était devenu un embarras certain et un poids lourd politique pour le gouvernement, sans compter une arme électorale majeure pour l’opposition. Il fallait crever l’abcès et trancher au plus vite pour faire avancer l’accord MSM/PMSD.
Quelques mots sur la nomination controversée d’Adrien Duval au poste de Speaker de l'Assemblée nationale ?
Personnellement, j’estime que cette nomination d’Adrien Duval en tant que Speaker était prématurée. Il eut mieux valu attendre la fin de la présente législature, l’accord électoral formel, les élections et le rappel du prochain Parlement l’année prochaine avant d’effectuer cet important changement, si le MSM/PMSD remportait les élections. Entre-temps, le Deputy Speaker actuel, M. Zaid Nazurally, qui avait su gagner le respect de la Chambre, dans la logique des choses aurait pu faire l’affaire pour les trois séances qui restent.
Quant aux problèmes judiciaires d’Adrien Duval, il est sûr que cela ne l’aide pas à se faire accepter, mais ce sera aux tribunaux de décider des procès engagés. Fera-t-il un bon Speaker ? Je le connais très peu. On verra bien. Il est avocat (une condition utile du Speakership), il a été parlementaire et Deputy Speaker en 2014-16. Je le crois assez intelligent pour savoir ce qui est attendu de lui pour restaurer l’image et le prestige du Parlement et pour rétablir une certaine normalité dans l’hémicycle. Adrien Duval a une chance unique, à son âge, d’occuper une des places les plus importantes dans les structures de l’État. On verra bien ce qu’il en fera et quelle image il projettera du Parlement d’ici les élections.
La nomination d'Adrien Duval était-elle l’ultime moyen de démontrer que l’alliance MSM-PMSD est en cours ? Quelles sont vos attentes par rapport à cette alliance ?
L’alliance est pratiquement conclue. Que faut-il en penser ? À partir du moment où le PMSD s’est senti mal à l’aise aux côtés du MMM dans l’alliance de l’opposition, le reste était devenu largement prévisible. En se dissociant du PTr/MMM, il ne restait au PMSD que l’option MSM. Je le dis et redis depuis toujours, il n’y a pas de salut politique à Maurice hors des grands blocs. Toute autre démarche est suicidaire. La preuve ? Même Rezistans ek Alternativ, autrefois d’extrême-gauche, choisit aujourd’hui de se joindre au bloc PTr/MMM pour faire avancer ses idées.
Beaucoup de gens pensent que la démarche de Xavier-Luc Duval de se joindre à un parti de gouvernement qu’il a tellement critiqué est suicidaire. Ce sera à lui de convaincre l’opinion publique du contraire. Sur le papier, l’alliance MSM-PMSD devrait renforcer les chances du MSM à des élections qui s’annoncent extrêmement difficiles et serrées. Après tout, le MSM et le PMSD ont gagné ensemble les élections de 2014. Si le gouvernement MSM/PMSD a éclaté en 2016, c’était sur une question de principe évoquée par Xavier-Luc Duval (le Prosecution Bill et ses conséquences pour le rôle du DPP). S’ils gagnent ces élections ensemble, Xavier-Luc Duval voudra sans doute cette fois encore veiller à une meilleure gouvernance et éviter d’autres excès.
Au niveau du PMSD et du MSM, on soutient que l’alliance n’est pas faite. Mais la nomination d’Adrien Duval ne vient-elle pas démontrer le contraire ? Pensez-vous que la venue du PMSD risque de provoquer des vagues au niveau des partenaires du MSM ?
Probablement quelques remous, mais rien de bien sérieux ! Le ML et Linite Militant sont tous dans le même bateau et c’est le PM qui décidera. D’ailleurs, quelles autres options ont-ils ? Partir ? Notez que le DPM actuel, Steve Obeegadoo, a déclaré dans une interview de presse qu’il n’était pas « accroché à ce poste de DPM » et qu’il ne s’opposerait pas à l’arrivée de Xavier-Luc Duval si cela rendait le gouvernement plus efficace.
