La semaine dernière a marqué la reprise après le Nouvel an. 2022 s’annonce porteuse d’espoir malgré les défis et incertitudes. Nous avons tâté le pouls d’observateurs du domaine économique et de la santé.
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Économie
Kevin Teeroovengadum : «Les choses seront compliquées»
Défis
Cette année, les Mauriciens ressentiront encore plus les effets de l’inflation qui continuera à affecter leur pourvoir d’achat. Observation de l’économiste Kevin Teeroovengadum. « J’avais dit que cette nouvelle année allait être difficile. Après une décroissance de -15 % en 2020, la croissance est plutôt lente à 4 % en 2021 et probablement entre 3 % et 4 % en 2022. »
Ce sera difficile de remonter la pente, dit-il. La dette, l’inflation et la dépréciation de la roupie feront que la reprise économique sera difficile. « Ce sera compliqué pour le gouvernement d’équilibrer le budget avec le déficit commercial et le déficit budgétaire qui s’accentuent de même que les dépenses qui augmentent, notamment avec les allocations à cause de la Covid-19, entre autres. » Selon Kevin Teeroovengadum, la Banque centrale continuera à intervenir sur le marché.
L’économiste évoque également un manque de visibilité au niveau du tourisme. Si avant, la planification se faisait sur neuf mois, avec la Covid-19, la reprise s’annonce compliquée pour ce secteur. « Ce sera un gros défi à relever puisque contrairement aux Seychelles et aux Maldives, on est resté sur la même stratégie d’avant 2020. En une année, on a fait ce que les Maldives ont fait en un mois au niveau des revenus », fait-il remarquer.
Kevin Teeroovengadum parle d’un manque de nouvelles stratégies. « Deux années se sont écoulées mais il n’y a rien eu de différent. On n’a pas mis en vigueur de nouvelles stratégies, encore moins a-t-on investi dans divers secteurs qui sont porteurs d’espoir. Ce sont autant de raisons qui font que les choses seront compliquées en 2022 », estime-t-il.
Incertitudes
Kevin Teeroovengadum pense que les incertitudes entre la Chine et l’Amérique pèseront lourd dans la balance sur le plan économique cette année. Tout comme l’inflation qui ne cesse de grimper à Maurice comme dans le monde.
Le logistique, poursuit-il, est un autre facteur à ne pas banaliser. « Il y a des incertitudes sur le voyage. D’ailleurs, aujourd’hui c’est bien plus compliqué de prendre l’avion qu’auparavant », dit-il tout en espérant qu’on n’aura pas à faire face à d’autres variants après Omicron. Car si c’est le cas, cela empirera la situation.
Opportunités
Les opportunités sont là mais encore faut-il pouvoir les identifier. Kevin Teeroovengadum cite l’économie bleue dont on parle depuis plus d’une décennie.
Pour lui, le gouvernement doit investir massivement dans des infrastructures comme l’internet à haut débit à travers l’île. « On doit aussi injecter de l’argent dans le secteur de la santé. C’est son système de santé robuste qui a permis à Dubaï de continuer à rouler pendant la pandémie. »
Autre chantier : une révision du système éducatif. « Avec le chômage des jeunes qui gagne du terrain », il demande que l’accent soit mis sur la formation. L’économiste n’en démord pas, « on doit trouver des créneaux porteurs d’emplois et y former des personnes. On peut même exporter cette main-d’œuvre ».
Impératifs
Kevin Teeroovengadum croit fortement que l’impératif est de mettre des personnes compétentes pour « drive » le pays. « C’est cela la clé de tous les problèmes. On doit avoir les ‘right men in the right places’ », affirme-t-il.
Dr Takesh Luckho : «Il est question de nouvelle normalité sans nouvelle stratégie»
Défis
Si les défis sont légion, la croissance est sans doute le plus gros. D’emblée le Dr Takesh Luckho, économiste, rappelle que selon des estimations et le Budget 2021-22, la croissance serait de 9 % en juin 2022. Un chiffre qu’il qualifie d’« ambitieux » et « assez audacieux ».
« Pour que cela soit le cas, on aurait dû avoir une croissance d’au moins 5,5 % en décembre 2021. Ce qui aurait créé un effet domino et le dynamisme économique pour atteindre 9 % », fait-il valoir. Pour l’économiste, « on doit pourvoir attirer 600 000 touristes d’ici juin prochain ». Lui estime que la croissance sera de 4,6 % à 4,8 %.
