
Un ex-ministre arrêté à deux reprises, inculpé autant de fois pour fraude, puis libéré sous caution, l'ancien directeur de la banque centrale accusé dans les mêmes dossiers : la paradisiaque île Maurice connaît un cyclone politico-financier alors qu'arrive le président français Emmanuel Macron.
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Un homme parait au centre de l'imbroglio : l'ancien ministre des Finances Renganaden Padayachy. Homme élégant, formé en France, l'ex-bras-droit de l'ancien Premier ministre Pravind Jugnauth vient de connaître des dernières semaines pour le moins mouvementées, marquées notamment par cinq jours de détention.
Ce cadre de l'ancien gouvernement est soupçonné d'avoir usé de son pouvoir dans la commission de différentes fraudes - pour un montant d'environ sept millions d'euros - au préjudice de la Mauritius Investment Corporation (MIC), une société d'investissement créée pour limiter l'impact de la pandémie de Covid-19.
Harvesh Seegolam, l'ex-directeur de la banque centrale, qui contrôlait la MIC, est inquiété dans les mêmes affaires, qui agitent les habitants d'une île davantage connue hors de ses frontières pour le turquoise de ses lagons et ses plages immaculées que pour ses scandales politico-financiers.
Si M. Padayachy s'est dit "serein", son parti, dans un communiqué, accuse l'exécutif d'"instrumentaliser les institutions judiciaires" afin de "neutraliser" l'opposition.
L'un de ses proches, interrogé par l'AFP, dénonce "une vendetta". Par l'intermédiaire de l'ex-ministre des Finances, "c’est Jugnauth qu’ils visent", assure-t-il.
- Dynasties -
Membre d'une dynastie qui a dominé la politique mauricienne depuis l'indépendance obtenue du Royaume-Uni en 1968, l'ancien chef du gouvernement Pravind Jugnauth, 63 ans, qui a succédé à son père en 2017 à la mort de ce dernier, a été lourdement défait en novembre aux législatives.
Le vainqueur Navin Ramgoolam, 77 ans, déjà deux fois Premier ministre par le passé (1995-2000 puis 2005-2014) après que son père Seewoosagur l'avait été de 1968 à 1982, avait décrit l'ancien pouvoir comme un groupe de "mafieux" qui "agissent comme si Maurice leur appartenait".
Lui-même a été poursuivi en 2015, notamment pour entrave à la justice et blanchiment d'argent. Des accusations que Navin Ramgoolam avait alors qualifiées de "vengeance politique".
Dans un Etat vu comme un modèle de stabilité et de prospérité sur le continent africain, malgré une corruption en hausse, selon des analystes, la dernière campagne a toutefois mis en lumière des inquiétudes économiques et démocratiques aiguës, sur fond de scandales d'écoutes pour l'ancienne majorité.
Quelques mois plus tard, en février, Pravind Jugnauth était arrêté lors d'une enquête pour blanchiment d'argent, puis libéré sous caution. Aux domiciles de deux autres suspects ont été retrouvés des documents portant son nom, des montres de luxe et des valises d'argent liquide.
"Ce n’est pas de la vengeance, c’est du nettoyage. Il faut assainir la République", se défend aujourd'hui un membre influent du nouveau gouvernement. "L’État de droit s’applique à tous", acquiesce un conseiller du Premier ministre interrogé par l'AFP.
- Cocotiers -
Mais les conséquences se font sentir dans cet archipel de l'océan Indien, considéré comme un pays à revenu élevé en 2020 - son PIB par habitant était de 10.216 dollars en 2022 -, avant que la pandémie de Covid-19 ne frappe durement son économie reposant en partie sur le tourisme.
Les banques incarnent l'autre mamelle de Maurice. Longtemps accusée de favoriser l'évasion fiscale d'entreprises mondiales, Maurice a été retirée de la "liste grise" des pays considérés comme des paradis fiscaux par l'Union européenne en 2022 après des progrès dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du "terrorisme".
Dans un tel contexte politico-judiciaire, "ce qui faisait notre force – transparence, stabilité, sérieux – est en train de fondre comme beurre au soleil", soupire un investisseur étranger.
"L’affaire Padayachy, c’est plus qu’un nom : c’est toute la narration de +Mauritius Inc.+ qui prend un coup", affirme Mahen Virahsawmy, un conseiller en stratégie basé à Londres.
"On ne peut plus se cacher derrière les cocotiers", abonde Roshi Bhadain, un ancien ministre des services financiers et de la bonne gouvernance, jadis membre du parti de M. Jugnauth, aujourd'hui à la tête de sa propre formation. "Il faut choisir, lance-t-il. Soit on nettoie, soit on coule."
Le président français arrivera jeudi à Maurice, où il restera 24 heures dans le cadre d'une tournée régionale.
Alors que Renganaden Padayachy dispose également de la nationalité française, "la France suit de près le respect des droits procéduraux dans cette affaire", observe l'un de ses diplomates. "Mais elle veillera aussi à ne pas être perçue comme interférant dans une procédure judiciaire d’un État souverain."
© Agence France-Presse

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