Enfin, les alliances à Maurice visent à assurer une représentation ethnique équilibrée. Il serait donc dans l’ordre des choses que le poste de DPM soit confié à Xavier-Luc Duval.
On dit que tout est possible en politique. Pensez-vous qu’une telle alliance pourrait convaincre ?
Beaucoup de choses entrent dans la décision des électeurs, pas seulement le choix de partenaires électoraux. Ce n’est qu’un élément parmi d’autres. La prochaine bataille électorale sera très serrée, si l’on croit les sondages et observations. La victoire peut basculer d’un camp comme dans l’autre, surtout avec 50 % d’indécis et une énorme colère sociale avec les prix et la difficulté de vivre.
Dans cette perspective, Pravind Jugnauth souhaite donc brasser le plus large possible et il ne fera pas la fine bouche devant une alliance avec le PMSD. Une des tactiques politiques préférées de sir Anerood Jugnauth était, entre 1983 et 2014, de changer d’alliés à chaque élection, d’effectuer une purge de tous ceux qui ont fait l’objet de controverses et de présenter tout le temps de nouveaux visages à l’électorat. Je suis sûr que Pravind Jugnauth suivra ses pas et fera exactement la même chose.
Pensez-vous que les élections générales se tiendront plus tôt que prévu en raison de la conjoncture actuelle ?
Oui. Ce sera octobre ou décembre. Sinon, pourquoi assisterait-on à tout ce remue-ménage ? Il n’y aura pas d’élection partielle au No 10. D’autre part, si Pravind Jugnauth ne bouge pas vite, il perdra l’impact du Budget et de l’arrivée à ses côtés de Xavier-Luc Duval. L’opposition devrait se mettre déjà en ordre de bataille pour ne pas être prise par surprise.
Le ‘Political Financing Bill’ n’a pas obtenu la majorité des trois-quarts pour être voté. Pensez-vous que c’était une démarche sincère du gouvernement ?
Non ! C’était une démarche tactique pour placer la responsabilité de l’échec de la réforme électorale sur l’opposition. Le résultat du vote au Parlement était prévisible, vu les réserves du MMM depuis des années sur plusieurs dispositions du financement politique par l’État et la majorité de trois-quarts requise. Je crois que cette question de financement politique par l’État est une des plus grandes fumisteries de ce pays et que la position des partis sur cette question constitue une énorme hypocrisie. Au fond, personne en politique ne veut vraiment que les comptes des partis soient enregistrés, audités et transparents.
C’est un scandale : Si un petit club de carrom qui fonctionne avec quatre sous ne soumet pas ses comptes au Registrar of Associations chaque année, ses dirigeants font face aux magistrats. Les partis politiques, eux, brassent des centaines de millions de roupies, voire des milliards, sans avoir à soumettre des comptes audités à quiconque. C’est incroyable ! J’ai toujours été contre le financement par l’État des partis. Ils ne feront qu’empocher l’argent des contribuables, tout en continuant à recevoir discrètement des centaines de millions de roupies non-auditées de donateurs privés.
Quelques mots sur l’alliance PTr-MMM-ND…
L’alliance de l’opposition a réussi un grand coup le 1er-Mai avec son meeting. On lui donne, dans des sondages, victorieuse par quelques sièges aux prochaines élections, qui seront très serrées. La raison principale est que l’opposition surfe sur une forte vague de mécontentement public devant les difficultés du quotidien, les prix et la gouvernance de l’État etc. Ces situations ne s’en iront pas : les prix vont continuer à monter, avec la dévaluation de la roupie, les hausses du fret maritime, l’inflation et la rapacité des commerçants.
Par ailleurs, l’alliance PTr-MMM-ND semble être devenue un bloc plus homogène. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger veulent élargir leur soutien en restant ouverts à des accommodements avec les petits partis. De l’autre côté, la stratégie de troisième voie de Linité Moris et du Reform Party risque de faire du tort électoralement au PTr-MMM-ND en les privant de quelques milliers de votes ici et là. Ce qu’on peut dire, en tout cas, c’est que ce sera dans les semaines ou mois qui viennent une bataille électorale palpitante où chacun conservera ses chances jusqu’à la fin.
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