Ainsi, pour le Dr Takesh Luckho, le défi est de pouvoir créer ce dynamisme. « Le gouvernement a compris que la croissance n’est pas basée que sur le tourisme et a changé son fusil d’épaule en payant le boni de fin d’année plus tôt. On a joué sur la stratégie de ‘Consumption Growth’. Cela a créé un boost de 0,2 % à 0,4 %. »
Le social est également à prendre en compte, surtout que le gouvernement est à mi-mandat, poursuit l’économiste. Il y a une baisse du pouvoir d’achat et une hausse des prix des produits pétroliers, ce qui a une incidence sur les prix des produits indexés sur les carburants. Sans parler de l’augmentation du fret et la dépréciation de la roupie.
« Si le consommateur n’a pas confiance, il ne voudra pas dépenser, alors que la consommation est importante pour booster la croissance. Le défi est de redonner confiance aux consommateurs », pense le Dr Takesh Luckho.
Incertitudes
Pour l’économiste, la plus grosse incertitude reste la Covid-19 tant sur le plan local qu’international. « On sait qu’Omicron est plus contagieux mais moins virulent. Là on entend dire qu’il y a un nouveau type de variant détecté en France. » Plusieurs questions se posent, dit-il. « Y aura-t-il de nouveaux variants ? Seront-ils plus virulents ? La Covid-19 deviendra-t-elle une grippe normale ? »
Le Dr Takesh Luckho parle également des incertitudes quant aux restrictions sanitaires et notamment un éventuel assouplissement. « C’est sûr qu’on aura un pic en janvier. Mais après, est-ce que ce sera une reprise normale ? L’incertitude plane. »
Opportunités
Notre modèle de développement est resté le même, constate le Dr Takesh Luckho. « On parle de nouvelle normalité sans pour autant changer de stratégie. »
Il déplore aussi le fait que les Mauriciens sont utilisés comme « contingency », surtout au niveau du tourisme. « Quand les frontières sont fermées, on attire la clientèle locale mais une fois les frontières rouvertes, on oublie les Mauriciens. » Or insiste le Dr Takesh Luckho, cette clientèle locale est une opportunité à exploiter, comme l’ont fait le Zimbabwe et le Botswana.
« On doit essayer de créer un marché durable avec le tourisme mauricien qui est de 10 % à 15 % et l’amener à 30 %. En misant sur des produits pour les locaux, les hôtels pourront au moins joindre les deux bouts », soutient-il.
Le télétravail est un autre aspect à mieux exploiter, affirme l’économiste. « On doit changer notre modèle opérationnel. On doit se pencher, de plus, sur l’innovation. On parlait beaucoup d’intelligence artificielle et de Fintech avant les élections de 2019 mais depuis c’est aux oubliettes alors que le potentiel est grand. »
Il manque un secteur pour absorber les jeunes, ajoute le Dr Takesh Luckho. Il cite l’exemple du secteur des services financiers qui est bien établi mais qui n’est pas assez exploité alors qu’on a les compétences.
Impératifs
Pour le Dr Takesh Lucko, il est impératif que la bonne gouvernance, la méritocratie et la compétitivité prédominent dans le secteur public, de même que dans le secteur privé. « Ce sont des fondations importantes. On vient de sortir des listes grise et noire. On est toujours des ‘back-benchers’. Il est important qu’on ne retombe pas dans les travers, étant toujours sous observation. S’agissant des régulateurs, il faut qu’on ait les bonnes personnes à la tête. »
Il faut penser à une meilleure façon de communiquer avec les Mauriciens, argue l’économiste. « On doit passer le message par le biais des athlètes et autres figures connues. On ne doit surtout pas commettre les erreurs du passé si on veut avoir le contrôle de la situation. »
Santé
Dr Yanish Purmah : «Une possibilité que le système soit saturé»
Défis
Le pays sera confronté à une nouvelle vague de Covid-19 ce mois-ci, avance le Dr Yanish Purmah, cardiologue. Avec la période des fêtes, il y a eu un relâchement et des rencontres de plusieurs personnes, fait-il remarquer. « En me basant sur mon expérience ici en Angleterre, il est possible que le système de santé soit saturé et qu’il y ait un fort taux de contamination parmi le personnel soignant, affectant encore plus le service », prévient-il.
Il met en exergue que certains se sentent rassurés parce qu’Omicron est moins virulent que le variant Delta. « N’empêche, il y a un taux de mortalité de 50 % à ne pas banaliser. »
Ainsi, pour le cardiologue, pour qu’on puisse répondre aux défis qui se profilent à l’horizon, il est important de maintenir les gestes barrières, de se faire vacciner ou de faire sa ‘booster dose’. « Aussi longtemps qu’une personne n’est pas vaccinée, la guerre ne sera pas terminée », insiste-t-il.
Il s’appesantit aussi sur l’importance « de donner les équipements adaptés, comme des masques plus sophistiqués », au personnel soignant pour qu’il soit mieux protégé. « Réduisant ainsi la transmission et le nombre de personnel qui doit s’auto-isoler. »
Incertitudes
D’autres variants vont-ils émerger ? Seront-ils moins dangereux ? Pourront-ils transpercer la protection vaccinale ? Pendant combien de temps durera l’effet de la ‘booster dose’ ? Ce sont là des incertitudes qui prédomineront cette année, selon le Dr Yanish Purmah.
