L’épidémie actuelle de la dengue à Maurice est un triste épisode d’une santé publique qui est fracassée et qui a de lourde conséquence sur l’économie du pays. Elle met en cause le système de surveillance et la gestion d’une épidémie et les moyens archaïques et ineptes de calmer un problème de santé publique : elle fait écho à l'incapacité des services de santé publique de gérer une épidémie minime. Le public peut demander, à juste titre, quelles sont les raisons de cet échec : en effet, il est évident que cela est dû à un manque de préparation, à une surveillance insuffisante et à un manque total de coordination au niveau professionnel.
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Pas étrangère à Maurice
L’épidémie de dengue n’est pas étrangère à Maurice et ne devrait pas nous prendre au dépourvu si nous avions pris les mesures de préparation nécessaires. La santé publique a été prise au dépourvu, parce qu’elle était préoccupée par une épidémie de rougeole en cours. Un arsenal de personnel a été exclusivement consacré à la lutte contre l'épidémie de rougeole, qui s'est avéré être un effort inutile à ce jour. Entre-temps, aucune préparation n’a été prise pour une épidémie de dengue imminente, même face à des signaux d’alerte tels que les fortes pluies entraînant une forte prolifération de moustiques et aux indices épidémiologiques des flambées de dengue à la Réunion, où quelque 7 000 personnes étaient déjà atteintes en février 2019. Après avoir reçu les signaux de la Réunion, pourquoi des exercices n'ont-ils pas été organisés pour répéter le protocole, avertir les parties prenantes, former les équipes d'intervention rapide et dresser le bilan du plan d’urgence ?
Maurice, contrairement à l'île de la Réunion, n'a pas déclaré la dengue comme une maladie endémique. Par conséquent, une épidémie à Maurice doit être alimentée par un cas importé. La surveillance à l'aéroport est inadéquate en faisant trop confiance au scanner thermique et aux antécédents médicaux et de voyage déclarés par les passagers. Le scanner thermique a une sensibilité limitée pour détecter tous les cas de dengue et tous les passagers ne révèlent pas l’ensemble de leurs voyages ni leurs antécédents médicaux.
En conséquence, de nombreux cas tombent dans les fissures et se retrouvent dans la communauté pour initier une infection. La santé publique doit cesser de se concentrer uniquement sur la surveillance au sein de la santé publique ; de nombreux cas ont sollicité et continuent de rechercher des soins dans de centres de santé privés. Une surveillance active devrait être entreprise en visitant et en recherchant activement les cas potentiels, qu'ils soient du secteur public ou privé. Cette approche s’est révélée efficace pour lutter contre l’épidémie de grippe et de dengue de 2009. Nous devons sortir de la politique consistant à imputer aux travailleurs invités toutes les épidémies allant de la grippe et de la rougeole à la dengue. À un moment de notre histoire, le paludisme a été introduit à Maurice par des personnes originaires d'Afrique et d'Inde. Les Britanniques nous ont-ils blâmés ou ont-ils combattu les épidémies de paludisme ? Les Britanniques sont partis, mais ils nous ont laissé les outils de santé publique pour faire face aux épidémies, rendons justice et utilisons-les correctement.
Rechercher les zones chaudes où prolifèrent les moutiques
Les activités en cours sont trop peu nombreuses et trop tardives, il semble y avoir une coordination incohérente au sein du ministère de la Santé lui-même. Des acteurs importants tels que l'unité de biologie des vecteurs et l'unité de promotion de la santé ont été visiblement absentes lors de la phase de démarrage cruciale. L’implication de la biologie des vecteurs dès le début aurait permis de rechercher les zones chaudes où demeurent les moustiques et d’orienter l’opération de surveillance de manière plus précise. Les unités de promotion de la santé sont formées à la sensibilisation des communautés et enregistrent le soutien de la communauté. L'absence de cette unité a eu des résultats désastreux, entraînant l'assaut du personnel. On s’interroge pourquoi n’utilisons-nous pas l’expertise existante au bon moment et au bon endroit, tel que la pulvérisation à l’intérieure ?
L'un des principaux objectifs d'une politique publique favorisant la santé est de hiérarchiser les activités afin d'économiser les ressources qui sont limitées. Les épidémies sont coûteuses pour une nation. L’épidémie de chikungunya à la Réunion a coûté quelque 40 millions d’euros en coûts médicaux seulement; nos dépenses pour le chikungunya seront au moins du même niveau que le montant approximatif. Les épidémies entraînent des dépenses économiques, une perte de productivité, des troubles sociaux et peuvent avoir un impact négatif sur le tourisme. Le contrôle de l'épidémie de dengue est particulièrement important pour Maurice pour au moins deux autres raisons : premièrement, le virus tend à devenir endémique s'il n'est pas correctement éliminé au moment où il infecte un nouveau territoire, comme l'illustre la situation à la Réunion. Deuxièmement, la réinfection par un autre type de dengue entraînera de graves complications médicales liées au saignement et au choc. Il est donc de notre intérêt de garder la dengue à l’écart de Maurice. Gérer une épidémie est un art et une science. Si nous consacrons toutes nos ressources à l'éradication de la rougeole, nous permettrons facilement à une épidémie de dengue d'entrer par la porte arrière, de proliférer et de s'établir.
Les décideurs doivent repenser la question de savoir si nous allons agir de la manière lente et archaïque ou avec le temps et la technologie. La santé publique doit-elle être dirigée de manière autocratique où toutes les décisions résident avec une seule personne qui apprend encore sur le tas, ou les ressources et les compétences doivent-elles être dévolues et décentralisées à tous les niveaux du ministère? Ce sont des questions auxquelles les décideurs et le public doivent répondre car, très franchement, la manière dont cette épidémie a été traitée montre un manque total de respect pour les fonds publics et un manque de préoccupation pour la santé publique.
Par docteur Deoraj Caussy, épidémiologiste et virologue
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