« Les personnes doivent se préparer pour une quatrième dose de rappel face au flou qui règne. Il y a le côté social, on ne sait pas s’il y aura un ‘lockdown’, si les emplois sont sécurisés et on ne sait pas si les touristes continueront de venir. »
Opportunités
Le cardiologue soutient que les opportunités sont multiples. Maurice, dit-il, peut se montrer « exemplaire » sur plusieurs plans. « On peut explorer la possibilité de produire nos propres vaccins et développer le secteur pharmaceutique. C’est aussi l’occasion de revoir notre système de santé en général. »
Le pays doit également se pencher sur d’autres aspects, dont un hôpital spécialisé pour le traitement des maladies infectieuses. « On peut envisager de faire de Maurice un hub pour la vaccination, entre autres », recommande-t-il.
Le Dr Yanish Purmah est en outre d’avis que c’est le moment de penser à de nouvelles opportunités de carrière et de business, par exemple sur le plan de l’autosuffisance alimentaire.
Impératifs
Le cardiologue n’en démord pas : il est essentiel qu’il y ait un partenariat entre le gouvernement et la population. « Si ce lien se brise, les gens ne vont plus écouter. » Il constate qu’il y a, ces derniers jours, un manque de confiance, surtout dû à la communication ambiguë du gouvernement. « Le ministre de la Santé surtout doit revoir sa façon de communiquer pour réinstaurer cette confiance. Il y a une grande amélioration à faire à ce niveau. »
Le Dr Yanish Purmah pense également qu’il est primordial de poursuivre les gestes barrières et la vaccination pour une protection optimale contre la Covid-19. Il préconise la mise sur pied d’un task force regroupant tous les acteurs concernés (médecins à Maurice et à l’étranger, infirmiers, députés de la majorité et de l’opposition, etc.) pour passer en revue la situation et faire des recommandations.
Dr Irfaan Daureeawoo : «Les mutations du virus sont un sujet d’angoisse»
Défis
Pour le Dr Irfaan Daureawoo, médecin spécialisé en gériatrie, la science a abattu un travail titanesque pour soulager le monde. Après des mois de sacrifices, de pertes, de restrictions et de lutte, aujourd’hui, dit-il, nous sommes un peu plus armés pour affronter cet ennemi invisible notamment grâce aux vaccins.
Il rappelle aussi que de récentes études ont fait état de médicaments potentiellement efficaces contre la Covid-19. « Quelques médicaments annoncés ont une certaine efficacité pour diminuer le risque d’hospitalisation et de décès pour ceux atteints d’une forme faible à modérée de la maladie. » Ces médicaments, souligne-t-il, s’ajoutent à l’arsenal thérapeutique et donnent une lueur d’espoir dans la lutte contre la Covid-19.
Toujours est-il que malgré « des nouvelles réconfortantes », la situation demeure « très délicate », notamment en raison du nouveau variant Omicron. D’ailleurs, avance le Dr Irfaan Daureawoo, les mutations du virus sont un sujet d’angoisse. « C’est pour cela que les pays touchés par Omicron encouragent et accélèrent la ‘booster dose’. »
Incertitudes
L’accès au test est primordial pour un meilleur contrôle et une bonne gestion, affirme le Dr Irfaan Daureeawoo.
« Économiquement parlant, la prise en charge d’un patient, incluant les médicaments et les ressource humaines, demande des ressources conséquentes », fait-il ressortir.
Il préconise un subside ou tout bonnement l’annulation de la taxe sur l’achat d’un test antigénique rapide, ce qui en démocratisera l’accès. « Un test au stade précoce permet une prise en charge précoce, réduisant les risques de complications. En comparaison, une hospitalisation coûte beaucoup plus cher qu’un subside sur ces tests. »
Opportunités
Pour une population saine, il est impératif que les citoyens aient recours régulièrement à un suivi ou des tests initiaux avec un médecin de famille, conseille le Dr Irfaan Daureeawoo. « Cela permettra d’être en bonne santé mais aussi de dépister des maladies potentiellement graves à un stade précoce. »
Impératifs
Selon le médecin, ces deux dernières années ont été dures aussi bien économiquement que physiquement et moralement. La pandémie a mis en lumière la robustesse mais aussi les failles de divers secteurs, celui de la santé en particulier. « Il y a une grosse attente pour plus de transparence ainsi qu’un renouvellement de la stratégie, une modernisation et la numérisation du système de santé à Maurice afin de minimiser les lacunes et de maximiser les ressources. »
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